Michel Berger

Nous n'avons pas eu le choix, ni Gainsbourg, ni moi. "Si on avait pu chanter nos chansons nous-mêmes, nous l'aurions fait. Ça me gonflait d'écrire pour les autres. Pourtant sans France et Françoise, j'aurais disparu de la circulation. " Par ces mots, Michel Berger, né en 1947, expliquait son approche du métier, ou comment il mit son talent original au service d'une chanson française pop de qualité.

Le père de Michel, Jean Hamburger, est un éminent professeur de médecine , sa mère, Annette Haas, une concertiste réputée. Il a à peine trois ans quand ses doigts se posent sur le clavier du piano familial. Musicien passionné, il étudie la guitare, le solfège, l'harmonie, l'orchestration. A quinze ans, nettement plus accroché par Ray Charles et Jerry Lee Lewis - c'est lui qui Jouait du piano debout... - que par Mozart, il écrit ses premières compositions. C'est un adolescent timide mais décidé qui place une première chanson (La girafe) à... Bourvil ! Nous sommes en 1963, il se lance dans la grande vague yé-yé avec un relatif succès (Tu n'y crois pas). Il enchaîne huit 45 tours jusqu'en 1966. Ces débuts précoces lui permettent de figurer sur la légendaire photo de Salut les Copains regroupant toutes les idoles de l'époque. Frais émoulu de la fac, il devient directeur artistique de Pathé-Marconi, travaillant pour des artistes comme Monty ou Dani. C'est lui qui réalise (Adieu, jolie Candy) l'énorme succès de Jean-François Michaël. En voyage à Los Angeles en 1970, il écrit et produit un américain, Jeremy Faith, et décroche un hit surprise, bien dans le temps : (Jesus). Fan des Beatles (période Sergeant Pepper's), des Bee Gees, et des groupes pop-rock aux riches orchestrations (Moody Blues, Procol Harum), il engloutit une grande partie des profits de son succès dans Puzzle, un Concerto pour piano, groupe pop et orchestre symphonique, mais aussi un bide colossal.

En compagnie de Claude-Michel Schönberg il se remet au travail et produit Amoureuse, le premier album de Véronique Sanson. Ils s'aiment et musicalement leurs univers sont en parfaite osmose. Il souffre terriblement lorsqu'elle le quitte pour le guitariste américain Stephen Stills. Berger, si pudique, n'hésite d'ailleurs pas à publier un album (à l'époque confidentiel) portant sur la pochette un cœur brisé. Il a pourtant déjà croisé France Gall. Il est même amusant de noter qu'il ne souhaitait pas vraiment la rencontrer, ayant gardé d'elle l'image Sacré Charlemagne et Les sucettes de ses débuts yé-yé. À vrai dire, elle sort d'une véritable traversée du désert et d'une longue histoire d'amour avec Julien Clerc : il relance bientôt sa carrière, en 1973, avec La Déclaration, mais elle n'est pour l'heure que son interprète.

D'autres commencent à frapper à sa porte. La même année, Françoise Hardy fait recette avec le superbe Message Personnel qu'il lui a écrit sans oublier Je suis moi. En 1976, il épouse France Gall et lui fait enregistrer les chansons (Samba Mambo, Comment lui dire) qui concrétisent la métamorphose de la Poupée de son. À la demande des Carpentier, à l'occasion d'un " Numéro 1 " spécial, il s'essaie avec France à la comédie musicale (Ça balance pas mal à Paris). Ce n'est qu'une ébauche.

En 1978, sur des textes du Québécois Luc Plamondon, c'est la sortie événement de Starmania. Les interprètes (France, mais aussi Daniel Balavoine, Diane Dufresne, Nanette Workman, Fabienne Thibault) et les auteurs ont en commun une position originale, mais pas toujours confortable, dans le showroom francophone : à la frontière du rock et de la variété, ils ont du mal à trouver un public qui les suive. Les indéniables qualités de Starmania, avec ses mélodies accrocheuses, son argument fort (" La passion de Johnny Rockfort selon les évangiles télévisés " en est le sous-titre), alors d'avant-garde, en font un immense succès. Plusieurs chansons deviennent des standards : Le Blues du Business man, Les Uns contre les autres, Le monde est stone

