Georges Chelon
Janvier 1943. La guerre se répand sur tout
le territoire français. Les troupes de la Wehrmacht ont franchi depuis deux
mois la ligne de démarcation. La zone libre a vécu. A Marseille, le vieux port
vient d’être dynamité. Georges Chelon ouvre les yeux sur un paysage désolé. La
Cannebière a pris ses quarties d’hiver. Une saison qui va sembler s’éterniser.
« Période de flou, commente-t-il aujourd’hui. Je ne me souviens pas de grand
chose. Mon père, m’a-ton dit, était prisonnier. On m’a envoyé chez un oncle qui
tenait une quincaillerie à Tonneins, dans le Lot-et-Garonne. »
Au sortir de la
guerre, la famille s’installe à grenoble ; le père souhaite y créer une
agence d’assurances. Le couple, qui s’est marié très jeune, vit modestement
dans l’une de ces cités élevées dans la hâte de la reconstruction. « Une
tour de béton, de vitres et d’acier. » Bref, rien que la normalité d’une
époque où chacun aspire à rattraper le temps perdu. Un bonheur que l’on confond
volontiers avec ces objets ménagers que la publicité commence à propulser à
coups de crédits racoleurs. Pour Georges, tout va cependant chavirer très vite.
Un jour d’été 1950,son père quitte le foyer
familial. « Nous sommes revenus de vacances, ma sœur et moi. Il était parti.
Sans un mot. Sans un regret. En tout cas, je l’ai vécu comme tel. Bien sûr, il
avait laissé ma mère. Mais, bien plus, il m’avait abandonné… A ce moment, tout
s’est passé sans problème apparent. Extérieurement tout allait bien. Et les
miens – ma mère en particulier – m’ont conforté dans l’apparence. »
Mais la blessure est là. L’adolescent se referme sur lui-même. « Grandir
à côté de parents/ Qui se brouillent et qui se séparent/ […] Vieillir au cruex
se son enfance/ Presque en cachette de la vie. » Les établissements
scolaires se succèdent. Sur la liste de ces lieux dispensateurs du savoir
figurent le collège des frères maristes de Saint-Louis, à Lyon, et le lycée
Champollion, à Grenoble, où il « arrache » ses deux bachots. « Non
sans peine, avoue-t-il, mais c’était là le souhait de ma mère. La
condition sine qua non pour s’en sortir . »
Le moment crucial du choix est arrivé.
Quelle filière emprunter ? Georges n’a aucune ambition particulière si ce
n’est celle du refus. Surtout pas les assurances, cette institution qui, après
son père, a phagocyté sa mère et le futur mari de sa sœur, Christiane. Il songe
à devenir archéologue ou chirurgien (« grand, bien sûr ! »)
pour finalement opter pour le journalisme. « Grand reproter, peut-être… ».
Il se retrouve pendant un an à Sciences-Po. Mais l’élève indiscipliné d’hier a
perdu ses repères. Alors qu’il rêvait de liberté, il se rend compte qu’il ne
parvient même pas à gérer un planning où la vacuité lui tient lieu
d’horizon : « Notre principal boulot consistait à lire Le
Monde… L’Equipe m’emballait davantage, à vrai dire. » Quand il le
peut, il joue au football. Un virus « attrapé » tout gosse,
dans la cour Jean Jaurès des grands ensembles grenoblois.
En 1963, lors d’un séjour en Espagne, il
s’achète une guitare. L’instrument est consensuel : il est pratiqué aussi
bien par Brassens que par Hallyday ! Les vacances d’été se
passent chaque année au camping de La Napoule, en dessous de Cannes, où il
retrouve la même bande de copains (et de copines) pour lesquels il va s’amuser
à interpréter les succès de Brel et d’Aznavour. « Pour
autant ma culture musicale était nulle. J’écoutais surtout Paul Anka, Brenda
Lee et les Platters… Des trucs à la mode. Je considérais alors Richard
Anthony [rire] comme le représentant type de la chanson à
texte ! » A Grenoble, notre artiste en herbe bénéficie des
conseils d’un professeur de musique. En 1964, le voilà fin prêt pour affronter
un vrai public. Pourquoi pas celui de concours de chant organisé par Radio
Monte-Carlo avec Pathé-Marcony ? Un Star Academy avant la lettre qui
propose un enregistrement en guise de bâton de maréchal. « Tant qu’à
faire, je me suis dit qu’il valait mieux se présenter avec des œuvres
originales. J’écrivais des textes depuis tojours. J’y suis allé avec Rose des vents et Par-ci
par-là sur lesquels j’avais collé une petite ritournelle. Les gens
ont applaudi. Et j’ai eu le prix… Je ne savais pas que Pathé-Marconi
auditionnait chaque jeudi et que le prix en question correspondait à une de ces
auditions de routine d’où l’on repartait avce un disque souple. J’étais tout à
fait inconscient, mais cette ignorance se révéla tout de même positive. Elle
m’insuffla une force, une détermination que je ne soupçonnais pas. »
En fait, la chance de Georges Chelon a un
nom, un visage en la personne du directeur artistique de Pathé Marconi, René
Vanneste. C’est lui qui, le jour du concours, lui suggère de venir à Paris et
de lui présenter ses textes et ses musiques. Georges, dans l’intervalle, aura
fait ses premières armes à Brive La Gaillarde, « entre deux ventes de
bestiaux », là où se sont installés sa sœur et son beau-frère, puis en
Corse, durant les entractes de l’Empire, un cinéma qui lui offre les services
d’un pianiste.
Etape suivante : Paris. René Vanneste,
fudèle à sa promesse, écoute le jeune homme, tente de le décourager… puis le
signe finalement pour une période d’essai. Georges a 21 ans. L’âge d’une
majorité qui pour uen fois correspondra à une véritable émancipation. Un
premier 45 tours quatre titres paraît en février 1965. Le ton est quelque peu
désuet, sentimental à souhait : « J’étais très pointilleux sur les
textes. Avec l’exigence de mon âge, bien sûr… » Le disque est plutôt
bien accueilli. Surtout en radio. Le producteur décide d’embrayer immédiatement
sur un album, ce qui, en cette époque de yéyé, est loin d’être courant. On
demande à Roland Vincent – le musicien de Michel Delpech – d’en assurer
les arrangements. Le garçon à la guitare est lancé. L’album, Père Prodigue, sort en juin et reçoit la
consécration de la Sacem et de l’Académie Charles-Gros avant de se vendre à 300
000 exemplaires. Voilà de beaux débuts !