Lorsque
fin 97, disparaît Barbara (elle disait détester le mois de novembre), on sent
bien que c'est toute une période de la chanson française qui s'achève. Avec les
Brassens, Brel, Piaf et autre Ferré, Barbara
symbolisait en fait cette génération issue du cabaret. Faite d'abord pour la
scène, et non pour le disque, cette race d'artiste entretenait avec son public
une relation intime et forte. Il ne s'agissait pas de "starmania",
mais simplement d'amour réciproque. C'est pour son public que Barbara avait
écrit : "Ma plus belle histoire d'amour, c'est vous".
Barbara
chante Barbara |
Barbara n°2 |
Ma plus
belle histoire |
Madame |
Le soleil
noir |
L'aigle
noir |
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1964 CD |
1965 CD |
1967 GD |
1968 CD |
1968 CD |
1970 CD |
Monique
Serf (future Barbara) est née à Paris le 9 juin 1930, deuxième enfant d'une
famille qui en comptera quatre. Son père est alsacien et sa mère, originaire
d'Odessa en Ukraine (ex-URSS). Durant la Deuxième Guerre mondiale, sa famille
est obligée de changer d'hôtels sans arrêt et de faire ses valises rapidement,
comme de nombreuses familles juives. A la libération, ils s'installent dans une
pension du Vésinet. Sa voisine, professeur de chant, lui fait travailler sa
voix et lui enseigne le solfège ainsi que le piano. Entrée à l'Ecole supérieure
de musique, elle suit, dès 1947, la classe de Gabriel Paulet. Elle travaille
les mélodies de Duparc, Fauré‚ ou Debussy. Pour gagner sa vie, elle se fait
engager comme mannequin-choriste dans "Violettes Impériales" dont
Marcel Merkès est la vedette au Théâtre Mogador de Paris. A cette époque, elle
écoute Mireille, Edith Piaf, découvre Charles Trenet et
commence à ébaucher elle-même des chansons.
La fleur
d’amour |
Amours
incestueuses |
La louve |
Seule |
Femme piano |
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1971 GD |
1972 GD |
1973 CD |
1981 GD |
1996 CD |
En
1949, elle rencontre Jean Wiener qui l'envoie auditionner chez les frères
Prévert. Pierre Prévert dirige alors la Fontaine des Quatre Saisons,
cabaret parisien de la rue de Grenelle. Malheureusement, ses spectacles y sont
boudés. Pour l'aider, Prévert lui offre un emploi de plongeuse. Elle y
voit se produire Boris Vian et Mouloudji. De 1950 à 1952, elle
séjourne à Bruxelles, dans des conditions parfois difficiles, et rencontre des
peintres et écrivains qui vivent dans une vieille et belle maison qu'ils ont
transformée en ateliers et en salle de concert. Ils lui installent un piano
afin qu'elle puisse chanter en public.
Après cette
expérience, elle ouvre un cabaret Le Cheval Blanc. Mais faute d'argent,
elle rentre à Paris. Elle auditionne à l'Ecluse où elle est engagée pour
huit jours. En 1954, elle présente un tour de chant chez Moineau. Elle a
ajoute à son répertoire des chansons de Léo Ferre ou Pierre Mac Orlan,
et même les premières de Georges Brassens. L'année 57 voit
l'enregistrement d'un 45 tours à Bruxelles, Mon
pote le gitan et l'Oeillet blanc.
Barbara interprète en public ses premières compositions en 1959 : J'ai troqué ou le célèbre, Dis quand reviendras-tu ?.
