S'il n'en reste qu'un... Vous savez, la
question classique du journaliste en mal d'inspiration: "si vous partiez
sur une île déserte..." L'intégrale Gainsbourg, sans hésiter. Parce que,
dans Gainsbourg, il y a tout. La poésie, l'humour, la provoc, le désespoir,
l'amour, le sexe, l'alcool... Gainsbourg, c'est nous tous. Sans faux-nez, beau
et laid à la fois. Et puis, il y a le jazz, la java...naise, le reggae, le
rock, le funk... Du Poinçonneur des Lilas à Love on the Beat, il a tout compris. Alors,
décidément, pour l'île déserte : un Gainsbarre, sinon rien. Personnalité
singulière de la culture française, Serge Gainsbourg fut bien plus qu’un
chanteur. Musicien, compositeur, poète, écrivain, acteur, réalisateur, peintre,
" l’homme à la tête de chou " fut avant tout un immense mélodiste et un
auteur de génie qui savait manier la langue française avec un talent très
personnel.
Le 2 avril 1928,
naissent à Paris Lucien Ginzburg et sa sœur jumelle, Lilianne. Leurs parents,
Joseph Ginzburg et son épouse, Olia Bessman, se sont installés à Paris en 1919
après avoir fuit la Russie via Istambul. A leur arrivée en France, leur premier
fils Marcel meurt d'une pneumonie à seize mois. Puis en 1927, était née une
fille, Jacqueline. Joseph, juif ashkénaze, est musicien et peintre. Plutôt
pianiste classique, il devient à Paris musicien de jazz dans les bars et les
boîtes de nuit à la mode. Son fils, Lucien, se met au piano très jeune, et
suivant les traces de son père, se forme au classique puis au jazz, par
l'intermédiaire des œuvres de George Gershwin. Une rencontre avec la grande
vedette de l'époque, Fréhel, en 1938, laisse un souvenir inoubliable au
jeune garçon et influencera certainement son intérêt pour la chanson.
Pendant la guerre, la famille Ginzburg se
réfugie en zone libre, vers Limoges. En 1945, après le retour dans la capitale,
Lucien entre au lycée Condorcet dont il est renvoyé assez rapidement.
Pratiquant le dessin et la peinture depuis longtemps, Lucien intègre donc
l'école des Beaux-Arts. Lucien est obnubilé par la peinture et travaille
énormément dans le but de réussir le chef-d'œuvre qui le ferait entrer dans le
cercle étroit des génies tels Goya ou Picasso. Mais éternellement insatisfait
de son travail, il en gardera toujours un complexe. Pour gagner sa vie, Lucien
joue du piano dans les bars où son père bénéficie d'une petite notoriété. Mais
surtout, à cette époque, il découvre le jazz.
En 1947, il rencontre Elisabeth Levitsky,
fille d'aristocrates russes, qui devient sa compagne jusqu'à leur mariage le 3
novembre 1951. Il reprend alors l'enseignement du dessin qu'il avait déjà un
peu pratiqué, et s'occupe également d'une chorale. En 1954, Lucien dépose six
chansons à la SACEM (Société des auteurs compositeurs) dont deux seulement
seront sauvées de l'oubli : Défense d'afficher
chantée par Pia Colombo en 1959 et Les amours perdues
qu'il offre à Juliette Gréco en 1961. Sous le pseudonyme de Julien
Grix, il continue à écrire pour la revue d'un cabaret de travestis, Chez
Madame Arthur. Entre 1954 et 1957, il joue également du piano tous les étés
dans un club du Touquet, période d'apprentissage intense pour ce pianiste
autodidacte.Séducteur infatigable, Lucien Ginzburg s'éloigne de son épouse dont
il finit par divorcer en octobre 1957.
1958 est une année essentielle de la
carrière de Serge Gainsbourg qui commence par prendre ce nouveau nom. Il
choisit Gainsbourg en hommage au peintre anglais Gainsborough, et Serge qui
souligne ses origines russes. Cette année-là, Serge Gainsbourg va choisir de
détruire tout son travail de peintre et d'arrêter définitivement la peinture.
