Duke Ellington

Il naquit en en 1899 à Washington. Bien qu'il apprit le piano dès l'âge de sept ans, il ne semble pas avoir montré de dispositions particulières pour la carrière artistique qui allait être la sienne; il entreprit même d'apprendre un métier qu'il exerça durant plusieurs années, celui de lettreur.

Ko-Ko

Ellington Uptown

Side by Side

& John Coltrane

Meets Hawkins

1940                           CD

1953                          CD            

1959                          CD

1962                           CD

1962                           CD

Simultanément, il dirigeait de petites formations pendant ses moments de loisirs, jusqu'au moment où il partit s'installer à New York, au début des années 20. Là, il va rencontrer trois pianistes de Harlem qui exerceront sur lui une grande influence : James P. Johnson, Willie The Lion Smith, Fats Waller. Ellington étant retourné à Washington, c'est d'ailleurs Fats Waller qui parviendra à le convaincre de revenir à New York, où, après quelques péripéties, il obtiendra des engagements au Kentucky Club et au Cotton Club. 1927 : c'est seulement à ce moment là que débute réellement la carrière de Duke Ellington.

Harlem est en pleine Black Renaissance : ce mouvement artistique et intellectuel diffus est le fait de la bourgeoisie noire, qui y remplace rapidement les immigrants allemands, irlandais, italiens et juifs d'Europe centrale. Ce nouveau Harlem n'est pas encore un ghetto, et tout Manhattan afflue chaque soir dans les innombrables théâtres, cinémas, music-halls et night-clubs qui rivalisent avec ceux de Broadway. C'est pour accompagner la chanteuse Bricktop, alors vedette du Barron's, que Duke réunit un premier orchestre baptisé les Washingtonians, avec son ami d'enfance, le batteur Sonny Greer, le saxophoniste Otto Hardwicke, le banjoïste Elmer Snowden et le trompettiste Arthur Whetsol. L'année suivante, Duke prend la direction effective du groupe, engage comme manager le dynamique Irving Mills, et recrute les musiciens qui ont le plus contribué à la définition de la palette ellingtonienne: le tromboniste Tricky Sam Nanton, le trompettiste Bubber Miley et le saxophoniste baryton Harry Carney.

Money Jungle

Back to Back

Far Esat Suite

And his mother…

1962                          CD

1963                          CD

1967                         CD

1968                        CD

Miley, le roi de la sourdine, demeura avec Ellington de 1925 à 1929; Nanton et Carney lui restèrent fidèles jusqu'à leur mort. Nanton mourut en 1948; Carney survécut à Ellington et demeura membre de l'orchestre qui fut repris par le fils de Duke, Mercer Ellington , en 1974.

Dès lors, et pendant un demi-siècle, le Duke Ellington Orchestra va imposer le "Harlem Sound" à la planète entière. Duke est engagé en 1927 au Cotton Club, le plus luxueux des cabarets harlémites. Il s'y produira régulièrement jusqu'en 1938. C'est la période jungle, où le groupe devenu big band accompagne les fastueuses revues pseudo-africaines qui font frissoner un public "white only" (mais dont la conscience n'est pas toujours si claire !), où il intègre ses plus grands solistes (Barney Bigard, Harry Carney, Johnny Hodges, Cootie Williams, Laurence Brown, Rex Stewart, …) et ses plus belles voix (Adelaïde Hall, Ivie Anderson). Les succès se succèdent : Black and Tan Fantasy, East Saint Louis Toodle-Oo (1927), Creole Love Call, Black Beauty (1928), The Mooche (1929), Rockin'in Rythm, Mood Indigo (1931), It Don't mean a Thing If It Ain't Got That Swing (1932), Sophisticated lady (1933), Solitude (1934), In a Sentimental Mood (1935), Echoes of Harlem (1936),… Avec Caravan (1937), le Portoricain Juan Tizol cosigne avec Duke le premier d'une série de titres qui sont les ancêtres du latin jazz et de la salsa. Au total, Ellington écrira, seul ou en collaboration, un bon millier de thèmes qui en font en quantité comme en qualité, le plus grand compositeur de l'histoire du jazz.

Le système Ellington consiste à écrire des pièces dont chacune comporte, généralement sur une même grille d'accords, plusieurs motifs dont les structures rythmiques et mélodiques sont expressément connues pour mettre en valeur un interprète donné. Ce dernier rebondit en quelque sorte sur une base pour diversifier encore son discours improvis. Duke est aussi un maître incomparable de l'orchestration proprement dite, il ne cesse d'inventer de nouvelles combinaisons de timbres, qui varient à l'infini grâce à l'usage intensif des sourdines, dont la fameuse plunger mute (le débouche-évier) qui reste sa signature la plus évidente…

En 1939, toutes ces qualités sont en quelques sorte doublées par l'arrivée de Billy Strayhorn, pianiste et compositeur plus ellingtonien que nature, qui sera jusqu'à sa mort, en 1967, l'alter-ego du Duke (qui lui rendra un vibrant hommage dans l'album …and his mother called him Bill). L'orchestre va connaître un second âge d'or, avec l'entrée de Jimmy Blanton et de Ben Webster, et quelques nouveaux chefs-d'œuvre dont l'efficacité est éprouvée sur les vastes scènes des grands auditoriums pour lesquels a désormais quitté les cabarets : Concerto for Cootie , Ko-Ko (1939), In a Mellowtone, Cotton Tail (1940), Warm Valley, I Git I Bad (1941), C; Jam Blues, Diminuendo & Crescendo in Blues (1942). Composé pour un concert au Carnegie Hall, en 1943, avec en soliste Mahalia Jackson, (Black Brown & Beige) est la première de ces "suites" qui vont devenir le genre favori du Duke.

