Récemment
interrogé sur le plus grand regret de sa vie, une superstar veillissante du
rock britannique répondit : "N'avoir jamais vu Elmore James !".
Trente cinq ans après sa mort, ce compagnon de Robert Johnson continue à
bénéficier d'une aura considérable dans le monde entier et son oeuvre,
constamment rééditée, demeure un modèle pour tout adepte de la slide guitare.
Né le 27 janvier
1918 sur une petite plantation du Mississipi, Elmore James est dès son
plus jeune âge impressionné par une tournée de guitaristes hawaïens (il
enregistrera d'ailleurs un remarquables Hawaiian boogie en hommage à ces
musiciens exotiques). Il partage son temps entre le travail des champs et les
juke-joints du Delta où il joue en compagnie de Robert Johnson, Robert
Jr Lockwood, Sonny Boy Williamson (Rice Miller), Honeyboy Edwards
et Howlin' Wolf. La marque des deux Robert restera indélébile sur sa
musique : voix en falsetto presque strident, utilisation intensive de basses
marchantes, répertoire (Dust my broom, Crossroads). Mais son utilisation du slide est bien
plus furieuse et tranchante. Il assaille sa guitare suramplifiée avec rage et
semble déclamer un sermon d'une voix presque éraillée : une des sonorités les
plus excitantes de l'histoire du blues.
En
1941-42, les Lomax se promettent d'enregistrer Elmore avec d'autres
ex-compagnons de Robert Johnson mais James est introuvable. Il lui faut
attendre dix ans de plus pour graver son premier disque sur le petit label
Trumpet : Dust my broom, reprise d'un thème
gravé par Robert Johnson, est un succès immédiat dans tout le Sud, et bientôt
aussi à Chicago.
Elmore
enregistre alors massivement pour les frères Bihari une oeuvre chaotique mais
furieuse où les basses marchantes et le bootlneck de Dust
my broom sont utilisées jusqu'à l'abus mais aussi de pièces très
tournées vers le Rhythm & Blues des années 50 avec cuivres et la présence
attentive de Ike Turner. De santé fragile, il ne se déplace que rarement
à la Nouvelle-Orléans (le temps d'une superbe séance avec Sammy Myers)
ou à Chicago. Là, il est accompagné par l'orchestre de Tampa Red, emmené
par le pianiste Little Johnny Jones avec le saxophoniste J.T. Brown
et, bientôt Homesick James qui se fait passer pour son cousin.
A
partir de 1958, la popularité d'Elmore baisse sensiblement. Un de ses
admirateurs, le producteur noir Bobby Robinson, choisit de le remettre en
selle. Il sait l'entourer, le cajoler, lui compose de nouveaux morceaux, les
arrange. L'oeuvre enregistrée par Elmore sous la houlette de Robinson est
magnifique. Moderne et agressive, sensible et sensuelle, avec des compositions
extraordinaires comme Sky is crying ou Twelve years old boy, de véritables transfigurations
de pièces comme It hurts me too, Anna Lee (de Tampa Red) ou Everybody I have the blues, cette dernière oeuvre
d'Elmore James prenant place parmi les plus grands moments de blues de
l'après-guerre.
En
1963, il meurt d'une crise cardiaque, sans que l'on sache si c'est à la suite
d'une séance d'enregistrement ou bien dans son lit. On était en train de mettre
au point sa première tournée européenne qui l'aurait probablement vu triompher,
notamment en Grande-Bretagne où son influence sur le blues britannique était
considérable. Parmi ses disciples les plus fidèles, on trouvera d'ailleurs
l'excellent gitariste Jeremy Spencer des Fleetwood Mac.