Jacques Schwarz-Bart

Né en en Guadeloupe en 1962, Jacques Schwarz-Bart est issu du métissage des cultures noires et juives. Ses parents, tous les deux écrivains de renom l'élèvent au milieu de l'art et de la culture. Dans sa jeunesse, il joue un peu de percussions et commence même à apprendre la guitare pendant quelques années, influencé aussi bien par Ray Charles, Stevie Wonder, John Coltrane, Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Miles Davis, John Lee Hooker, Django Reinhardt ou encore Fela Kuti !

Et pourtant, Jacques se lance tout d'abord dans des études de droit et entre à Sciences-Po à Paris ! Il débute même sa carrière politique dans l'administration. C'est aussi à cette époque qu'il achète son premier saxophone et met le doigt dans l'engrenage. L'appel de la musique sera le plus fort. Jacques commence à apprendre seul à jouer du saxophone ténor, puis se présente au concours d'entrée de la prestigieuse Berklee School où il est admis. Il quitte alors le Sénat français pour Boston...

Quatre ans plus tard, en 1994, Jacques Schwarz-Bart est diplômé de Berklee, et rejoint l'orchestre du percussionniste Giovanni Hidalgo avec lequel il enregistre l'album "Time Shifter". En 1995 Jacques enregistre de nombreux albums, avec le pianiste panaméen Danilo Perez, avec le bassiste argentin Fernando Huergo ("Living these times"), avec la pianiste bostonienne Pamela Hines ("9:45"), et enfin également avec le batteur Bob Moses. Il vient également jouer en Guadeloupe avec André Condouant lors du festival des Abymes.

L'année suivante, Jacques décide de partir s'installer à New-York où il rencontre Roy Hargrove dans une jam session. Quelques semaines plus tard, le trompettiste l'appelle pour remplacer David Sanchez au sein du groupe Crisol (avec entre autres, Chucho Valdés, Changito, Frank Lacy...). Cette collaboration dure encore actuellement. Elle a conduit Jacques à jouer par exemple à Marciac ou encore au Village Vanguard. En 1997, Jacques a l'occasion d'enregistrer avec Olivier Hutman ("Brooklyn Eight") qu'il a rencontré pour la première fois juste quelques temps auparavant. Il participe également au disque du pianiste israélien Sasi Shalom ("Endless nights") avec Peter Steve Hass à la batterie et aux saxophones, Donny McCaslin, Ravi Coltrane et Ole Mathisen.

En 1998, et dans un autre genre, Jacques accompagne le fameux orchestre de compas haïtien Tabou Combo, et renouvellera même l'expérience pendant plusieurs années. Il enregistre également avec le percussionniste Bob Moses ("Nishoma"). L'année suivante, Jacques joue sur l'album "Dark Grooves" de James Hurt. Il se produit à la 9e biennale de Martinique avec Roy Hargrove, mais le plus important est la sortie d'un premier album sous son nom, "Immersion" dans lequel il est accompagné de James Hurt (pno), Ari Hoenig (dms) & Johannes Weidenmuller (bass).

En 2000, Brother Jacques rencontre la chanteuse et bassiste Me'shell N'degeocello qui dit de lui : "Les sonorités de Jacques me rappellent les cerisiers en fleurs - ses mélodies sont comme des fleurs belles et parfumées, tandis que son groove établit une solide fondation, semblable aux racines profondes d'un tronc d'arbre. Très peu de saxophonistes ont cet équilibre de pure expression et de funk. J'adore jouer avec lui". Il enregistre avec elle un album à sortir en 2002. Toujours en 2000, Brother Jacques tourne avec James Hurt (du Sweet Basil au Festival de Monterey en passant par le Musée d'Art Moderne), et se retrouve également en Guadeloupe où il accompagne Andy Narell dans une tournée antillaise avec Christian Amour, Raymond d'Huy et Raymond Grégo. Cette même année, Jacques participe à la tournée du chanteur & compositeur d'Angelo, après la sortie de l'album Voddoo, et qui le fera entre autres passer par Montreux ainsi qu'une grande partie de l'Europe.

