Enrico
MACIAS
Les "laï laï laï" entonnés
régulièrement depuis plusieurs décennies par Enrico Macias nous rappelle que
cet artiste "pied-noir" a fait une carrière internationale à la mesure
des plus grands. S'il dit ne pas faire de politique, il cherche depuis ses
débuts, à faire passer ses idées de paix et de solidarité en parcourant la
planète entière.
L'oriental |
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1994 GD |
Enrico Macias qui s'appelle en réalité
Gaston Ghrenassia, naît le 11 décembre 1938 à Constantine en Algérie dans une famille
juive. Il suit sa scolarité normalement tout en s'adonnant au plaisir de la
musique, celui de la guitare en particulier. Son père est violoniste dans
l'orchestre de Cheick Raymond Leyris, grand maître du maalouf,
musique arabo-andalouse spécifique du Constantinois. Dès l'âge de 15 ans, le
jeune Gaston se retrouve dans cet orchestre prestigieux et devient rapidement
l'éventuel successeur de Cheick Raymond.
En 56, il obtient son baccalauréat et
postule pour avoir une place de surveillant dans une école. La musique ne
semble pas lui proposer un métier d'avenir. Comme il y a un manque d'effectif
notoire dans l'enseignement, il est embauché comme instituteur. Il continue
néanmoins à pratiquer la guitare.
Mais l'Algérie "française" vit
ses derniers instants, celle où les catholiques, les Juifs et les musulmans
vivent sur le même territoire. Un mouvement nationaliste mené par le Front
National de Libération (FLN) se bat pour obtenir l'indépendance de ce pays
colonisé par la France au XVIIIème siècle. La guerre passe aussi par la
guérilla, les meurtres, les assassinats. En 1961, Cheick Raymond est tué le 22
juin à Constantine. Le jeune Gaston se rend compte de l'aspect inéluctable de
l'exil, signe flagrant de la fin d'une époque.
Il s'embarque en 61 avec Suzy, sa femme et
fille de Cheick Raymond sur le "Ville d'Alger", bateau qui les emmène
en "métropole". Le départ est un vrai déchirement pour toute une
population condamnée à l'exil. Il en va de même pour Gaston. En arrivant à
Paris, il décide de se lancer dans la musique. Prodige du maalouf, il
lui faut s'adapter au public métropolitain. Il tente de traduire en français,
les morceaux de ce genre particulier. Mais le résultat ne lui semble pas
satisfaisant. Il se compose alors un répertoire personnel fait de ses propres
expériences. Mais il faut survivre. Il exerce plusieurs métiers pour subsister
puis reprend sa guitare, chante à la terrasse des cafés, et se décide à
prospecter les cabarets. Il est engagé au Drap d'Or en 62. Son premier disque,
il le doit à une rencontre hasardeuse avec Raymond Bernard de chez Pathé qui
lui fait enregistrer Adieu mon pays composé sur
le bateau de l'exil : "J'ai quitté mon pays, j'ai quitté ma maison, j'ai
quitté ma famille…". En octobre, il passe à la télévision lors d'une émission
Cinq colonnes à la une consacrée aux rapatriés d'Algérie, aux "Pieds
noirs" comme on les appelle dorénavant. C'est le déclic.
En 63, il commence à se produire en public
et fait sa première tournée en vedette américaine de Paola et de Billy Bridge.
Il la terminera en vedette principale avec des titres comme Enfants de tous pays ou L'Ile
du Rhône. Cette année-là, naît aussi sa fille Jocya. En plein boom yéyé,
Gaston devenu Enrico Macias, fait un véritable malheur. L'année 64 est le début
d'une grande carrière française et internationale. Il se produit à l'Olympia en
première partie des Compagnons de la chanson au printemps. Il part bien sûr en
tournée à travers la France mais aussi au Liban, en Grèce et en Turquie où il
chante des chansons qui vont devenir des tubes, Paris,
tu m'as pris dans tes bras ou les Filles de mon
pays.
Si son public
originel est bien celui des Pieds Noirs qui se retrouvent dans le répertoire de
Macias et qui voient en lui un représentant de leur communauté, le chanteur
réussit à toucher aussi le plus grand nombre, à faire fredonner ses chansons
par n'importe qui. En 65, il reçoit le Prix Vincent Scotto et compose les Gens du Nord et Non je n'ai pas oublié. L'année suivante, il se
produit à Moscou devant 120.000 personnes au stade Dinamo et dans 40 autres
villes soviétiques. Il s'embarque aussi pour le Japon où son succès est
impressionnant. Il enregistre des disques en espagnol et en italien. Rien ne
semble l'arrêter. Les années suivantes se ressemblent entre les disques et les
tournées, tout en apportant leurs lots de nouveautés et d'émotions fortes. En
68, il remporte un immense succès au Carnegie Hall à New York et enchaîne sur
des concerts au Canada. Il sort un titre intitulé Noël
à Jérusalem. L'année suivante est marquée par une tournée aux
Etats-Unis, Chicago, Dallas, Los Angeles, etc. En 71, il revient à l'Olympia à
Paris, se produit aussi au Royal Albert Hall à Londres et va chanter au Japon,
au Canada, en Italie et en Espagne.
Il retourne aux Etats-Unis pour plusieurs
dates et se produit une nouvelle fois au Carnegie Hall à New York en 72. Deux
ans plus tard, c'est à l'Uris Theater à Broadway qu'il donne une dizaine de
représentations ainsi qu'à l'Olympia pour la sixième fois depuis ses débuts.
