Dexter Gordon

 

 

Originaire de Californie (Los Angeles, 27 février 1923), élevé au sein d'une famille bourgeoise -père médecin - après de bonnes études musicales, Dexter Gordon  commençe par pratiquer la clarinette, s'essaye à l'alto pour finir par choisir le ténor, plus adapté à sa haute stature, à son long corps de près de deux mètres. Il n'a que 17 ans, en 1940, lorsqu'il débute chez Lionel Hampton. Il travaille avec le batteur Lee Young (le frère de Lester) dans la région de Los Angeles où il grave ses premières faces en 1943 avec le pianiste Nat King Cole. Il joue brièvement dans les orchestres de Louis Armstrong et de Fletcher Henderson. En décembre 1944, il se rend à New York pour rejoindre le grande formation de Billy Eckstine, véritable pépinière de boppers dont il adopte naturellement le discours.

 

Séduit jusque là par Lester Young, Dexter jouait avec désinvolture des phrases flottantes et mélodiques, mais sa sonorité dure et puissante, la forte tension qu'il donnait à ses improvisations, le rattachaient autant à Coleman Hawkins, dont il possédait l'énergie. Empruntant au langage parkérien, il passa du swing au bop, parvint à fondre ses diverses influences, à s'inventer un jeu propre qui allait séduire Sonny Rollins et John Coltrane, une manière décontractée et plaisante de jouer "hard", s'affirmant comme le premier grand ténor de la saga du bop. En 1945, Dexter enregistre avec Dizzy, joue dans un groupe qui comprenait Parker, Miles Davis, Bud Powell, Curly Russell et Max Roach et réalise ses premières séances pour le label Savoy. Il s'associe avec le saxophoniste Wardell Gray pour de superbes batailles de ténor (l'album The Chase réalisé pour le label Dial en témoigne) et partage dès lors ses activtés entre New York et Los Angeles.

 

Dexter connait une longue éclipse dans les années 50. Incarcéré pendant près de deux ans au pénitencier de Chino pour des problèmes liés à la drogue, il gagne dès sa libération la Californie où il se fait quelque peu oublier. Il enregistre en 1955 deux bons disques pour la firme Bethlehem dont Daddy Plays The Horn et un troisième pour Dootone records, le passionnant Dexter Blows Hot And Cool. Au début des années soixante, le saxophoniste refait surface, joue quelques mois dans la pièce The Connection et signe un contrat avec Blue Note, gravant pour le label une bonne dizaine d'albums dont certains comptent parmi les meilleurs de sa carrière. Citons Go! et A Swingin' Affair, deux albums difficilement dissociables. Enregistrés en août 1962, à seulement deux jours d'intervalle et avec la même équipe - Sonny Clark (p), Butch Warren (b) et Billy Higgins (dms) -, ces œuvres présentent le saxophoniste à l'apogée de sa carrière. Soufflant avec passion de longues phrases, construisant ses solos sur la répétition de motifs rythmiques, Dexter se montre parfaitement à l'aise, souverainement décontracté dans son approche des thèmes, des ballades qu'il aborde avec une virile tendresse et dont il reste un formidable interprète (Guess I'll Hang My Tears Out To Dry sur Go!, Don't Explain et Until The Real Thing Comes Along sur A Swingin' Affair) - mais aussi nombre de pièces énergiques dans lesquelles il affirme son autorité harmonique, sa puissance expressive, s'imposant comme un modèle stylistique. En outre, Dexter dispose ici de merveilleux partenaires. Mais aussi Our Man In Paris, enregistré en 1963 avec Bud Powell (p), Pierre Michelot (b) et Kenny Clarke (dms). Ici, nous sommes devant un Dexter, pléthorique de facultés. Le dynamisme, l'imagination mélodique et le swing communicatif conduisent ses interpétations de classiques du bop comme (Scrapple from the apple) ou (A night in Tunisia), avec l'usage humoristique des rendez-vous qui lui est habituel. (Broadway) est un hommage au maître Lester, d'une joie terriblement débordante. Dans (Willow weep for me) et dans (Stairway for the stars), on trouve sa façon magistrale d'interpréter les ballades avec un ton profond, une économie et un lyrisme émouvant; il a toujours insisté sur le fait qu'il est aussi important de connaître la musique que les paroles d'une chanson si l'on veut raconter une histoire.

 

En 1962, il s'installe à Copenhague où il résidera pendant quatorze ans, rayonnant depuis ce port d'attache dans les principales villes d'Europe. Par la suite, son activité sera partagée entre les Etats-Unis et le vieux continent où le cinéaste Bertrand Tavernier lui offrira en 1986 le rôle d'un vieux saxophoniste à la recherche de lui même dans Autour de Minuit. Et ceci avant une mort qui va survenir des suites d'un cancer du larynx, ô ironie, autour de minuit; très exactement à 0h50, le 26 avril 1990, à Philadelphie. Il aura eu le temps de touner un second film, Awakenings, avec Robin Williams et Robert de Niro.