Pour Berger, 1980 est une grande cuvée. Lui, le timide, qui a tant de mal à imposer sa voix haut perchée et hésitante, connaît enfin le succès en tant qu'interprète de ses compositions, particulièrement (La Groupie du Pianiste) qui figure sur l'album Beausejour. Le pianiste de la chanson, c'est Elton John, qui lui retourne la politesse en enregistrant en duo avec France deux chansons de Michel : (Les Aveux, Donner pour donner).Ce sont alors des années fastes. Les succès s'enchaînent avec une extraordinaire régularité, interprétés soit par France, soit par Michel avec notamment ses deux albums Beaurivage et Voyou.

Il réussit à vaincre sa timidité pour affronter la scène en tête d'affiche. Il y prend même un certain plaisir, ce qui le conduira à affronter des salles de la taille du Zénith. Fin 1985, le " Vadim de la chanson " (comme certains l'ont surnommé) trouve un interprète masculin à sa mesure en la personne de Johnny Hallyday. Rock'n'roll attitude, entièrement composé par Berger, est pour Johnny l'album du renouveau. Michel lui taille sur mesure des chansons d'homme mûr, et non plus d'éternel rocker rebelle : Le chanteur abandonné ou Quelque chose de Tennessee relancent magnifiquement la carrière de l'idole. Une version rebaptisée Quelque chose de Chirac, chantée par Hallyday à l'occasion d'un meeting lors des présidentielles de 1988, jette un froid entre l'interprète et le compositeur et Gall, ces derniers n'ayant jamais fait mystère de leur amitié pour François Mitterrand. Les années 80 s'achèvent avec éclat. Ella, elle l'a par France, devient énorme succès dans toute l'Europe. L'album Débranche se vend 800 000 exemplaires rien qu'en Allemagne ! La comédie musicale Starmania est remontée sur scène avec une nouvelle troupe. Les nouveaux interprètes, parmi lesquels Maurane, Martine St Clair ou Renaud Hantson, soutiennent la comparaison avec leurs prédécesseurs et cette reprise est un triomphe. Ce nouveau succès aide à mieux faire passer la pilule de la légende de Jimmy, seconde comédie musicale signée Plamondon / Berger mise en scène par Jérôme Savary. Sans être un échec total, c'est un succès très limité. Seule la chanson titre, interprétée par Diane Tell, peut être considérée comme un hit mineur.

Nous sommes en 1990. Déjà au milieu des années 80, Michel, sa femme et Daniel Balavoine avaient pris du recul sur leur métier, en s'investissant fortement dans des actions caritatives (Action école, associée au Live Aid). Cette fois Michel avoue franchement une certaine lassitude. Il a d'autres envies et caresse un projet cinématographique : Totem , sur la vie des Indiens de Colombie britannique. Pour des raisons de production, ce projet ne verra jamais le jour.

Au printemps 1992, c'est le retour à la musique. Avec l'album qu n'attendait plus : Double jeu, entièrement en duo avec France. C'est la première fois depuis (Ça balance pas mal à Paris), une quinzaine d'années auparavant. Le disque est accueilli avec autant d'intérêt que de surprise. La chanson Laissez passer les têtes marque une évolution dans le style de Michel, qui peut même déconcerter ses fans les plus fidèles. On parle d'une scène en duo à la rentrée. Michel est aux anges pour une seconde raison : lui, si fan de la pop anglo-saxonne, n'a jamais trouvé sa place là-bas, mais cette fois-ci il touche au but avec Tycoon, l'adaptation de Starmania avec des interprètes aussi éclectiques qu'exceptionnels : Nina Hagen, Céline Dion, Tom Jones, Peter Kingsberry (ex-Cock Robin). À la grande satisfaction de Berger, The Word Is Stone, magistralement interprété par Cyndi Lauper, entre dans les dix premières places du top britannique. Heureux, Michel part en famille en vacances à Saint-Tropez. Le dimanche 2 août 1992, il joue au tennis sous le soleil. Il est pris d'un malaise cardiaque et succombe le lendemain.