Son père lui trouve une place de pianiste-guitariste au cabaret Milord
l'arsouille où il accompagne la chanteuse Michèle Arnaud. Il va alors
rencontrer Boris Vian, auteur-compositeur, écrivain et trompettiste de
jazz. De cette rencontre, va naître chez Gainsbourg un vrai goût pour la
composition. Partageant le même humour cynique et le sens aigu de la dérision
que Vian, Serge Gainsbourg va se sentir plus libre pour écrire et surtout
chanter ses propres textes.
Dès ses débuts, son style ne laisse
personne indifférent. Il provoque soit le rejet soit l'enthousiasme. Denis
Bourgeois, qui travaille pour le directeur artistique, Jacques Canetti,
le remarque et lui propose d'enregistrer une maquette. Quelques jours plus
tard, Serge Gainsbourg signe chez Philips, label qu'il n'a jamais quitté. Avec
l'arrangeur de Boris Vian, Alain Goraguer, Serge Gainsbourg compose son
premier disque qui sort quelques mois plus tard sous le nom de Du chant à la une !…. Malgré des critiques
sévères, l'album obtient en 1959 le Grand Prix de l'Académie Charles Cros,
prestigieuse récompense musicale, grâce en particulier au titre Le poinçonneur des Lilas, grand classique du
répertoire de Gainsbourg. Suite à la dureté des attaques contre Gainsbourg lors
de la parution de ce premier disque, Boris Vian, quelques mois avant sa mort,
va signer un article dithyrambique dans le journal satyrique, Le Canard
Enchaîné.
En dépit donc, d'une certaine hostilité
générale, mais qui n'est pas pour lui déplaire, Serge Gainsbourg est très vite
reconnu comme un auteur novateur. Son deuxième album 25cm, format de l'époque,
est un échec. Mais Gainsbourg commence à écrire beaucoup pour les autres, et en
particulier pour Juliette Gréco, qui le choisit pour renouveler son
répertoire. Toujours en 59, Serge Gainsbourg croise Brigitte Bardot sur
le tournage du film Voulez-vous danser avec moi ? réalisé par Michel
Boisrond. La carrière d'acteur de Gainsbourg restera balbutiante, mais le
cinéma sera cependant très présent dans sa vie. Dès cette année-là, il signe
d'ailleurs sa première musique de film pour L'eau à la bouche de Jacques
Doniol-Valcroze.
En 1961, son
troisième album, L'étonnant Serge Gainsbourg
fait une grande place à son amour de la littérature. Dans La chanson de Maglia, il évoque Victor Hugo, et dans La chanson de Prévert, il chante le grand poète
français. Ce titre sera reprise immédiatement par de nombreux artistes dont Mouloudji
ou la Québécoise, Pauline Julien. A cette époque, Gainsbourg passe sur
la scène du music-hall parisien, l'Olympia, d'abord comme invité de Jacques
Brel, puis de Juliette Gréco. Il fait également quelques tournées en
Belgique et en Suisse. Tout en continuant de travailler pour les autres et
d'élargir le cercle de ses interprètes, il sort à peu près un album par an en
tant qu'interprète. En 1963, c'est à Londres que Serge Gainsbourg enregistre un
45 tours de quatre titres, parmi lesquels la Javanaise,
autre titre essentiel de son répertoire et que Juliette Gréco reprend la
même année sur un de ses disques. Visionnaire et précurseur, Gainsbourg cherche
à Londres, un son plus moderne que ce qui est produit dans les studios
français. Pendant une dizaine d'années, il continuera souvent à travailler
outre-Manche.
En octobre 63, Serge Gainsbourg passe pour
la première fois en vedette à l'Olympia entouré de deux musiciens de jazz, le
contrebassiste Michel Gaudry, et le guitariste tzigane, Elek Bacsik. C'est le
même trio que l'on retrouve sur le quatrième album de Gainsbourg, et le premier
en format 30cm, qui sort en 1964, Gainsbourg
Confidentiel.
Le 7 janvier 1964, Serge Gainsbourg se
marie pour la seconde fois avec Françoise-Antoinette Pancrazzi, que tout le
monde appelle Béatrice, et le 8 août naît son premier enfant, une petite
Natacha. A la fin de l'année, sort l'album Gainsbourg
Percussions. Après l'ambiance jazzy du précédent, Gainsbourg
s'inspire cette fois des rythmes afro-cubains assez à la mode à cette époque,
mais dont il fait un usage moins "folklorique" que d'habitude. Deux
titres de cet album restent célèbres : Couleur Café et
New York USA, titre pour lequel il s'est
inspiré d'un chant traditionnel sud-africain.