En
1960, elle sort chez le label Odéon un disque où elle chante Brassens et
qui obtient le grand prix du disque et le prix d'interprétation. De tours de
chant en sorties de disques (le label Philips publie en 63 un 30 cm avec ses
propres compositions Barbara chante Barbara),
elle fait la première partie de Georges Brassens en décembre 64 à
Bobino. Elle est enfin révélée au grand public. Le 14 mars 1965, son disque est
primé par l'Académie Charles-Cros. A la fin de la cérémonie au Palais d'Orsay,
elle déchire son diplôme en quatre pour en remettre les morceaux aux
techniciens en signe de gratitude. Barbara N°2, avec notamment Gottingen et Le mal
de vivre puis Bobino, où
elle chante en vedette à partir du 15 septembre (C'est après ce spectacle
qu'elle écrit Ma plus belle histoire d'amour,
déclaration destinée à son public) vont assoir le succès de Barbara .
Elle
effectue une tournée européenne en 1967 et enregistre même un disque en
allemand qui sera par ailleurs un échec commercial. A la demande de Lucien
Morisse, directeur de la station de radio Europe1, Barbara donne le 22 janvier 1968
un récital unique à l'Olympia retransmis en direct. L'année d'après, elle
renoue avec cette salle pour un spectacle où Georges Moustaki vient la
rejoindre pour chanter leur célèbre duo La dame
brune. En 1970, l'écrivain Rémo Forlani écrit Madame, pièce de
théâtre dans laquelle Barbara joue le rôle d'une prostituée partie à la
recherche d'un amour en Afrique. Elle en compose la musique. Malheureusement,
le spectacle est un échec mais donne cependant lieu à un album orchestré par
Jean-Claude Vannier. La même année, sort un autre album, L'Aigle Noir, succès de l'été.
Rencontré
au début des années 50, Jacques Brel lui demande de venir tourner le
film Franz avec lui. En 1971 donc, elle écrit le thème du film, Eglantine. Elle enregistre aussi un nouvel album
intitulé La Fleur de l'amour. En
1972, la chanteuse débutante Catherine Lara écrit deux titres pour
Barbara. Puis l'année suivante, c'est William Sheller qui orchestre
l'album La Louve sur des textes de
François Wertheimer. Le titre Marienbad,
dont la partition est écrite par Sheller, est un immense succès, repris
par toutes les radios françaises. Elle quitte aussi Paris et va désormais
habiter à la campagne, à Précy (Seine-et-Marne).
Elle
fait sa rentrée parisienne au Théâtre des Variétés à Paris au début de 1974.
Puis elle tourne en Europe et en Israël. Elle continue de mener une vie
itinérante jusqu'en 1977. L'année suivante, François Reichenbach réalise un
film sur le spectacle qu'elle présente pendant un mois à l'Olympia en février.
Son nouveau disque, Seule, sort en
février 1981. Puis le 28 octobre, c'est la "générale" du célèbre
récital de Pantin (en banlieue parisienne). C'est un triomphe. Des barrières
sont installées devant la scène pour empêcher les spectateurs de l'envahir. Le 22
décembre 1982, elle reçoit du Ministre de la culture français, Jack Lang, le
Grand Prix National de la Chanson Française. Cette année-là, elle commence à
préparer un spectacle étonnant, Lily Passion avec le comédien Gérard
Depardieu, qu'elle avait rencontré dès 79. C'est en fait quatre ans plus
tard que le Drame cruel et tendre comme le nomme la brochure de
présentation est crée au Zénith de Paris.
Le
8 juillet, elle est invitée par le grand danseur Mikhail Baryshnikov, à venir
chanter au Metropolitan Opera de New York alors qu'il improvise une
chorégraphie sur des chansons comme Pierre
ou la Cantate. La "Dame en noir",
comme on la nomme dorénavant, revient au Châtelet en 1987, où elle crée la
chanson Sid'amour à mort, témoignage de sa
préoccupation pour les problèmes de son temps et en particulier pour le sida.
Elle reprend ensuite une tournée au Japon et au Canada.
Elle
rencontre aussi l'homme politique Jacques Attali qui lui écrit une chanson (Coline), sur une musique de Franz Schubert.