En 2001, Brother Jacques est invité sur le nouvel album du groupe montant du jazz funk, Soulive ("Doin' something"). A la fin de l'année, il présente sa musique au Festival de Fort de France, en compagnie de Mario Canonge, Jean-Philippe Fanfant et Michel Alibo. Début 2002 il fait un passage éclair en Guadeloupe pour un concert improvisé à l'Instant, en compagnie de Dominique Bérose, Raymond d'Huy et Raymond Grégo. C'est l'occasion pour lui de jouer quelques jours plus tard avec le bassiste et chanteur camerounais Richard Bona, de passage dans l'île.

A partir de 2002, Jacques travaille à son projet personnel, "The Brother Jacques Project", pour lequel il puise à la fois dans ses racines, dans ses influences de jeunesse et dans la culture actuelle, et y compris le hip hop. Après une version en re-recording sortie de façon confidentielle, Jacques enregistre en février 2003 une version live à New York. Le CD s'appelle "Inspiration" et est d'abord distribué au Japon. Une distribution aux Antilles est prévue en 2004.

En 2002 toujours, Jacques enregistre à New York avec le trompettiste guadeloupéen Franck Nicolas, "Jazz Ka Philosophy", accompagné d'un all-stars antillais (Alain Jean-Marie, Magic Malik, Joby Julienne...). Jacques recherche et affectionne d'ailleurs toujours particulièrement de pouvoir faire revivre ses racines dans sa musique. C'est ainsi que début décembre 2003, il enregistre à New York le nouvel album de Mario Canonge, "Rhizome" qui paraît en juin 2004. On y retrouve entre autres Roy Hargrove, Richard Bona, Michel Alibo et Antonio Sanchez. Là encore, l'esprit du ka est mis à l'honneur sur plusieurs compositions du pianiste martiniquais.

La pierre d'angle de 2003 est cependant plutôt constituée de l'étroite collaboration de Jacques avec Roy Hargrove justement, sur l'album "Hard Groove", avec une pléiade de grosses pointures, parmi lesquelles Erykah Badu, Steve Coleman, Meshell N'degeocello, d'Angelo... A tel point d'ailleurs que le single de l'album n'est autre qu'une composition de Brother Jacques lui-même : "Forget/Regret". Huit mois durant, Jacques tourne avec le RH Factor, aux Etats-Unis, en Europe et au Japon. Décidément insatiable, Jacques participe également au quartet du batteur Ari Hoenig, avec Jean-Michel Pilc (pno) et Matt Penman (b). Ils enregistrent également un disque - The Painter - qui sort début 2004. Jacques fait également partie du sextet du batteur Jean Jackson, avec Avishai Cohen (tp), John Benitez (b), Oz Noy (g) déjà vu sur les albums de Richard Bona, et Jason Lindner (kbd). Un CD est prévu pour 2004... Fin 2003, Jacques Schwarz-Bart rejoint Franck Nicolas en Guadeloupe à l'occasion du Festival Jazz à Pointe-à-Pitre pour y présenter "Jazz-Ka Philosophy". André Condouant se joint au groupe sur quelques morceaux.

L'année 2004 démarre en trombe avec une présentation du projet "Jazz-Ka Philosophy" à l'opéra de Montpellier en janvier. Pour cette nouvelle année, ajoutons aux innombrables activités new yorkaises de Jacques, la participation au projet "Crazy Heart: Dubwise Afrobreaks" du claviériste et producteur Jeremy Mage, mélange live d'afrobeat, reggae, jazz, électro et dance, en compagnie entre autres de James Hurt. Encore un CD prévu pour 2004 !