Nous sommes au début des années 60, et le
paysage musical est inondé par la vague yéyé. Elle balaie un peu la chanson
traditionnelle dont Gainsbourg fait encore partie, du moins aux yeux de la
jeunesse qui ne se reconnaît pas vraiment dans cet artiste qui lui semble
encore trop intellectuel. En dépit d'une période de doute, Serge Gainsbourg va
pour la première fois prouver son immense sens d'adaptation en matière de
courants musicaux. Par l'intermédiaire de Denis Bourgeois, qui l'avait
découvert en 1958, Serge Gainsbourg va rencontrer une toute jeune chanteuse de
16 ans, France Gall. Il lui écrit quelques titres, mais c'est la chanson
les Sucettes qui scellera leur collaboration.
Gainsbourg entre alors dans les hit-parades et concurrence les plus gros tubes
de l'époque. Son auditoire s'élargit, se rajeunit, et sa notoriété ne fait
qu'augmenter. En 1965, le titre Poupée de cire, poupée
de son, toujours interprété par France Gall, remporte le Prix
Eurovision de la chanson.
Actrices et chanteuses se disputent ses
compositions et Gainsbourg écrit à cette époque pour Régine Les p'tits papiers, pour Valérie Lagrange,
pour les anglaises Petula Clark et Marianne Faithfull, pour Dalida,
et pour l'actrice Mireille Darc. Il retrouve même Brigitte Bardot
pour qui il écrit un 45 tours de quatre titres. En février 1965, la chanteuse Barbara
lui propose de faire une série de concerts avec elle, mais devant l'hostilité
du public, Serge Gainsbourg décide de cesser cette collaboration. Il ne
remontera pas sur scène avant 1979.
En 1966, le metteur en scène Pierre
Koralnik souhaite réaliser une comédie musicale, et s'adresse à Serge
Gainsbourg. Avide de nouvelles expériences, Gainsbourg se lance dans l'écriture
de Anna, qui réalisée pour la télévision et diffusée en janvier 1967, sera une
des premières émissions en couleurs. Interprète principale de l'histoire, la
comédienne d'origine danoise, Anna Karina, chante le titre phare du
film, Sous le soleil exactement. Divorcé de sa
femme, Serge Gainsbourg s'installe en février 1966 à la Cité internationale des
Arts où vivent des artistes du monde entier. Malgré son statut de vedette, il
va vivre deux années dans cette petite chambre d'étudiant. Il renoue cependant
avec Béatrice en 67, en au printemps 68 naîtra un deuxième enfant de ces
retrouvailles éphémères, Paul, enfant qui ne connaîtra jamais vraiment son
père.
Durant l'été 67,
Serge Gainsbourg tourne Ce sacré grand-père avec Michel Simon, film dont
est tiré un duo entre les deux hommes, L'herbe tendre. Durant les années
60 et 70, on verra beaucoup Serge Gainsbourg sur les écrans de cinéma et de
télévision, bien que les films auxquels il va participer soient dans l'ensemble
peu mémorables. En 1968, il partage l'affiche avec un autre monument du cinéma
français, Jean Gabin, dans le film de Georges Lautner, Le Pacha. Il en
écrit également le thème principal, Requiem pour un
c…. A l'automne, les routes de Brigitte Bardot et de Gainsbourg
se croisent à nouveau, mais cette fois, ils ne vont plus se quitter pendant
plusieurs mois. Une émission de télévision consacrée à la star est en
préparation et, à cette occasion, Serge Gainsbourg écrit de nombreux titres qui
donnent lieu chacun à une mise en scène particulière dans le "Show
Bardot" diffusé le 1er janvier 1968. Harley
Davidson, Comic strip ou le duo de Bonnie and
Clyde sont immortalisés par une Bardot alors au sommet de sa notoriété.
Gainsbourg écrit aussi un titre qui va engendrer un énorme scandale, Je t'aime moi non plus. Bien qu'enregistré à l'époque
par le couple, cette version restera inédite jusqu'en 1986. Alors mariée au
milliardaire Gunther Sachs, Bardot demande à Gainsbourg de ne pas sortir cette
chanson, souhait qu'il respectera. Cette version n'apparaît donc pas sur les
deux albums renfermant des duos du couple Gainsbourg-Bardot, Bonnie and Clyde et Initials
BB.
