Du côté des sources grondantes : ragtime, boogie woogie et
stride
Au début du XXème sièce, les Noirs eurent accès au piano dans les salons de la bourgeoisie blanche. En syncopant la ligne mélodique (selon la terminologie européenne qu’ils avaient assimilée), ceux-ci mirent le "temps en lambeaux " d’où le terme de "ragged time" (temps déchiré). Tandis que la main droite répétait à l’envi des formules accentuées en décalage rythmique, la main gauche utilisait la " pompe", c’est à dire qu’elle posait les basses sur les premier et troisième temps et les accords dans le médium du clavier sur les temps pairs. Il lui arrivait aussi de se servir de basses "qui marchent" (walking bass ) accompagnant en contrepoint sur chaque temps la ligne mélodique de la main droite.
Toute
la musique américaine s’empara du ragtime : les fanfares blanches
ou noires ; le jazz qui emprunta régulièrement ses thèmes et ses
structures jusque dans les années trente ; la musique de variétés américaine
qui l’intégra à son répertoire ; le string band des Appalaches qui
l’interpréta à sa façon ; enfin, bluesmen de la Côte Est et guitaristes
country adaptèrent à la guitare la basse alternée du piano ragtime.
Le ragtime est principalement associé au piano, mais est aussi joué avec
d'autres instruments, tels que la guitare ou le banjo, et peut être interprété
avec une formation de type fanfare.
On considère traditionnellement Scott
Joplin, Joseph Lamb et James Scott comme les trois grands
compositeurs de la période classique du ragtime. En réalité, de nombreux
compositeurs ont répondu et nourri l'engouement suscité par le ragtime à cette
époque.Citons, entre autres, May Aufderheide, Zez Confrey, Ben Harney, Charles
L. Johnson, Artie Matthews, Lucky Roberts, Paul Sarebresole, Wilber Sweatman,
et Tom Turpin
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Ragtime from piano rolls |
Joseph Lamb |
Joseph Lamb ragtime |
Au début du XXe siècle, des pianistes noirs
développèrent, dans des campements d'ouvriers au Sud des États-Unis, une forme plus
rapide et rythmée du Blues. Ils circulaient de barrel house en honky tonk
(baraques en bois aménagées en bar/saloon/tripot), et jouaient toute la nuit du
"Honky Tonk". La crise aidant, les ouvriers migrèrent progressivement
durant les années 1920 à 1930 vers les grandes villes industrielles du Nord
(Chicago par exemple). L'industrie n'assurant cependant pas la fortune de tout
le monde, de nombreuses familles organisaient des "House Rent
Parties". Les pianistes itinérants des circuits des barrel houses trouvèrent
ainsi naturellement un débouché à leur activité.
A l'époque, ce nouveau style de musique fut
désigné par plusieurs noms: dudlow joe, rolling blues, the dozen, fast western,
shuffle, etc. Le premier boogie enregistré serait The Rocks de George W. Thomas
en 1923. Mais c'est Clarence "Pinetop" Smith qui fit naître le
mot « Boogie Woogie » en enregistrant en 1928 son célèbre Pinetop's Boogie
Woogie. A la suite de cet enregistrement, cette expression désigna ce style de
musique très caractéristique.
Le terme "Boogie-Woogie" vient
d'une image se référant au rythme très caractéristique des trains
(tadam...tadam....tadam...). Ce bruit vient des roues du train qui passent avec
un petit acoup d'un rail à un autre (les jointures étant très sommaires). Or les
essieux sont groupés par 2 au sein d'un bogie ("boogie" en anglais),
supportant le wagon, d'où la double percussion répétitive. Ensuite, comme
souvent dans le langage quotidien, les américains ont accolé un terme
artificiel créé par assonnances, allitérations et onomatopées tout comme
Hip-Hop vient de Hip (hanche), voire le Rock-Roll.
Dans les années 1930, aidés dans leur
promotion par le producteur John Hammond, émergèrent les supergrands de ce
style de piano blues : Meade Lux Lewis (Honky Tonk Train Blues), Albert
Ammons (Boogie Woogie Stomp) et Pete Johnson (Roll 'Em Pete). Puis
se révélèrent aussi Sammy Price, Memphis Slim, Lloyd Glenn, Jay McShann.
Et ce n'est qu'à partir de 1938 que le
Boogie Woogie prit ses lettres de noblesse auprès du grand public grâce à John
Hammond qui organisa pour la première fois des concerts boogie woogie au
Carnegie Hall de New York, faisant connaître et apprecier au public blanc les
talents noirs, tels que Albert Ammons, Pete Johnson et Meade Lux Lewis. Le
Boogie Woogie devient très populaire dans toute l'Amérique.
Le boogie obtint un tel succès dans les années 1940 que tout bon pianiste de jazz se devait d'intégrer un ou deux boogies dans son répertoire. Ainsi Count Basie (Boogie Woogie), Earl Hines (Boogie Woogie On St. Louis Blues), Art Tatum (St. Louis Blues), Mary Lou Williams (Roll 'Em), Lionel Hampton et Milt Buckner (Hamp's Boogie Woogie), etc. Certains big bands s'y mirent à leur tour avec des arrangements percutants et bien étoffés, tels Count Basie, Tommy Dorsey, Lionel Hampton, etc. et en particulier le saxophoniste et chanteur Louis Jordan et son Tympany Five qui obtinrent un succès populaire colossal avec Choo Choo Ch'Boogie. Le boogie fut également adapté au chant (Ella Fitzgerald & The Ink Spots, Cow Cow Boogie) ou la guitare (T-Bone Walker, T-Bone Boogie).
Le piano stride ou Harlem stride est un
style de piano jazz apparue à Harlem vers 1919. Hérité du ragtime, dont il tire
ses bases, le stride utilise beaucoup plus d'improvisation que son prédécesseur
et se base sur le rythme du swing . C'est un style assez difficile à maîtriser
: la main gauche saute typiquement entre une note basse et un accord pour
établir le rythme et le fondement harmonique ; la main droite improvise des
éléments mélodiques rapides et syncopés. Le stride, au même titre que le jazz
en général, puise toute son essence dans la musique blues ce qui le distingue
du ragtime ou du novelty piano.
Les premiers pianistes de stride furent James
P. Johnson (surnommé le Père du Piano Stride) et Lucky Roberts. Leur
style fut repris par Willie "The Lion" Smith et Fats Waller,
qui poussa le stride au sommet de son art. Duke Ellignton au début de sa
carrière pratiquait le stride. Plus tard, Thelonius Monk incorpora le
stride dans sa technique.
L'un des derniers géants du stride fut Joe
Turner.
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From Ragtime to Jazz |
1966 Pork and Beans |
Fats Waller
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1939 Ain't Misbehavin' |