Pour l'année en cours, Jacques prépare des compositions pour la fille de Nina Simone, collabore avec David Gilmore, et travaille à la co-écriture du prochain album de Stephanie McKay. Les perspectives de sortie du Brother Jacques Project sont plus réelles que jamais. Après la sortie de Rhizome, les collaborations avec Mario Canonge se concrétisent, et des tournées du groupe - avec Michel Alibo et Jean-Philippe Fanfant, sont d'ores et déjà programmées. Enfin, au troisième trimestre 2004, Jacques sera en tournée en Europe au sein du quartet d'Ari Hoenig.

 

 

Saxophoniste guadeloupéen établi à New York, il présente au festival de la Villette son album de fusion avec la musique de tambours de son île.

 

«MON INTENTION n'est pas de restituer quelque chose qui existe, le gwo ka des soirées léwoz ou le jazz du label Blue Note. Mon intention était de définir un espace sonore qu'on ne peut trouver ailleurs parce que j'en ai créé les paramètres selon mes propres besoins émotionnels.» Voilà qui est franc : Jacques Schwarz-Bart ne joue pas la musique des soirées conviviales qui, en Guadeloupe, font sonner les tambours du gwo ka jusque tard dans la nuit. Et il n'est pas non plus un jazzman droit dans ses classiques et les bonnes vieilles couleurs swing de naguère. Avec Soné ka la, qui sort cette semaine (chez Universal Jazz) et sa participation au festival Jazz à la Villette, il s'aventure entre deux musiques, deux esthétiques, deux savoirs.

 

Le saxophoniste Jacques Schwarz-Bart compte parmi cette poignée de musiciens français qui vivent et travaillent aux Etats-Unis. Il a joué dans le jazz ou dans ses parages les plus soul avec Roy Hargrove, MeShell N'Degeocello, D'Angelo, Erykah Badu, Danilo Perez, avec les Cubains Chucho Valdes ou Miguel «Anga» Diaz, récemment disparu, comme avec quelques-uns des plus exigeants musiciens antillais comme Mario Canonge.

 

Lui-même n'est pas né dans un berceau anonyme : son père André Schwarz-Bart est l'auteur du Dernier des justes, prix Goncourt 1959, ou de La mulâtresse Solitude et sa mère est Simone Schwarz-Bart, personnalité majeure des lettres antillaises, qui a signé Pluie et vent sur Télumée Miracle ou Ti-Jean l'Horizon. Ce sont eux qui ont conduit leur fils, tout enfant, à entendre le gwo ka qui, à l'époque, est rejeté par la bonne société comme musique du bas peuple et d'une honteuse mémoire. «Le gwo ka porte des émotions que je n'entends pas dans les autres musiques créoles, une gravité, une tristesse, un blues, la rencontre entre les morts et les vivants, quelque chose d'onirique.»

 

à l'origine, aux temps de l'esclavage, puisque les autorités interdisent de creuser des troncs d'arbre pour en faire des tambours comme en Afrique, la Guadeloupe fabrique ses tambours à partir de tonneaux de salaison (c'est semble-t-il à cause de leur nom de «gros quart» que l'instrument et la musique s'appellent gwo ka en créole). Et, peu à peu, se construit une science des rythmes, les uns à destination festive ou carnavalesque, les autres reprenant les rythmes du travail de la canne ou du manioc dans les plantations. Sept grands rythmes se codifient (toumblak, pandjabel, kaladja, graj, léwoz...), chacun connaissant ses variantes, sa propre grammaire d'improvisation, sa tradition chantée.

 

Une large palette d'émotions

 

Cette science des tambours est pour Jacques Schwarz-Bart «chargée de toutes les émotions de l'enfance. Le gwo ka m'a donné un bagage d'imaginaire extrêmement fort, que je n'ai jamais pu utiliser par la suite quand je suis devenu musicien – à New York, personne ne connaît le gwo ka. Très peu de jazzmen s'y sont essayés et ceux qui l'ont fait ne connaissent pas forcément bien ce langage. Il fallait que je le fasse moi-même.»