Serge Gainsbourg, qui continue toujours à
écrire pour les autres, compose en 1968 deux titres pour la jeune chanteuse Françoise
Hardy, issue de la vague yéyé. Elle enregistre un 45 tours deux titres avec
L'anamour mais surtout Comment
te dire Adieu.
En 1968, Serge Gainsbourg rencontre celle
qui va désormais marquer sa vie professionnelle et personnelle, Jane Birkin.
Jeune comédienne anglaise née en 1946, Jane Birkin rencontre Gainsbourg sur le
tournage du film de Pierre Grimblat, Slogan. Un couple légendaire se
forme alors. Dès novembre 1968, Jane enregistre à Londres quatre titres de
Serge Gainsbourg, L'anamour, 69 année érotique, Jane B,
mais surtout une nouvelle version de Je t'aime moi non
plus. Comme la première fois, avec Bardot, le scandale éclate mais cette
fois, le disque est commercialisé et la version de Gainsbourg-Birkin devient célébrissime.
Cependant, de nombreux pays interdisent le titre et Gainsbourg lui-même décide
de le retirer du premier album qu'il sort avec sa nouvelle compagne.
A la fin des années 60, Serge Gainsbourg
est le français qui s'exporte le mieux. Ses disques et ceux de ses interprètes
se vendent en Europe mais aussi outre-Atlantique. Le couple s'installe dans
l'hôtel particulier que Serge Gainsbourg vient d'acquérir rue de Verneuil dans
le 6ème arrondissement de la capitale. Au printemps 69, ils partent au Népal
pour tourner le film d'André Cayatte, Les chemins de Katmandou, dont
Gainsbourg compose la musique. Dès l'arrivée de Jane Birkin, son travail pour
d'autres interprètes (féminines), et pour lui-même, se ralentit. Gainsbourg
préfère se consacrer à sa vie personnelle stabilisée, et suit sa compagne sur
la plupart de ses tournages. En 1971, Gainsbourg écrit Melody Nelson, album entièrement conçu autour de
Jane Birkin, et arrangé par Jean-Claude Vannier. Le disque est un énorme succès
public et la critique parle de "chef-d'œuvre".
Le 22 avril 1971, meurt Joseph Ginzburg.
Jusqu'à ses derniers mois, le père de Serge Gainsbourg était resté très
attentif à la carrière de son fils et accordait une grande importance à son
travail. Trois mois plus tard, le 21 juillet 1971, Jane Birkin accouche à
Londres d'une petite Charlotte. A la fin de l'année, Gainsbourg écrit la revue
que la chanteuse et danseuse Zizi Jeanmaire, doit présenter au Casino de Paris.
En tant qu'interprète, il sort également un 45 tours qui une fois encore, fait
scandale, La décadanse. Après avoir célébré Melody Nelson, la presse retrouve envers
Gainsbourg, des termes acerbes et sévères, et parle de "mauvais
goût".
En 72, Gainsbourg collabore pour la
première fois avec le chanteur Jacques Dutronc, puis écrit à nouveau
pour Régine et pour France Gall. En 1973, il compose pour
Françoise Hardy, mais cette année-là, son travail se partage surtout entre son
propre album Vu de l'extérieur, et le
premier album de Jane Birkin, Di Doo Dah.
En mai, Serge Gainsbourg fait une crise cardiaque. C'est à cette époque que
Serge Gainsbourg commence à présenter une image qui ne fera que s'accentuer
jusqu'à sa mort, celle d'un homme mal rasé, buveur, fumeur, et provocateur.
Bien qu'il continue de sortir des disques et d'écrire, il ne vend pas beaucoup
tout en restant cependant une référence de la chanson française. L'attitude
publique de Gainsbourg va le rendre à partir de cette époque de plus en plus
populaire parmi la jeunesse, qui dans les années 70, puis 80, se reconnaîtra
dans cet homme qui n'hésite pas à braver les convenances.
