John
Lee Hooker
Le 22 août 1917 (la date est incertaine,
certains affirment le 17/08), le petit John Lee Hooker naît à Coahama County
près de Clarksdale dans l'Etat du Mississipi. En 1923, lorsque son père William
décède, c'est Willie Moore, un travailleur des champs de coton, qui prend
rapidement sa place dans une famille de 11 enfants. Willie est aussi comme
beaucoup de Noirs du Deep South un bon guitariste de blues pendant son temps
libre. John Lee qui était plutôt tourné vers les negro-spirituals découvre
alors un nouveau genre musical et commence à s'intéresser à la guitare. Willie
qui considère déjà le petit John Lee comme son propre fils lui confectionne une
guitare avec une planche et quelques clous. Viennent ensuite de nombreuses
soirées à improviser avec celui qui deviendra progressivement son mentor. Les
progrès du jeune guitariste ne tardent d'ailleurs pas à se faire sentir et
alors qu'il n'a que 12 ans; sûr de lui et désireux de devenir musicien
professionnel, il part tenter sa chance à Memphis en se cachant dans un train
de marchandises. Il racontera quelques années plus tard son tumultueux voyage
dans Hobo blues. Mais John Lee ne restera à Memphis que deux mois, en
attendant que son beau-père vienne le chercher. En 1931, âgé de 14 ans, JL
s'enfuit de nouveau mais tourne cette fois-ci à travers les villes du Sud. Pour
survivre, il exerce divers petits boulots comme bûcheron ou aide garagiste à
côté de sa musique qui lui vaudra de rencontrer deux bluesmen auprès desquels
il enrichira son jeu: Tommy McClennan et Tony Hollins à qui il empruntera
quelques compositions comme Catfish blues et Bottle up and go
pour le 1er, ou Tease me over et Crawlin' kingsnake pour le second.
En 1934, JL
arrive enfin à Memphis et loge chez une tante. Malheureusement, le quartier de
Beale Street, célèbre pour ses clubs et ses bordels, lui ferme souvent les
portes en raison de son trop jeune âge. Les rares fois où il est admis, c'est
toujours avec réticence car il est perçu comme un concurrent dans la course à
la scène; et qui plus est originaire du Delta. Hooker travaille donc le jour
comme souffleur dans un théâtre et joue le soir dans le ghetto noir de West
Memphis avec d'autres jeunes comme Robert Nighthawk ou B.B. King. Mais l'échec
est douloureux. JL évoque même un temps de s'engager dans l'armée et c'est avec
beaucoup d'amertume qu'il décide de quitter le Sud ségregationniste pour le
Nord des States.
En 1937, il arrive à Cincinnati où il vivra
durant 6 années chez une tante, travaillant comme gardien de nuit, souffleur ou
encore vidangeur de fosses d'aisance. Malgré une percée difficile, JL commence
à attirer le public, en particulier féminin, attiré par son chant, son jeu de
guitare électrique (qui vient de faire son apparition) et aussi... par son
physique de tombeur.
En 1943, il épouse Martella et part
s'installer à Detroit, la "Motor City", riche en jeunes immigrants du
Sud venus chercher un emploi dans les usines Ford et GM. A l'instar de Chicago,
Detroit a su créer un centre artistique dans les ghettos où les jeunes
travailleurs noirs jouent du blues le soir pour se divertir: Hastings Street.
C'est là que John Lee se produit dans des bars comme le Monte Carlo ou le
Harlem Inn. Mais contrairement à Chicago, Detroit n'a pas les structures
adéquates pour lancer un musicien. JL y travaille à la chaîne chez Ford et
exerce son vrai métier le soir lors de "house parties"; sortes de
concerts chez les particuliers, où il joue un jeu volontairement simple afin de
se démarquer des autres bluesmen et pourtant sophistiqué car sa guitare s'adapte
à ses râles et ses battements de pieds.
Le public aime JLH qui sait enflammer de sa
guitare électrique la foule en manque de boogies endiablés ou de blues d'autant
plus lancinants que JL rythme ses morceaux de son pied sur lequel il a fixé une
capsule de Coca.
