Juliette
Gréco
Si elle fut le symbole de l'époque
existentialiste et de ses turbulences, Juliette Gréco demeure l'ambassadrice de
la chanson française, genre mêlé de légèreté et de gravité, qui a inspiré bien
des créateurs à travers Le monde. Aussi "hors mode", aussi classique
qu'un parfum Chanel, aussi populaire que la baguette et le camembert, aussi
intelligente et fantasque qu'un texte dAndré Breton, Juliette Gréco continue,
cinquante ans après ses débuts à Saint-Germain-des-Prés, de chanter sur les
scènes de France, d'Allemagne ou du Japon. Élégance, séduction, anticonformisme
n'ont jamais quitté cette fille d'un policier corse et d'une mère aspirante
artiste, dont Le "manque d'affection" restera, selon Juliette Gréco, "une
blessure indélébile, toujours ouverte en moi".
C'est dans le sud de la France, à
Montpellier, que naît Juliette Gréco le 7 février 1927. Son père, corse, est
policier sur la Côte d'Azur, et elle ne le verra pas souvent.Juliette
et sa soeur Charlotte sont élevées à Bordeaux par leurs grands-parents, puis
rejoignent leur mère, montée à Paris en 1933. Elles s'installent bientôt rue de
Seine, sur la rive gauche. Dans un livre autobiographique publié en 1982, Jujube,
Juliette Gréco se décrit comme une enfant taciturne et solitaire, et "bizarrement
rebelle". À la mort de leur grand-père, les deux jeunes filles sont
placées dans une pension catholique et rigoureuse. Juliette Gréco voudrait
devenir danseuse. Elle est petit rat à l'Opéra de Paris quand éclate la Seconde
Guerre mondiale. La famille Gréco part en Dordogne, où sa mère devient
responsable d'un réseau de résistants. En septembre 1943, elle est arrêtée par
La Gestapo. Juliette et Charlotte s'enfuient à Paris où elles sont à leur tour
emprisonnées par la police française. Sa mère et sa soeur sont déportées.
Juliette Gréco est emmenée à la prison de Fresnes où elle passe trois semaines
avant d'être relachée, sauvée par son jeune âge (quinze ans).
En 1945, sa mère
et sa soeur sont libérées. Ensemble, elles retournent quelque temps en
Dordogne. Mais après l'engagement de leur mère dans la marine nationale,
Juliette et Charlotte reviennent très vite dans la capitale. Immédiatement,
Juliette Gréco replonge dans la vie de bohème qu'elle avait découvert quelques
mois plus tôt. Poètes, musiciens, écrivains, peintres, tous les artistes se
donnent rendez-vous autour de l'église Saint-Germain-des-Prés dans les cafés,
les clubs de jazz ou les cabarets. On discute, on échange des idées, on vit en
bande, c'est toute une jeunesse qui s'exprime et s'épanouit après cinq années
de guerre. Elle habite à l'hôtel et vit de petits boulots. Mais, elle rencontre
de prestigieux artistes et intellectuels qui l'accueillent très vite dans leur
cercle. Du philosophe Jean-Paul Sartre à l'écrivain Albert Camus en passant par
les jazzmen et auteurs américains très présents dans l'intense activité
culturelle de Saint-Germain-des-Prés, tous remarquent cette jeune femme au
tempérament révolté, grave et un brin insolent. Grâce aux innombrables
rencontres qui remplissent son existence à ce moment-là, elle décroche quelques
rôles au théâtre et travaille sur une émission de radio consacrée à la poésie.
En 1947, ouvre un
nouveau club rue Dauphine, le Tabou. Cet endroit reste un des symboles de
Saint-Germain-des-Prés. S'y croisent toute la faune et la bohême du quartier,
dont des artistes tels que Boris Vian, Jean Cocteau ou le
trompettiste américain Miles Davis. Juliette Gréco devient un des
piliers du lieu. Célèbre, elle le devient Le 3 mai 1947, quand
L'hebdomadaire Samedi-Soir publie sa photo en couverture : on la voit
discutant avec le futur réalisateur de cinéma Roger Vadim à l'entrée du Tabou.
L'article explique comment vivent les
"troglodytes" de Saint-Germain et développe le concept
d'existentialiste : "Le mot est lâché, et comme un animal
sauvage commence sa course folle à la recherche de sa vérité ",
écrit-elle dans Jujube. Puis c'est au tour de l'hebdomadaire Dimanche-Soir
de livrer aux lecteurs une photo où Greco apparaît allongée aux côtés
d'Anne-Marie Cazalis. Petit parfum de scandale, magnétisme personnel, amitiés
solides : l'idée de la révbellion et dde la liberté des moeurs selon greco est
lanée. Après les années Travail, Famille, Patrie, après les horreurs de la
guerre, la jeune génération veut désobéir. "Je me demandais ce qu'était
un existentialiste, raconte le compositeur Caetono Veloso,. Un ami m'a
dit : Un philosophe parisien qui fait tout, mais absolument tout ce qu'il veut.