Durant l'année 1975, Gainsbourg va beaucoup
faire parler de lui en provoquant une nouvelle fois les foudres d'une partie du
public et de la critique. Tout d'abord, sort au printemps, l'album Rock around the bunker, dans lequel Serge
Gainsbourg évoque à sa façon, la période nazie. Abordant des sujets ultra
sensibles, les titres Nazi rock ou SS in Uruguay sont ignorés de la plupart des radios,
mais comme d'habitude, Gainsbourg est défendu par quelques fidèles qui avant de
voir en lui un provocateur, préfèrent reconnaître son talent. Suite à cet
album, sort celui de Jane Birkin, Lolita go home.
Puis, en septembre, démarre le tournage du film Je t'aime moi non plus
dans le sud de la France. Pour sa première réalisation (dédiée à Boris Vian),
Serge Gainsbourg fait preuve, comme pour la musique et la chanson, d'un style
inédit. Entouré de Jane Birkin et de l'Américain Joe Dalessandro (et même de
Gérard Depardieu dans un rôle de figuration), Gainsbourg conte une histoire
d'amour entre un homme et une jeune femme aux allures de garçon. Lors de sa
sortie en mars 76, la plupart des critiques éreintent le film, mais quelques
journalistes évoquent une comparaison avec le cinéma américain
"underground" et louent la performance de Jane Birkin. Le réalisateur
François Truffaut donne même un avis fort élogieux lors d'un entretien à la
radio. Ce film, qui est sans doute le meilleur de Serge Gainsbourg en tant que
réalisateur, est aujourd'hui presque devenu un classique. La sortie de la bande
originale est simultanée à celle du film.
Serge Gainsbourg, qui ne vend toujours pas
beaucoup de disques, commence à réaliser des films publicitaires dont certains
resteront fameux tels ceux pour "le savon des stars" qu'il réalise avec
entre autres Marlène Jobert, et bien sûr, Jane Birkin.En 1976, Serge Gainsbourg
enregistre un nouvel album, L'homme à la tête de
chou qui sort en janvier 77. Comme pour Melody
Nelson, Gainsbourg retrouve les compliments de la critique. A
l'époque du disco et du mouvement punk, Gainsbourg survole les modes ou s'en
sert si elles l'intéressent. Dans cet album, Gainsbourg innove à nouveau en
utilisant des rythmes reggae, encore méconnus en Europe (Marylou reggae). Cette année-là, il signe en outre
quelques musiques de films, plutôt érotiques (Madame Claude, Goodbye
Emmanuelle). Il rencontre également Alain Chamfort, et lui écrit un
album, Rock'n'Rose, qui sort le chanteur
de son image de "minet".
L'année 78 est marquée
par un nouvel album pour Jane Birkin, Ex fan des
sixties, et par la musique du film Les Bronzés écrit par la
troupe du Splendid, et dont le titre Sea Sex and Sun
devient le tube de l'été. Serge Gainsbourg, qui souhaite continuer à travailler
sur des rythmes reggae, fait appel en 1979 aux meilleurs musiciens jamaïcains,
et en particulier à la section rythmique du chanteur Peter Tosh, soit
Sly Dunbar, Robbie Shakespeare et Sticky Thompson, ainsi qu'aux choristes de Bob
Marley dont sa femme Rita. Il part donc à Kingston, en Jamaïque, et en
moins d'une semaine, naît un album qui sort en avril 1979. Nouveau succès avec
ce disque qui en quelques mois, se vend à plus de 300.000 exemplaires. Outre
une reprise reggae de la Javanaise, c'est le
titre Aux armes et cætera qui fait le
plus parler de lui. Version de l'hymne national français, "la
Marseillaise", revue et corrigée à la sauce jamaïcaine, ce titre va
provoquer des émois parmi les plus patriotes habitants du pays, et en
particulier dans l'armée. Cependant, Aux armes et
cætera devient un tube et inonde les radios pendant de nombreux mois.
Serge Gainsbourg avait rencontré en 1978,
le groupe de rock Bijou. Après leur avoir écrit quelques titres, Gainsbourg va
se laisser convaincre par les trois membres du groupe, de remonter sur scène.
