Big
Bill (William Lee Conley Broonzy) est né en 1893 (ou 1898) à Scott Mississippi.
Il est un parmi les 17 enfants de parents qui sont nés en esclavage. Ces
premières années sont passées dans l'Arkansas. Le jeune s'exerce au violon, devient
prédicateur avant de s'installer à Chicago en 1918 après son service militaire.
Là, Papa Charlie Jackson - un transfuge des medecine shows et du
vaudeville - lui apprend à jouer de la guitare. Très vite, Big Bill devient un
des meilleurs guitaristes de la ville, aussi à l'aise dans le blues que dans
d'autres genres populaires noirs de l'époque : ragtime, hokum... Si la voix
demeure marquée par les field-holders, ces chants pratiqués a capella en
plantant ou ramassant le coton, le jeu de guitare de Big Bill, délié, incisif
et swinguant est sophistiqué et urbain, et reflète parfaitement les aspirations
des migrants noirs des années 20 et 30. Big Bill enregistre abondamment à
partir de 1927 pour Bluebird et Columbia et connaît des succès considérables auprès
de la clientèle noire : Big Bill blues, Selling that stuff, Bull cow
blues, Serve it to me right, Keep your hands off her... Sous la houlette de Lester
Melrose, Big Bill devient le prototype du bluesman de Chicago d'avant la
guerre.
Broonzy sait parfaitement
épouser les goûts de son public : il est capable de blues pleins de nostalgie
d'un Sud dont on regrette la vie nonchalante et le climat, mais aussi de thèmes
forts sur les tensions de la grande ville ou encore de pièces dansantes et
légères, très souvent osées.
Sa
musique évolue aussi selon les désirs de la majorité des Noirs : il commence à
enregistrer en duo guitare/piano puis exclusivement en petite formation,
ajoutant de plus en plus souvent une section rythmique (contrebasse, seconde
guitare, batterie ou washboard), voire des cuivres. Cette instrumentation donne
une coloration jazzy qui rapproche le blues urbain des années 30 du swing. Mais
la guitare de Big Bill, moelleuse, occupe toujours le devant et se lance
souvent dans des solos pleins de verve. En compagnie du formidable pianiste Joshua
Altheimer, de Memphis Slim ou de Blind John Davis, Broonzy
annonce souvent le Chicago blues d'après-guerre comme dans Rockin' Chair Blues, I.C.
blues, My last goodbye to you.
Ces
talents exceptionnels de guitariste permettent à Big Bill, outre sa carrière de
vedette du blues, d'être aussi un des accompagnateurs les plus demandés des
studios durant les années 30 et 40. Il figure sur plusieurs centaines de
titres, marquant de sa guitare certains des meilleurs morceaux des figures les
plus populaires de la musqiue noire : Wasboard Sam, Jazz Gillum, Lil Green,
Doctor Clayton, Memphis Slim, John Lee "Sonny Boy" Williamson... Il
participe aussi activement à plusieurs groupes de Hokum qui marient jazz,
variétés et blues (Famous Hokum Boys, State Street Boys). Big
Bill est engagé comme talent-scout par Melrose qui le charge de découvrir à
Chicago et dans le Sud de nouveaux artistes. En fait, cette activité débordante
fait apparaître Big Bill comme une des figures clés du Chicago blues d'avant
1944 qui urbanise alors le blues sudiste des migrants pour en faire une forme
de musique populaire commerciale.
Mais
Big Bill a aussi une capacité particulière à humer les évolutions du temps.
Lorsque certains amateurs blancs de jazz s'avisent de l'existence d'une autre
forme de musique populaire noire, le blues, Big Bill est là pour leur faire
entendre ce qu'ils demandent. Il remplace au pied levé Robert Johnson,
récemment décédé, sur la scène du Carnegie Hall de New York en 1938 pour le
célèbre concert Spirituals to Swing. Il y est présenté comme un "laboureur
du Mississipi" ! Lorsque le blues de Chicago change après la guerre, le
laissant de côté, il est un des tout premiers à sauter dans le train du courant
folk, alors en gestation. Se souvenant de son expériencee du Carnegie Hall, Big
Bill joue en Europe et sur les scènes américaines le rôle du "dernier
chanteur de blues", interprétant pour un public exclusivement blanc de
vieux folk-songs comme John Henry, ses blues
réaménagés dans un style de country blues soliste acoustique ainsi que des
chansons protestataires alors à la mode. Ce dernier rôle de folksinger permet à
Big Bill de vivre de sa musique jusqu'à sa mort (celle ci le suprendra à
Chicago le 15 août 1958), d'enregistrer substantiellement dans ce style de
soliste acoustique. Sa présence en Europe et auprès du public blanc nordiste
aux Etats-Unis joue aussi un rôle déterminant dans la reconnaissance du blues
sur les deux continents, ouvrant la voie au futur blues revival des années 60.