 

Alors, «après avoir été sideman de service pour plusieurs grands leaders, j'ai finalement décidé de larguer les amarres». Jacques Schwarz-Bart met en chantier Soné ka la, jouant des saxophones ténor et soprano, de la flûte et de la guitare, avec autour de lui jazzmen de New York et tambouyè de la Guadeloupe, dans «un vocabulaire improvisé qui inclut le jazz moderne avec sa part d'abstraction, mais qui en même temps puise dans les motifs rythmiques du gwo ka. J'ai voulu visiter une palette très large d'émotions avec des mélodies inspirées à la fois du patrimoine gwo ka mais aussi de ma connaissance du jazz style Wayne Shorter ou des grands Brésiliens comme Milton Nascimento.»

 

Au passage, il invite pour des featurings de prestige Jacob Desvarieux de Kassav ou la jeune star Admiral T – le poids déjà classique du zouk et la part croissante du raggamuffin dans la culture créole. «Ce que j'ai cherché, c'est à ouvrir des fenêtres d'une musique vers l'autre. Le gwo ka est essentiellement rythme et voix. Le mariage avec le jazz l'ouvre sur l'harmonie, l'orchestration, un type d'improvisation mélodique. Et cela permet d'explorer des couleurs qu'on ne trouve pas d'habitude dans le jazz. Un mariage heureux.»

 

 

            On a beaucoup lu par ci, par là dans la presse spécialisée que Jacques Swarz-Bart qui signe là son premier album avait inventé un nouveau langage du jazz. Rien moins que cela ! Mais si cette affirmation nous semble exagérée, force est de reconnaître à JSB d’avoir su porter au jazz un discours novateur, puisant tant à ses racines antillaises qu’à la musique issue d’un jazz modernisé tel qu’il a pu l’entendre auprès de la jeune scène américaine façon Joshua Redman et son Elastic band.

 

Ce saxophoniste surdoué au parcours étonnant fait donc ici avec ce premier album, un coup de maître. Pourtant peu s’en est fallu que le fils du célèbre écrivain récemment disparu ait choisi une autre voie, aux antipodes de la musique en poursuivant une carrière politique à laquelle son statut d’assistant parlementaire le prédestinait. A entendre l’album qu’il nous propose aujourd’hui, c’eut été assurément une sacrée perte pour le jazz ! Car ce Soné Ka-la dans lequel le saxophoniste signe toutes les compositions est franchement un album de très haute tenue dans lequel JSB se ballade entre ses deux attaches culturelles en mariant avec talent la musique Gwo-ka ( pour « Gros Quart » du nom des barriques servant aux Antilles de percussions) au jazz très funky dans le pur esprit de celui que l’on entend aujourd’hui Outre atlantique. Drôle et séduisante cuisine bien épicée au demeurant.

Côté Gwo-Ka,  JSB joue sur les rythmes créoles, les percussions et les lignes de basses agrémentées des voix créoles à la chaude sensualité qui  revèlent un culture  un peu moins connue que celle du zouk. Jacob Desvarieux, le colosse de Kassa               v vient prêter sa voix éraillée en un troublant « Deshabillé », alors que dans une conclusion remarquable de l’album, un voix féminine plus conteuse que chanteuse nous laisse avec la fièvre au corps. Côté Funky , JSB est allé à bonne école. Au saxophone sa lame aiguisée est aussi à l’aise au soprano qu’au ténor qu’il manie avec un phrasé d’une suprême élégance faisant montre d’autant de sensibilité délicate (Toumblak) que de sauvagerie brute et primale (drum’ bass). Et au delà de cette invention du discours dont il est tant question, c’est sa manière de styliser son phrasé qui impressionne.

 

Entre le Gwo-Ka et la musique funk, jeter des liens devient grâce à la plume de Jacques Shwartz-Bart un exercice évident : un groove terrible, une méchante propension à la danse irrésistible et un chant effleuré à la sensualité bigrement sauvage.