J'étais fasciné".
Convaincue par quelques amis, dont
Anne-Marie Cazalis, elle va se lancer dans la chanson en 1949 lors de la
réouverture du Bœuf sur le Toit, autre lieu consacré à la musique et à
la poésie. Sans plus attendre, de nombreux écrivains et poètes lui écrivent des
textes. Dès ses débuts, Juliette Gréco possède donc un répertoire très riche.
Raymond Queneau (Si tu t'imagines), Jules
Lafforgue (L'Eternel féminin), Jacques Prévert
(Les feuilles mortes), elle a à sa disposition
certains des plus beaux textes de la poésie française de l'époque. Les musiques
sont souvent composées par Joseph Kosma. Face à des publics de choix, elle
impose immédiatement un style à la fois léger et intense, sensuel et grave.
Toujours en 1949, Jean Cocteau lui offre un rôle dans le film Orphée.
Malgré un succès
immédiat, Juliette Gréco n'est pas encore très connue du grand public. Son
style reste très intellectuel et littéraire et demeure fort éloigné du
répertoire éminemment populaire d'une vedette comme Edith Piaf. En 1951, elle
enregistre son tout premier disque au nom révélateur, Je suis comme je suis. Signée Prévert/Kosma,
cette chanson est un des emblèmes de son travail. Avant de monter sur les
scènes françaises, on la voit au Brésil et au Etats-Unis en 1952 où elle
remporte un franc succès dans la Revue April in Paris. Peu après, une
longue tournée française la lance auprès du grand public vite séduit par cette
personnalité mystérieuse et un peu nouvelle dans le paysage musical de
l'époque. La consécration a lieu sur la scène de l'Olympia en 1954.
Cette année-là, la SACEM (Société des
Auteurs-Compositeurs) lui décerne son Grand prix pour le titre Je hais les dimanches signé Florence Véran et Charles
Aznavour. Enfin, elle rencontre son futur époux, le comédien Philippe
Lemaire, sur le tournage du film de Jean-Pierre Melville Quand tu
liras cette lettre. Mais après la naissance de leur fille Laurence-Marie,
ils divorceront en 1956.
Théâtre, cinéma, chanson, Juliette Gréco
est partout et ses activités se multiplient. Elle repart à New-York et ses
interprétations des plus grands auteurs français enthousiasment les américains.
Hollywood la courtise, et elle tourne avec Henri King, John Huston
et Orson Welles. Le puissant producteur Darryl Zanuck devient son
compagnon, mais les ambitions de l'américain ne s'accordent guère longtemps avec
le besoin de liberté de la jeune française. A son retour en France, Juliette
Gréco rencontre Serge Gainsbourg un jeune musicien dont le talent est en
train de renouveller la chanson française. Il lui écrit des chansons et de 59 à
63, elle enregistre une dizaine de ses titres dont La
Javanaise en 63.
Après une intense
activité cinématographique durant les années 50, Juliette Gréco se consacre
plus à la chanson durant les années 60. En 1960, elle crée Il n'y a plus d'après de Guy Béart, puis en
1961, c'est Jolie Môme de Léo Ferré. La
même année, elle remonte sur une scène parisienne à Bobino, puis en 1962, elle
retrouve l'Olympia.
En 1965, sa notoriété grimpe en flèche
grâce a son rôle dans la série télévisée Belphégor. Cependant, en dépit
d'une carrière brillante, Juliette Gréco attente à ses jours. Peu de temps
après, en septembre 65, elle épouse le comédien Michel Piccoli.En 1966, elle
partage la scène du TNP (Théâtre National de Paris) avec Georges Brassens
pour lequel elle a une grand admiration. Déjà dans les années 50, elle avait
interprété sa célèbre Chanson pour l'Auvergnat.
En 1967, elle reprend La chanson des vieux amants
signée d'un autre monument de la chanson francophone, Jacques Brel.
Cette année-là, elle chante devant 60.000
personnes à Berlin. Les tournées internationales s'enchaînent et les publics du
monde entier apprécient la chanteuse française pour la force, la beauté et
l'élégance de ses récitals. Devant un rideau rouge, Juliette Gréco apparaît sur
scène dans une robe noire faisant ressortir la pâleur de son visage et
l'intensité de ses expressions.
