Né,
le 27 janvier 1918, sur la plantation Whitehead, proche de la bourgade de
Bentonia, Nehemiah "Skip" James était le fils d'un éminent
prédicateur. Il pratique piano et guitare dès l'âge de 12 ans sous l'influence
d'un de ses voisins, Henry Stuckey. Ce dernier, qui n'a jamais enregistré, est
un des créateurs du style de Bentonia : un jeu en apèrges entrecoupé d'un
florilège de notes saccadées avec de fréquentes brisures du rythme, la guitare
accordée le plus souvent en ré mineur ouvert et, contrairement à la plupart des
autres styles du Delta, sans recours au slide. Skip James, par son charisme, sa
personnalité, cette voix de tête si évocatrice, un jeu de guitare complexe et
vituose (un fingerpicking à trois doigts) personnifie véritablement le
"Bentonia Sound" et va devenir un chef d'école.
Skip, qui est un
des rares Noirs du Delta à pouvoir faire quelques études, hésite entre le
métier d'instituteur, la vocation de pasteur ou celle de musicien. Ayant opté
pour cette dernière, il gagne Jackson, la capitale du Mississippi. Il fait vite
partie du groupe de musiciens qui animent les cabarets de la ville. En 1931, sa
réputation est telle que le talent-scout H.C. Speir l'envoie dans les studios
Paramount de Grafton dans le Wisconsin.
En
trois jours, Skip James enregistre 26 titres dont les somptueux Devil got my woman et Hard
times killing floor blues, une composition bouleversante sur la
dépression de 1929. Mais Paramount fait faillite peu de temps après cette
séance, les disques se vendent mal et Skip n'en tire aucun profit financier.Tandis
qu'il survit difficilement en jouant du piano dans les bouges de Jackson, Johnnie
Temple, avec qui Skip avait partagé la chambre, et qui avait gagné Chicago
connaît un grand succès commercial avec Evil devil
blues, une version du Devil got my woman
de Skip James.
Quelques
temps après, Robert Johnson enregistre Me and
the devil, nouvelle version du même morceau. Complètement désabusé et
aigru, Skip James gagne le Texas, abandonne la musique et devient Révérend,
tout en subsistant de divers métiers (ouvrier d'une scierie, mineur de fond,
bûcheron).
En
1963, sa courte expérience de musicien professionnel est loin derrière lui
lorsqu'il retrouve un de ses cousins, le bluesman Ishman Bracey, à
l'enterrement de son père dans le Mississippi. L'année suivante, c'est Bracey
qui dirige les pas d'un trio de Yankees - John Fahey, Bill Barth, Henry Vestine
-, à la recherche de bluesmen à redécouvrir. Skip, alors hospitalisé pour une
tumeur, est quelque peu stupéfait de voir ce trio débouler dans sa chambre.
Mais quelques semaines plus tard, le bluesman se produit au festival de Newport
devant plusieurs milliers de Nordistes blancs. Malgré la rouille des ans, Skip
donne une performance mémorable. Pris alors en charge par Dick Waterman, il va
bénéficier durant les dernières années de sa vie de la faveur d'un vaste public
international et, grâce surtout au Cream d'Eric Clapton qui ont
repris son I'm so glad, d'une certaine aisance
financière malgré des frais médicaux de plus en plus lourds. Son blues profond
et sévère, solennel et austère émeut ses auditoires du monde entier. Il grave à
cette période toute une série de disques de très haut niveau. Son cancer finira
par l'emporter en 1969 et il est alors salué, à juste raison, comme un des plus
grands créateurs du Delta blues.