Il se voit décerner un Disque d'or en 76
pour son album Melisa sur lequel
on trouve la très belle chanson Malheur à celui qui
blesse un enfant. Outre un passage à l'Olympia, il effectue aussi une
grande tournée au Japon, en Israël et en France, qu'il refera deux ans plus
tard en 78, année durant laquelle il est invité par le président Anouar El
Sadate à se rendre en Egypte. Interdit depuis longtemps dans les pays arabes,
Enrico Macias, fils d'une famille juive d'Algérie se produit devant 20.000
personnes au pied des pyramides. Son message est celui de la paix, avec des
chansons comme Aimez-vous les uns les autres.
Kurt Waldheim, alors secrétaire général de
l'Organisation des Nations Unies remet au chanteur en novembre 80 le titre de
"Chanteur de la Paix" alors que celui-ci abandonne ses droits
d'auteur sur Malheur à celui qui blesse un enfant
au profit de l'Unicef. La reconnaissance internationale de l'artiste fait de
son succès le symbole de sa réussite personnelle. Macias ne s'arrête pas là et
continue inlassablement de se produire partout où il peut, à l'Olympia bien sûr
en mars 81, ou en Israël et aux Etats-Unis toujours, pays qu'il l'accueille à
bras ouverts. Sur le label Trema avec lequel il vient de signer, le chanteur
sort les titres Juif espagnol et le Mendiant de l'amour.
S'il prône l'amour et la paix, Enrico
Macias peut constater chaque jour que les évènements mondiaux ne le suivent pas
sur cette voie. En effet, Anouar El Sadate est assassiné le 6 octobre 81. Le
chanteur compose pour lui Un berger vient de tomber.
La chanson hommage est alors plébiscitée par le public. En septembre 82, après
être retourné chanter aux Etats-Unis, il s'installe pour un mois à l'Olympia
avec l'orchestre oriental de son père, Sylvain.
Entre la sortie d'un album (Deux ailes et trois plumes en 83, Générosité en 84), de 45 tours (L'enfant de l'amour en 83, Je
n'ai pas vu mes enfants grandir en 85 et la chanson officielle de soutien à
l'équipe de France de football pour la Coupe du Monde à Mexico en 86 Vivas les Bleus) et les tournées à travers le monde entier,
Enrico Macias se voit remettre la légion d'honneur par le Premier Ministre
Laurent Fabius en mars 85. C'est en Israël et en Turquie que son nouveau 45
tours Zingarella obtient un énorme succès en
88. Cette année-là, il donne des galas dans ces deux pays mais aussi en Corée.
Puis il retourne en studio et sort quelques mois plus tard le titre le Vent du sud avant
le rituel passage à l'Olympia (19 octobre au 5 novembre 89). Après une tournée
au Japon et en Turquie, il sort en 91 un nouvel album Enrico sur lequel on retrouve un duo avec
Ginni Gallan Un amour, une amie.
En avril 92, il s'essaie à la comédie en
interprétant une pièce de théâtre adaptée de l'anglais et intitulée
"Quelle nuit". Les trois années suivantes, outre un album dédié à sa
femme, "A Suzy", il se produit à peu près partout dans le monde des
Etats-Unis (93) au Brésil (94) en passant par le Japon. Alors que chacun
s'accorde à voir en Macias un des pionniers de la musique métissée, il rend
hommage en 95 au rocker national Hallyday, sur un air de reggae (!) écrit par
l'incontournable Didier Barbelivien "Et Johnny chante l'amour". Puis
il rempile pour une série de concerts à l'Olympia du 2 au 19 novembre 95 et ce,
après 6 années d'absence.
Son attachement à des valeurs universelles
comme la paix et la solidarité entre les peuples lui vaut une nomination
prestigieuse en 97 : il est nommé par Kofi Annan, le Secrétaire général de
l'ONU, "Ambassadeur itinérant pour promouvoir la paix et la défense de
l'enfance".
La fin des années 90 voit le succès
grandissant des musiques venues d'horizons très différents, la world music a
ses lettres de noblesse et le public est avide de découvertes en ce domaine.
Dans ce contexte, Enrico Macias n'hésite pas à présenter lors du festival du
Printemps de Bourges en avril 99, un concert en hommage à Cheick Raymond, le
maître de ses débuts. Il est en effet déterminé à faire revivre cette culture
judéo-arabe par le biais de sa musique, culture qui cimenta dans le passé un
pont entre les Juifs et les musulmans.
Après une aussi prestigieuse carrière, il
faut dire tout de même qu'Enrico Macias représente encore en France, la culture
des Pieds Noirs, quelque peu en voie de disparition au fur et à mesure que les
hommes et les femmes nés français en Algérie disparaissent. Cette image
embarrassante l'empêche sans doute d'atteindre un public plus jeune en même
temps que son répertoire n'évolue guère. Cet hommage à Cheick Raymond lui fera
peut-être prendre une autre voie artistique qui lui permettra de se renouveler.
En mars 2000, il est fortement question
qu'Enrico Macias donne une série de concerts en Algérie. Ce projet exceptionnel
a beaucoup de mal à se mettre en place et provoque maintes polémiques. Les
raisons diverses sont toutes liées aux violentes difficultés politiques que
connaît le pays. Souhaitée par beaucoup, refusée par d'autres, cette tournée
est envisagée dans une optique de paix de la part du chanteur juif et dans une
politique d'ouverture de la part du président algérien. Mais le projet est
finalement reporté pour des raisons de sécurité selon les dires de l'artiste.
Ce report est considéré comme une annulation par beaucoup mais Enrico Macias
reste très motivé pour donner un jour des récitals sur sa terre natale face à
un public très demandeur