En 1968, elle inaugure la formule des
concerts de 18 heures 30 du Théâtre de la Ville à Paris. Elle y chante une de
ses plus célèbres chansons, Déshabillez-moi, titre dans lequel la chanteuse
joue sur l'aspect sensuel et mystérieux de son personnage. Au début des années
70, Juliette Gréco quitte son label Philips pour intégrer Barclay. Mais avant
de signer chez Polygram dans les années 90, elle changera encore plusieurs fois
de label. Cette instabilité illustre peut-être une certaine perte de vitesse de
sa carrière dans les années 70. Elle est cependant de retour au Théâtre de la
Ville en 1975, avant de sortir un album en 76.
A ce moment-là,
la plupart des titres qu'elle crée sont signés Gérard Jouannest pour la
musique, qui, après avoir beaucoup travaillé avec Jacques Brel, devient son
pianiste et arrangeur privilégié. Elle continue de chanter les poètes dont Pierre
Seghers (Les voyous,), ou Henri Gougaud
(Le Merle blanc), mais reste fidèle à ses
auteurs favoris dont Gainsbourg (Le 6ème sens)
et Brel (J'arrive). Forte d'une
conscience politique qui la rend sensible à la lutte contre toute forme
d'oppression, Juliette Gréco utilise son répertoire et sa notoriété pour réagir
quand elle en a l'occasion. C'est le cas lors d'un récital à Santiago du Chili
sous le régime du Général Pinochet. Seule sur scène face à un parterre de
militaires, elle n'hésite pas à se lancer dans un répertoire clairement
anti-militariste. L'échec est total, mais Juliette Gréco reste très fière de
cet acte de résistance dans un pays ou la contestation est alors violemment
réprimée.
On retrouve Juliette Gréco en 1982
lorsqu'elle fait paraître son autobiographie, Jujube. Puis en octobre
1983, c'est à l'Espace Cardin qu'elle fait son grand retour sur une scène
parisienne, retour qui s'accompagne d'un nouvel album Gréco 83. On y découvre des textes de l'écrivain Georges
Coulonges, du poète Pierre Seghers, de Jean Ferrat, de Claude
Lemesle ou de Boris Vian.
La plupart des musiques sont signées Gérard
Jouannest. Juliette Gréco continue de voyager et de chanter dans une dizaine de
pays par an. En 1988, elle participe à une manifestation musicale consacrée à
la culture méditerranéenne au Café de la Danse à Paris. En 1989, elle épouse
Gérard Jouannest, son compagnon, compositeur, pianiste et arrangeur de longue
date.
Avec les années 90, Juliette Gréco est
beaucoup plus présente sur la scène musicale française. Du 8 au 20 janvier
1991, elle remonte sur la scène de l'Olympia après sept ans d'absence en
France. En avril, elle est l'invitée du festival du Printemps de Bourges, mais
après quatre chansons, elle est prise d'un malaise qui l'oblige à cesser son
spectacle. Les billets sont alors reconduits pour l'année suivante où un hommage
lui est alors rendu le 27 avril. En 1993, sort un nouvel album éponyme sur
lequel la chanteuse s'est entourée de l'auteur Etienne Roda-Gil, de Julien
Clerc, et des Brésiliens Caetano Veloso et Joao Bosco. Fidèle
au passé, Juliette Gréco est aussi très tournée vers la jeunesse. Les nouveaux
auteurs et interprètes l'intéressent beaucoup et elle est toujours prête à les
écouter, voire à travailler avec eux. De la même façon, son public touche
autant les gens de sa génération que les plus jeunes. Son répertoire universel
ne subit pas les modes mais les survole avec élégance. Du 12 au 24 octobre,
Juliette Gréco retrouve donc son public à l'Olympia avant d'entamer une tournée
à travers le pays mais aussi au Japon où elle s'envole au printemps 94.
Amoureuse du Japon, la chanteuse y retourne très régulièrement.
En juin 1997,
toujours curieuse de nouvelles expériences, elle est invitée au Festival de la
photographie de Arles dans le sud de la France. En plein mistral et sur fond de
photos projetées au fond du Théâtre antique, Juliette Gréco donne un récital
inoubliable et qui met l'accent sur un répertoire engagé. Nouvel album pour
Juliette à l'automne 98 avec Un jour d'été et
quelques nuits. Les textes sont tous signés de Jean-Claude
Carrière et mis en musique par Gérard Jouannest. La chanteuse est l'invitée
d'honneur du Festival de musique vivante de Montauban en mai 99 avant de faire
un retour sur une scène parisienne, au Théâtre de l'Europe du 25 au 30 mai. A
la fin de l'été, Juliette Gréco est décorée des Insignes d'Officier de l'Ordre
national du Mérite par la ministre de la culture, Catherine Trautmann. En
septembre, elle participe à la Fête de l'Humanité (le journal du parti
communiste) puis quelques jours plus tard, elle donne deux récitals triomphaux
à New York, invitée par l'Alliance française.
