Eddy Mitchell

Les membres de 5 Rocks sont originaires de Créteil. Et c'est sans doute entre cette banlieue parisienne et le Golfe Drouot que le groupe est né. Dans les rangs de la formation, qui répète passage Landrieu, officient Aldo Martinez (bass), William Bennaïm (guitare solo), Tony d'Arpa (guitare d'accompagnement) Jean-Pierre Chichportich (batterie), remplacé plus tard par Gilbert Bastélica, et Eddy Mitchell au chant. Grand, avec des cheveux blonds et scandaleusement longs pour l'époque, c'est incontestablement cet ex-garçon de course au Crédit Lyonnais, amateur d'Eddie Constantine et de salles obscures, que l'on remarque en premier. C'est d'ailleurs lui le meneur.

Toute la ville en parle

rock n'roll .. rythm n'blues

Perspective 66

Seul

De Londres à Memphis

Rio Grande

1965       -        CD

1965       -        CD

1965       -        CD

1966      -        CD

1967      -        CD

1993      -        CD

Après une maquette hésitante, le premier groupe de l'histoire du rock français - historiquement s'entend - enregistre un 45 tours pour le label d'Eddie Barclay : Be Bop A lula, Tant pis pour moi, Tu parles trop et Si seulement. Mais à la suite d'un contrat avec les chaussettes Stemm, les rockers sont à leur insu rebaptisés les Chaussettes Noires. Lancé par le succès du groupe de 1961 à 1963, Eddy s'est vite fait un nom (les fans l'appellent aussi "Schmoll") dans la chanson française, même s'il lui a fallu attendre le milieu des années soixante-dix avant d'imposer son style propre, fait de country-rock et de rhythm'n'blues. Quand il sort son premier album solo, Voici Eddy... c'était le soldat Mitchell, le 8 septembre 1963, il ne dévoile pas vraiment son jeu. Sur la pochette, en noir et blanc, son visage n'est qu'à demi éclairé. Il se cherche, on le cherche, entre rocks faciles, jolis slows, digressions jazzy avec Quand une fille me plaît et reprises soignées avec Chain Gang d'après Sam Cooke, ou Je reviendrai d'après Gene Vincent.

Mais sa voix est là, ample, sûre. Sûre de trouver sa voie.

Il consacre au rock ses deux albums suivants, comme pour reprendre les choses à zéro. Rock des débuts, des pionniers, celui auquel il doit tout. Et l'hommage prend des allures de rêve d'enfant réalisé. Dans Eddy In London, enregistré en octobre 1963, à Londres comme son nom l'indique, Eddy Mitchell est accompagné par des musiciens hors pair, tel Big Jim Sullivan à la guitare solo, qui a joué avec Eddie Cochran. C'mon Everybody devient Comment vas-tu mentir ? et onze autres classiques sont revisités. Auxquels il faut ajouter, dans la foulée, la douzaine de standards de l'album Panorama, enregistré au même endroit, en avril 1964. Roll Over Beethoven de Chuck Berry devient Repose Beethoven... Le tout est musclé, carré. Les textes, que Claude Moine n'écrit pas encore complètement, collent déjà bien aux accords pressés, à ces sonorités venues d'ailleurs. Les mots s'accrochent bien, sans tomber dans le vide (de sens), jamais à côté de la plaque. L'humour Mitchell pointe son nez : Eddy va progressivement adapter le français au rock. Il va faire du rock en V.F., lui, le fou de cinéma américain, qui animera, quelques années plus tard, la fameuse émission de télé consacrée aux vieux films made in USA, La dernière séance, d'après le titre d'une de ses plus belles chansons. Puis, il fait entrer dans sa danse d'autres tendances, nettement plus rhythm'n'blues.

En octobre 1964, dans l'album Toute la ville en parle, beaucoup plus cuivré, il s'attaque au Busted de Ray Charles, rebaptisé Fauché et s'offre son premier vrai tube en solitaire, Toujours un coin qui me rappelle, adapté d'un morceau enregistré, la même année, par un dénommé Lou Johnson, chanteur inconnu de rhythm'n'blues américain, tube qui va sonner l'arrivée d'Eddy Mitchell grandeur nature.