C'est donc au Palace, célèbre boîte de nuit parisienne, qu'à lieu ce retour
spectaculaire fin décembre 1979. Pendant dix soirées, le Tout-Paris va se mêler
à un public nombreux et fort enthousiaste de retrouver Gainsbourg. Suit une
tournée triomphale, entrecoupée par des épisodes agités dus à la très
controversée version de l'hymne français. Le passage le plus célèbre se joue à
Strasbourg où, violemment prit à partie par les parachutistes (un des corps de
l'armée française), Gainsbourg n'hésite pas à leur chanter une version tout à
fait classique de "La Marseillaise". Serge Gainsbourg, qui n'avait
pas cherché à choquer en adaptant l'hymne français, s'était senti très blessé
des nombreuses attaques dont il avait été victime.
Au printemps 1980, Serge Gainsbourg rajoute
une corde à son arc en publiant un ouvrage, "Evguénie Sokolov". En
août, Jane Birkin quitte Serge Gainsbourg. La rupture est douloureuse de part
et d'autre, mais Gainsbourg, plus que jamais excessif en tout, avait fini par
lasser sa compagne. C'est à cette époque que le personnage de
"Gainsbarre" va prendre le pas sur Gainsbourg. Naviguant entre
désespoir et alcool, Serge Gainsbourg va cependant continuer à travailler
d'arrache-pied. Après un album pour Jacques Dutronc, Guerre et pets, il écrit la musique du film de Claude Berri,
dans lequel il joue, Je vous aime. Le rôle principal est tenu par Catherine
Deneuve, pour qui il va écrire un titre qu'il interprétera avec elle, Dieu est un fumeur de havanes. L'année suivante, il
lui écrit un album entier, Souviens-toi de
m'oublier.
En 1981, Gainsbourg écrit pour un de ses
plus grands fans, le chanteur Alain Bashung, l'album Play Blessures. Puis en novembre, sort son propre
album, Mauvaises nouvelles des étoiles,
enregistré à Nassau aux Bahamas avec à nouveau Robbie Shakespeare et Sly
Dunbar. Cette année-là, il fait la rencontre de Bambou, jeune eurasienne de 21
ans, qui devient sa compagne. En décembre, lors d'une vente aux enchères,
Gainsbourg acquiert le manuscrit original de l'hymne national français,
"la Marseillaise" de Rouget de Lisle, dont le titre original est en
fait "Chant de guerre de l'armée du Rhin".
En 82, outre des chansons pour Julien
Clerc ou pour la Québécoise, Diane Dufresne, Gainsbourg commence à
écrire un scénario qu'il compte tourner avec le comédien Patrick Dewaere,
projet annulé après le suicide de ce dernier en juillet. Il engage alors
Francis Huster et part réaliser son deuxième film, Equateur, dans la
jungle tropicale du Gabon. Le tournage est difficile et la présentation du film
à Cannes en mai 83, fort chahutée. Sorti en août, Equateur est un échec
public et critique. Déprimé, Serge Gainsbourg écrit en quelques semaines un
album pour la comédienne Isabelle Adjani, et un album pour Jane Birkin, Baby alone in babylone considéré comme le plus
beau qu'il ait écrit pour elle. Les deux sont des succès et obtiennent des
disques d'or.
En avril 1984, Serge Gainsbourg s'envole
pour New York pour enregistrer un album au son radicalement différent. Il
s'attaque cette fois au funk, et en particulier au funk new-yorkais. Entouré de
musiciens et d'un producteur américain, il se sent très heureux pendant ce
séjour dans la cité cosmopolite. En une semaine, il enregistre l'album Love on the beat, qui sera la première plus
grosse vente de sa carrière. Au milieu des huit titres du disque, se détache un
duo qu'il a enregistré avec sa fille, Charlotte, Lemon
Incest.
Le 16 mars 1985, disparaît la mère de Serge
Gainsbourg, Olia. En septembre, Serge Gainsbourg remonte sur scène, au Casino
de Paris, accompagné de musiciens et de choristes américains qui ne le
quitteront plus désormais. Ovationné par le public, Gainsbourg atteint une
notoriété bien supérieure à ce qu'il avait connu jusqu'alors. Ses provocations
publiques n'y sont pas pour rien, notamment lorsqu'en mars 84, il brûle un
billet de 500 francs au cours d'une émission de télévision en direct ("7
sur 7") regardée par un public très large et populaire. En revanche, lors
d'une autre émission de télé ("le Jeu de la vérité") en juin 85, il
signe en direct un chèque de 100.000 francs au profit de Médecins sans
Frontières. Le 5 janvier 1986, sa compagne Bambou, donne naissance à un petit
garçon, qu'ils nomment Lucien.