En 2000, la chanteuse continue de donner
des récitals en France, en Allemagne et en Suisse. En janvier 2001, elle chante
à Lisbonne et en mai en Norvège. Mais fin mai, Juliette Gréco fait un malaise
cardiaque à Montpellier, dans le sud de la France, où elle donne un récital.
Elle se rétablit cependant rapidement et entreprend une tournée canadienne au
cours de l'été 2001.
Novembre 2003 : Aimez-vous
les uns les autres, ou bien disparaissez chante Juliette sur son
album du même nom Fidèle ;elle reprend Serge Gainsbourg (Un peu moins que tout à l'heure, que Gréco avait déjà
enregistré en 1971), Aragon (la Rose et le
réséda mis en musique par Bernard Lavilliers). Aventureuse,
toujours avec le même flair pour les textes et les compositions de qualité,
elle interprète un titre écrit pour elle par Gérard Manset, Je jouais sur un banc; Art Mengo signe la musique de Pour vous aimer, écrit par deux écrivains, Marie
Nimier et Jean Rouaud; les nouveaux venus de la chanson française se
taillent la part du lion : Christophe Miossec signe trois textes mis en
musique par Gérard Jouannest et Benjamin Biolay lui offre cinq titres,
dont trois composés avec Gérard Jouannest.
Sans faiblir, elle reprend le chemin de la
scène, en France d’abord, au Casino de Paris en novembre 2003, puis à l’Olympia
en février 2004, à Bordeaux, Amiens etc. La tournée passe aussi par la
Belgique, le Japon où elle est toujours extrêmement bien accueillie. Elle
revient au Casino de Paris du 16 au 18 novembre 2004. Le double CD/DVD
"Olympia 2004" qui sort à la fin de l’année prouve l’énergie et
l’humour de la jeune dame de 77 ans.
Décembre 2006 un nouvel opus de Juliette
Greco intitulé Le temps d'une chanson.
En fait, il s'agit d'un disque qui rassemble des titres que la grande dame célébrée à travers le
monde entier, aime chanter mais qui n'ont pas été écrits particulièrement pour
elle.
De Utile interprétée
par Julien Clerc et écrite par le parolier Etienne Roda-Gil à Né quelque part de Maxime Le Forestier, en
passant par des classiques comme Syracuse ou Avec le temps, Juliette Greco voyage au gré de ses
envies dans le paysage de la chanson. La réalisation a été confiée à Gil
Goldstein. Quelques arrangements sont aussi signés Gérard Jouannest,
l'accompagnateur pianiste de toujours. De grands noms du jazz américains
viennent aussi apporter leur contribution : le saxophoniste Joe Lovano,
le trompettiste Wallace Roney, et le saxophoniste Michael Brecker.
De grandes pointures pour l'album d'une grande interprète. Juliette Gréco
emporte ensuite ces chansons sur la scène du Châtelet, à Paris, dans une
version piano et accordéon épurée.
En 2007, elle
reçoit une "Victoire d’honneur" pour l’ensemble de sa carrière aux
Victoires de la musique. Le 27 octobre, elle se produit à la Salle Pleyel, à
Paris, accompagnée encore une fois d’une formation réduite. En 2008, la diva
brune chante Roméo et Juliette sur l’album Dante d’Abd Al Malik. Elle s’entend
décidément bien avec la jeune génération de chanteurs français, tous styles
confondus.
Son disque Je
me souviens de tout, qui paraît en avril 2009, en donne une nouvelle
preuve puisque Olivia Ruiz, Adrienne Pauly, Miossec et Abd
Al Malik signent la majorité des textes et des mélodies. De vieilles connaissances
comme Brigitte Fontaine, Areski ou encore Maxime Le Forestier
font également partie du casting. L’album est enregistré en quatre jours chez
Juliette Gréco, dans le vieux presbytère qui lui sert de maison, dans l’Oise.
Le parti-pris musical est assez dépouillé : une voix (à la limite du parlé sur
certains titres), un piano (celui de Gérard Jouannest) et un accordéon (celui
de Jean-Louis Matinier). La chanteuse défend vaillamment la formule lors de
quatre concerts au Théâtre des Champs-Elysées, à Paris, les 4, 5, 6 et 10 juin