Et c'est en 1948 que la chance lui sourit
enfin. Après avoir été repéré en train de jouer au Capital Theater, il est
embauché par Bernie Besman qui lui fera enregistrer son premier microsillon: Sally
Mae et surtout Boogie Chillen qui est en fait une adapatation d'un
vieux titre de Memphis: Mama don't allow to play music all night long et
qui entrera dans le Top 40 R'n'B. Le succès est immense et JLH quitte l'usine
pour enchaîner les disques. 1949:
Hobo blues, Whistlin' and moanin', Drifting from door to door.
1950: Wednesday evening blues, House rent boogie. 1951:
I'm in the mood qui sera consacré par le Billboard. Mais à côté de son
contrat, JLH enregistre ailleurs, entre autre chez un certain Joe Von Battle,
connu à Detroit pour sa boutique de disques et son "studio
d'enregistrement" (de fortune!). JVB qui sert d'intermédiaire avec les
grands labels de Chicago lui fera enregistrer plusieurs classiques dont Shake
your boogie, Goin' mad blues... John Lee qui n'a pour seule
préoccupation que de se remplir les poches de dollars, enregistre ainsi, entre
1948 et 53, une centaine de titres sous plusieurs versions et sur différents
labels indépendants, évoluant sous différents pseudonymes pour une raison
évidente: il est déjà en contrat! On le retrouve donc sous le nom de John Lee,
Johny Lee, JL Booker, JL Cooker, The boogie man... ou encore Alabama Slim.
Pour JLH qui se définit non pas comme un
simple musicien mais comme un "entertainer" professionnel, la suite
logique veut qu'il parte en tournée. Deux hommes joueront un rôle important
dans sa carrière: le guitariste Eddie Burns, et Eddie Kirkland qu'il avait
rencontré lors d'une house party en 1948. Avec le 1er, il enregistrera Black
cat blues, Burnin' hell... Le 2nd sera celui avec lequel il
travaillera le plus longtemps, enregistrant plusieurs chefs d'oeuvre pour le
label Chess à Chicago comme Key to the highway ou Guitar lovin' man en
1951 ou Let's talk it over en 54. Mais parallèlement, le couple
Hooker devient instable. JL est connu pour avoir deux passions dans la vie: les
femmes et le whisky. Il y risquera d'ailleurs sa vie en 1950, empoisonné en
buvant du whisky, à cause d'une sombre histoire de jalousie, obligeant son ami
Eddie Burns à le remplacer sur scène pour quelques temps. Car comme il le dit:
"s'il n'y avait pas de femmes, il n'y aurait certainement pas de
blues". Néanmoins, Hooker se montre peu tendre à leur égard, voire
mysogyne comme sur son manifeste Democrat man où il leur reproche
violemment d'avoir voté pour les Républicains.
Malgré tout, il subit un passage à vide
après 1953 où le public préfère un jeu de guitare plus élaboré à la B.B. King.
Les ventes baissent et JLH se retrouve sans contrat. Seul succès: il gagne ses
procès contre les maisons de disques qui avaient oublié de lui verser quelques
royalties. Les dollars coulent de nouveau à flot! Mais Hooker doit rejouer dans
de petits bars pour vivre et enregistrer dans des studios de fortune... pour ne
rien gagner. C'est alors qu'en 55 il est récupéré par un nouveau label, Vee Jay
qui reprend les artistes "jettés" par Chess. On lui demande seulement
de jouer avec l'harmoniciste Jimmy Reed et son guitariste Jimmy Taylor. En
octobre, ils enregistrent entre autre Wheel and deal, Unfriendly
woman, Time is marching... avec succès. En 1956, nouveau coup
d'éclat, cette fois sans Reed, avec Baby Lee et surtout le blues
rock'n'roll Dimples qui entre dans le top 40 et sera même repris une
dizaine d'années plus tard par certains artistes dont Van Morrison.