La discographie du Duke est vaste. Difficile d'en extirper un must. Toutefois, nous retiendrons Ellington Updown pour la symbolique. Une radio de propagande, The Voice of America, diffuse tous les jours en cette année 1953 une heure de jazz, présentée par Willis Connover "speaking to you from Washington, D.C. Pour des millions de gens, elle donne le temps, le goût et le son de la liberté. (Take the A Train), dans sa version de 1953, en était l'indicatif, avec l'inaltérable solo du Duke. Entendre le morceau au complet, avec le vocal (Betty Roche, pas si mal), le passage en tempo lent puis en tempo ultra rapide de Paul Gonsalves dans son solo de saxophone ténor, ce fut un choc durable. L'album donne aussi une version vénéneuse de (The Mooche), avec Jimmy Hamilton et Russell Procope aux clarinettes, et (Skin Deep), morceau de bravoure pour Louis Bellson, le spectaculaire batteur blanc qui avait succédé à Sonny Greer avant de laisser la place au meilleur, Sam Woodyard.

1953 est aussi l'année où Duke Ellington congédie sa suite, le temps d'une escapade solitaire. Ou presque. C'est en trio que le Duke donne ses Piano Reflections, donnant libre cours à sa fantaisie, révélant des qualités de pianiste insoupçonnées. Une attaque mordante, des renversements inédits, une verve rythmique inaltérable et des conceptions dynamiques originales en font, à l'instar du chef d'orchestre perpétuellement en avant qu'il fut, un moderne au plein sens du terme. Le climat est souvent à l'introspection mélancolique le Duke procède en coloriste, intercalent dans une suite de ballades propices aux trouvailles harmoniques (Passion Flower, Reflections in D., Melancholia) quelques tempos mediums au swing naturel (In s sentimental mood), injectant ici un blues quasiment orchestral (B sharp blues), là une invitation à la danse (Dancers in love).

Magnifique parenthèse que réouvrira le Duke avec Money Jungle (1962) lors de sa rencontre au sommet à trois avec Charles Mingus et Max Roach. Trois monstres, trois fortes individualités pour un enregistrement qui a failli mal se dérouler, puisque dès le début des sessions de studio, Mingus ne veut plus de Roach! Après qu'Ellington a apaisé le bouillant bassiste, les sessions s'enchaînent, pour notre plus grand plaisir, avec de grands standards : (Warm Valley, Solitude, Caravan, Fleurette Africaine, Switch Blade, …) Le résultat est souvent époustouflant, la rencontre des trois donnant lieu à une sorte de joute dans laquelle chacun tente de broder sa partie avec inventivité et passion. L'un des nombreux exemples de "all star meeting" du jazz.

Familier des grands de ce monde, considéré dans le monde entier comme l'ambassadeur le plus prestigieux du "melting-pot" américain, Ellington garde pourtant la tête froide. Son élégance un peu tapageuse, sa courtoisie un peu lointaine ne lui feront jamais quitter pour l'aristocratie la caste éternelle des troubadours dont il est un des derniers représentants. Constellé de décorations, régulièrement reçu à la Maison Blanche et à la cour d'Angleterre, accueilli comme un chef d'état en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud, il ramène partout des impressions musicales qui deviennent aussitôt des ingrédients de nouveaux chefs-d'œuvre : Far East Suite (1964), Virgin Island Suite (1965), La Plus Belle Africaine (1967),… Ces "suites" se suivent sans jamais se ressembler autrement que par la personnalité souveraine du chef et des interprètes qu'il met en avant.

Poursuivi par la nostalgie du jazz originel, - New Orleans Suite (1971) - ou mû par une quête spitituelle qui l'arrache progressivement à son légendaire hédonisme - les trois "Concerts Sacrés" -, Duke Ellington écrit en marge de l'histoire du jazz une œuvre qui en magnifie d'autant plus le charme éphémère : sa discographie sera, avant tout, le plus bel hommage qu'un musicien n'aura jamais rendu aux autres musiciens… ceux d'un orchestre qui est à la fois l'œuvre, l'atelier et l'artiste lui-même, et fit à maintes reprises le tour du monde et fut partout accueilli avec un enthousiasme délirant. Véritable géant du jazz, Duke Ellington continua à se produire jusqu'au moment où la maladie l'obligea à interrompre sa carrière; il mourut en 1974.