Les
jug bands jouaient à toutes les occasions possibles et inimaginables, dans les
clubs de Beale Street ou d'autres quartiers noirs, dans les guinguettes de
campagne et les pique-niques organisés dans les environs, dans les rues et les
jardins municipaux en quêtant parmi les badauds, au cours des soirées
d'anniversaire chez des particuliers ou de réunions entre hommes dans certains
hôtels, lors des cérémonies officielles et des meetings électoraux, à
l'ouverture de magasins et de parkings, dans les "medecine shows",
dans les trains et les bateaux d'excursion. Leur répertoire se composait de
blues, de numéros comiques, d'airs de ragtime et de quadrilles et ils
jouissaient d'une popularité égale auprès des publics blancs et noirs. Il
existe même des enregistrements de chants religieux accompagnés par des jug
bands. La formation instrumentale comportait l'inévitable jug (cette cruche qui
disparut toutefois lors de certains enregistrements des années 30 au profit de
la contrebasse à une corde), le kazoo, l'harmonica et la guitare. D'autres
instruments s'y ajoutaient ou s'y substituaient parfois, ainsi le banjo, le
violon, la mandoline, le washboard, le piano, la batterie et le saxophone (ces
derniers se généralisant à compter des années 30 alors que les jug bands
tentaient de se moderniser afin de rivaliser avec les petites formations
influencées par le jazz) et jusqu'à la scie musicale.
Le
Memphis Jug Band est l'orchestre le plus populaire du Memphis des années 30. Il
s'agit d'un conglomérat de musiciens formés par et autour de Will Shade (de son
vrai nom Sun Brimmer, né à Memphis en 1898), multi-instrumentiste qui introduit
l'harmonica dans un orchestre de blues et qui influencera presque tous les harmonicistes
de blues. L'ossature stable de l'orchestre est, autour de Shade (guitare,
harmonica, jug), le guitariste Robert Burse, le violoniste Milton Robey et de
banjo Ben Ramey, le guitariste et banjoïste Charlie Burse. Mais ils accueillent
de nombreux "occasionnels", tel le pianiste Jab Jones, le violoniste
Charlie Pierce, les chanteuses Laura Dukes et Memphis Minnie, enfin le
guitariste Will Weldon.
Entre
1927 et 1934 il grava presque de cent titres dont quelques uns parurent sous le
nom du Picaninny Jug Band. Charlie Burse qui avait rejoint l'orchestre en 1928,
après avoir quitté l'Alabama pour s'installer à Saint Louis, apporta au groupe
tout l'entrain de son jeu de guitare ténor, de ses danses acrobatiques et de
son chant plein de fougues. En 1939, Burse amena au studio une petite formation
de blues plus conventionnelle qui conservait cependant des vestiges des jug
bands, les Memphis Mucats et d'aucuns disent que les déhanchements pelviens
qu'il offrait en spectacle en plein Handy park sur Beale Street, au début des
années cinquante, inspirèrent le jeune Elvis Presley.
Will
Shade continua à former des jug bands, souvent en compagnie de Charlie Burse,
tout au long des années trente et quarante, et les deux hommes furent l'un
comme l'autre redécouverts et enregistrés en 1956 par le spécialiste du blues
Samuel Charters. Shade lutta contre l'alcoolisme, mais il ne cessa jamais de
produire et de former des orchestres jusqu'à sa mort en 1966