Il va d'un coin à l'autre, d'un rythme à l'autre, Du rock'n'roll au rhythm n'blues, de Londres à Memphis, avec toujours, au détour d'un couplet, quelque chose qui lui rappelle : clin d'oeil au passé, aux héros de son enfance, de son adolescence. J'avais deux amis, magnifiquement dédié à Buddy Holly et Eddie Cochran, à partir de St James Infirmary, vieux blues rendu célèbre par Louis Armstrong, et S'il n'en reste qu'un, sur Perspective 66, sorte de manifeste où le chanteur se réclame haut et fort d'une musique qu'il ne trahira jamais, rassurent, en 1965, les rockers purs et durs tandis qu'Eddy entend, au loin, Otis Redding et s'aperçoit que son pianiste, Pierre Papadiamandis, est un sacré compositeur.. Tout pour trouver, enfin, cet équilibre entre base rock et orchestration rhythm'n'blues, entre richesse mélodique et textes travaillés.

Tout pour Le rock soul, Le slow soul...

L'album Seul (Soul ?), en 1966, avec Société anonyme, pamphlet anticapitaliste mené tambour battant, sur des paroles irrésistibles de Ralph Bernet, J'ai oublié de L'oublier, ballade inoubliable, puis en 1967, sur l'album de Londres à Memphis, Alice, autre slow que les mémoires n'ont pas effacé, vont en dire long sur les promesses de ce nouveau tandem Mitchell-Papadiamandis. Pourtant, il va falloir attendre encore... Victime des multiples expériences pop surgies de Mai 1968, Eddy se laisse emporter par cet air du temps qui ne lui ressemble pas (thèmes sans mélodies, textes bavards) et s'enlise. Le début des années 70 va être pour Eddy une traversée du désert. Chez Barclay, il va représenter surtout un chanteur du passé. Ses touts derniers disques n'engendrent que des ventes confidentielles, et on lui propose même de reformer les Chaussettes Noires. Devant son refus catégorique, on commercialise un compilation double 33 tours à la pochette Or, Les Chaussettes Noires story vol 1, qui se vend comme des petits pains.

De cette traversée, il ne sortira vivant que par... le rock'n' roll, auquel il revient en 1974, profitant d'une mode rétro rugissante. Direction Nashville, où il met en boîte, à nouveau, quelques vieux classiques. Direction case départ... pour mieux retrouver son chemin. C'est L'album Rockin' In Nashville, avec, à l'harmonica Charlie McCoy, qui a accompagné Presley et Bob Dylan, et, côté choristes, les Jordanaires, qu'Elvis a bien connus aussi...L'accord est parfait entre eux et lui et donne naissance à douze rocks au swing aérien, de À crédit et en stéréo, le No Particular Place To Go de Chuck Berry, à C'est un rocker, le I'm A Rocker du même Chuck Berry, en passant par des reprises de Gene Vincent, bien sûr, comme C'est un piège. Cent mille exemplaires s'arracheront aussitôt. A partir de ce moment là, comme revenu à lui, Eddy Mitchell va aligner hit sur hit.

En s'appuyant sur les bases même d'un rock populaire à l'américaine qui date d'hier, il va, avec la complicité de Papadiamandis, raconter le monde d'aujourd'hui, monde fatigué (La fille du motel) en novembre 1976, monde finissant (La Dernière Séance), en octobre 1977, monde sans travail (Il ne rentre pas ce soir), en octobre 1978, et affirmer un style, une couleur (Couleur menthe à l'eau) en novembre 1980, dont il ne s'éloignera plus. De plain-pied avec le réel - on note son engagement en faveur des Restos du coeur, lancés par son grand ami Coluche - Eddy Mitchell, c'est le rock des familles, celui que l'on se repasse comme des scénarios de trois ou quatre minutes. L'unité de ton de, de Rockin' In Nasville à Rio Grande, vingt ans plus tard, en passant par le Cimetière de éléphants, en 1982, est frappante : elle se confond avec une unité de temps. Rassurant.

Eddy est un artisan éminemment attachant du rock'n'roll et du rhythm n'blues à la française, respectant son public et ne le décevant jamais, ni du point de vue du swing, ni de celui de l'humour... Après être venu au Parc des Princes en juin 1993, à l'occasion de l'anniversaire de Johnny Hallyday, Eddy se paiera le luxe d'une tournée des salles parisiennes qui affichent complet chaque soir : le Casino de Paris en décembre 1993, l'Olympia en janvier 1994, le Zénith en février et Bercy en mars.

Il a réalisé également pendant plusieurs années deux de ses rêves les plus chers : présenter des chefs-d'oeuvre du septième art lors des soirées cinéphiles sur FR3 dans son émission La dernière séance, du titre de l'un de ses plus gros hits, et faire l'acteur. Coup de Torchon, de Bertrand Tavernier, lance sa reconversion, Une femme peut en cacher une autre la confirme et dans les années 90, Le Bonheur est dans le pré d'Etienne Chatilliez lui vaut le César du meilleur second rôle.