En
1990, reconnue comme une des plus grandes voix de la chanson française au style
de chant à la fois maniéré et dramatique, mais aussi comme auteur-compositeur
exceptionnel, elle commence une série de concerts à Mogador à Paris. En 1993,
après un passage à vide dû à des problèmes de santé, elle reprend le chemin de
la scène au Châtelet, mais doit abandonner le spectacle après quelques jours,
sa respiration étant trop difficile. Ce récital fait cependant l'objet d'un
disque dans lequel tout l'amour qu'elle porte à son public, et inversement,
transparaît.
C'est
en 1996 que Barbara retourne en studio pour un dernier album, Femme piano. Elle convie de grands musiciens
comme le violoniste Didier Lockwood ou l'accordéoniste Richard Galliano,
l'organiste Eddy Louis ou le chanteur, Jean-Louis Aubert. Pour
les textes, Barbara s'entoure d'auteurs confirmés tels Frédéric Botton et Luc
Plamondon, mais interprète aussi un texte écrit par le jeune comédien Guillaume
Depardieu, A Force de. En dépit d'un accueil
public et critique toujours excellent, la chanteuse ne retrouve pas la scène en
raison des problèmes respiratoires qui ne lui permettent plus cet effort.
Réfugiée dans sa maison de Précy-sur-Marne, Barbara commence alors à écrire ses
mémoires. En dépit d'une immense discrétion, elle reste très au courant de la
vie du monde et s'investit dans de nombreuses causes. Jusqu'au bout, elle
soutient ardemment l'action de l'association de lutte contre le sida, Act-Up, à
qui elle cède, en 96, la totalité des droits de la chanson Le Couloir. Elle se consacre également au sort des
détenus dans les prisons qu'elle visite régulièrement et ouvre même une ligne
téléphonique confidentielle pour répondre aux personnes en détresse de jour
comme de nuit. Mais, sa générosité se vérifie au sein même de son village
puisqu'elle participe souvent à la vie de Précy, et n'hésite pas à cuisiner
pour les enfants ou à offrir nombre cadeaux pour les arbres de Noël.
Hospitalisée
le dimanche 24 novembre 97, elle meurt le 25 suite aux problèmes respiratoires
qui l'handicapaient depuis des années. Son décès est ressenti comme un choc par
son public qui du jour au lendemain se sent orphelin. Deux mille personnes,
essentiellement des anonymes se pressent à ses obsèques, le jeudi 27 novembre
dans le carré juif du petit cimetière de Bagneux en banlieue parisienne.
En septembre 98
sort aux éditions Fayard à Paris, le livre de ses mémoires, intitulé "Il
était un piano noir…". Ce travail (inachevé) qu'elle avait entre-entrepris
un an avant sa mort révèle un secret douloureux, celui de l'inceste commis par
un père qui finit par abandonner sa famille et mourir seul à Nantes. Elle y
raconte aussi son désir quasi obsessionnel de chanter, son attachement aux
pianos noirs et ses errances de jeunesse. Ce témoignage éclaire un peu la
personnalité mystérieuse de la chanteuse et nous donne quelques clés pour mieux
comprendre son œuvre.
Le
30 janvier 2000, ses biens sont vendus aux enchères, ainsi que la maison de
Précy. Puis, en juin, sont mis en vente de nombreux souvenirs dont son célèbre
fauteuil à bascule ou ses vêtements de scène. Cette vente provoque un vif émoi
parmi ses admirateurs et amis qui voulaient lutter contre la dispersion en
créant un musée. Ils ont d'ailleurs réussi à racheter certains de ces objets
grâce à des dons.
Femme
à la voix fragile, toujours à la limite de la rupture, Barbara a exercé son art
avec une générosité totale. Par la poésie, la sienne ou celle de nombreux
auteurs, chanteurs ou écrivains, elle a conversé toute sa vie avec un public
amoureusement fidèle. Accompagnée de son piano, de son rocking-chair et de son
châle noir, Barbara demeure une artiste intense et troublante