Le metteur en scène, Bertrand Blier fait
appel à lui pour écrire la musique du film Tenue de Soirée. Mais 1986
est surtout marqué par l'album et le film que Gainsbourg écrit pour Charlotte, Charlotte forever.
En 1987, Jane Birkin sort un nouvel album, Lost Songs, signé Gainsbourg, qui sort son propre
album quelques temps plus tard, You're under arrest.
Enregistré dans les mêmes conditions que le précédent, l'album renferme une
reprise rap et masculinisée de Mon légionnaire,
célèbre titre de la chanteuse Edith Piaf. Pendant sept soirées,
Gainsbourg retourne sur scène, cette fois au Zénith de Paris, en mars 88. Ses
spectacles sont grandioses malgré sa santé de plus en plus fragile. Serge
Gainsbourg a 60 ans, et les excès accompagnés de plusieurs alertes cardiaques
commencent à avoir raison de lui. Son moral est faible, et plus rien ne
parvient vraiment à le motiver. En juillet 88, il est invité au Festival des
Francofolies de la Rochelle, puis à Montreux en Suisse. Il écrit un album pour
Bambou, Made in China, mais c'est un
échec.
Le 14 avril 1989,
il subit une intervention chirurgicale du foie, et arrête l'alcool sur la
demande insistante des médecins qui lui font comprendre qu'il est en sursis. En
septembre, paraît une intégrale en neuf disques compact, de l'œuvre de Serge
Gainsbourg. Dans les mois qui suivent, il écrit le scénario de son quatrième
film, Stan the flasher. Cette histoire d'un professeur qui tombe
amoureux d'une de ses élèves, est interprétée par le réalisateur, Claude Berri.
A sa sortie en mars 90, le film recueillera des critiques plutôt bonnes, et
sera vu par environ 60.000 personnes. Serge Gainsbourg écrit tout un album pour
Vanessa Paradis, l'interprète du célébrissime Joe
le taxi. Il se livre également à un exercice inattendu en écrivant un
titre pour le grand prix de l'Eurovision de la chanson. Interprétée par la
guadeloupéenne Joëlle Ursull, la chanson White
and black blues remporte le second prix du concours.
Puis, comme un adieu, il signe son dernier
album pour Jane Birkin, Amours des feintes.
La pochette, représentant une Jane Birkin triste, est dessinée par l'auteur,
qui à cette époque, pensait sérieusement se remettre à la peinture. Dans les
derniers mois de sa vie, Serge Gainsbourg sort peu de son domicile dont les
façades sont recouvertes d'innombrables graffitis à la gloire de l'artiste.
Le samedi 2 mars 1991, Bambou découvre son
compagnon inanimé dans sa chambre, terrassé par une ultime crise cardiaque.
Pendant plusieurs jours, les hommages se multiplient et le public ne cesse de défiler
devant le domicile de l'artiste. Finalement très aimé, Serge Gainsbourg fait
l'unanimité. La plupart des journaux et magasines font leur Une avec des
portraits du chanteur. Ses obsèques au cimetière Montparnasse attirent une
foule immense. Catherine Deneuve y lit les paroles de la chanson Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve. Quelques
semaines plus tard, Jane Birkin monte sur la scène du Casino de Paris, pour une
série de concerts prévus bien avant le décès.
Longtemps décrié, mais toujours admiré,
Serge Gainsbourg aura toute sa vie cachée derrière son cynisme, une lucidité
désespérée et surtout une grande pudeur. Lui qui considérait la chanson comme
un "art mineur", il laisse un répertoire d'une richesse incroyable.
Ses titres sont repris en permanence (Jimmy Somerville, FFF, Pulp,
Donna Summer, etc), et les textes de certaines chansons sont même
étudiés dans les écoles (La chanson de Prévert).
En septembre 1994, Jane Birkin donne un
concert hommage au Savoy Theatre de Londres. Et en mars 1997, un coffret
rétrospective de trois disques compact sort aux Etats-Unis. L'accueil de la
presse est unanimement élogieux