Fort de son succès, JL se doit désormais de
conquérir le public blanc aux USA mais ausi en Europe. Au début des 60's,
il revient à l'acoustique afin de plaire au jeune public blanc avide de country
blues et reprend Tupelo et Hobo blues lors du festival de Newport
qui donnera lieu à l'album "The folklore of John Lee Hooker" avec 4
autres titres joués avec Reed. JL se tient seul sur scène avec sa guitare; à
l'occasion accompagné d'un ou deux musiciens. C'est à cette époque qu'il
enregistre des titres comme Democrat man, Hard-hearted woman ou Boom
boom en référence à une serveuse qui, un soir, fâchée de le voir arriver en
retard, simule un coup de feu avec sa main.
En 1962, il a enfin l'occasion de se
produire dans toute l'Europe, grâce à la tournée de l'American Folk blues
festival auquel il participera également en 65 et 68. En 62, il apparaît aussi
au festival de blues de Paris. Le succès, immédiat, est prolongé avec son
single Shake it baby qui fera un tabac chez les yankees durant les 60's.
A la fin des 60's, JL est reconnu mondialement, admiré tant par le public noir
que blanc. Il va désormais amorcer un changement radical jouant d'abord de la
soul sur l'album "Big soul". Les succès s'enchaînent: les albums
"Serves you right to suffer" (65), "The real folk blues"
(66) avec E. Burns, la chanson The motor city is burning (67) avec E.
Taylor sur les émeutes dans le ghetto de Detroit, et qui sera repris un
an plus tard par le groupe de hard-rock MC5. Mais Hooker cherche à se
rapprocher du rock et joue en 1969 avec son cousin Earl Hooker sur l'album
"If you miss'm I got'm", laissant au cousin l'honneur de balancer
quelques solos bien juteux. Malgré tout, sa femme avec qui il a eu quatre
enfants demande le divorce.
A peine divorcé et déjà harcelé par son
ex-femme, il part vivre dans la communauté rock, en Californie. Dans un milieu
où les jeunes rockers vénérent le vieux JLH, celui-ci n'a aucun mal à se faire
une place. Ainsi, il enregistre avec différents groupes de blues-rock tels Van
Morrisson, ou Canned Heat en 1970 sur l'album "Hooker'n'heat" et avec
qui il retravaillera par ailleurs 11 ans plus tard. Mais malgré ces quelques enregistrements
dans les 70/80's, John Lee semble sur le déclin. Ses albums sont surchargés
d'instruments, de boogies... Hooker se retrouve sans contrat. Pendant 15 ans,
il se produit à travers le monde avec son "Coast to coast blues band"
mais n'enregistre que deux albums studio, "Jealous" (1986) et
"Hookered on blues" (78), plus quelques concerts moyens. JL qui
assume sa semi-retraite accepte quelques petits rôles au cinéma: sur
"Color Purple" de S.Spielberg et surtout dans les "Blues
brothers" (1980). Et c'est en 1989, alors que plus personne ne l'attend,
que Roy Rogers, un guitariste de blues-rock décide de produire un hommage au
maître en invitant bon nombre de stars du blues et du rock dont Carlos Santana,
Robert Cray, Bonnie Raitt, etc... pour "The healer" qui lui vaudra un
Grammy Award. La machine Hooker est repartie.
Les 90's voient la sortie d'albums à fort
succès commercial, tels "Boom Boom" en 92 ou "Chill out" en
95 où Hooker fait preuve d'un flair exceptionnel en invitant les meilleurs
bluesmen autour de lui. Si JLH passe le plus clair de son temps à conduire sa
dizaine de voitures ou à regarder le base-ball à la télé, ce n'est que repos
mérité car Hooker, avec plus de 500 titres enregistrés, des dizaines d'albums
et surtout un jeu unique volontairement minimaliste aura su se créer une place
bien à part au Panthéon des bluesmen/guitaristes.
Le 21 juin 2001, dans un dernier souffle,
il nous quitte pour rejoindre les autres légendes de blues... JLH peut à
présent nous observer tranquillement de l'au-delà. Il sait qu'il a marqué son
siècle. JLH est un mythe.