Le jazz West Coast

 

 

 

Le jazz cool trouva à s’implanter en Californie et plus précisément dans la région de Los Angeles où de nombreux musiciens blancs s’étaient installés, pour la plupart transfuges des formations de Woody Herman et Stan Kenton, attirés par la douceur du climat et des conditions de vie que l’on ne trouvait pas ailleurs. Le Lighthouse d’Hermosa Beach fut longtemps le principal point d’ancrage des West Coasters. L’animateur du lieu, Howard Rumsey, un ancien bassiste de Kenton, y organisait des jam-sessions tous les dimanches. Les boppers locaux – Sony Criss, Art Farmer, Teddy Edwards, Hampton Hawes, Wardell Gray – y côtoyaient les nouveaux venus parmi lesquels Shorty Rogers, Shelly Manne et Jimmy Giuffre qui allaient rapidement s’illustrer. Formés à la dure école des grands orchestres, tous ces souffleurs possédaient un solide métier. Bons lecteurs, instrumentistes solides, la nouveauté ne leur faisait pas peur

 

Enregistré le 8 octobre 1951 et publié en janvier 1952 par Capitol, l’album Modern Sounds de Shorty Rogers fut le premier manifeste de ce que l’on appela le jazz West Coast. L’instumentation du disque – alto, Art Pepper, tenor, Jimmy Giuffre, trompette, Shorty Rogers, cor, tuba, piano, basse, batterie, Shelly Manne – l’intégration des parties improvisées au sein de l’écriture traduisent l’allégeance de Rogers aux séances du nonet de Miles Davis. La musique reste toutefois beaucoup plus joyeuse. Point de trombone ni de baryton pour assombrir les sonorités, mais un saxophone ténor qui, sous l’influence de Lester Young et des « Brothers », deviendra l’instrument roi de la côte ouest.

 

Le terme « jazz West Coast » ne permet pas de désigner un style. La musique jouée en Californie entre 1952 et 1958  par une large majorité de musiciens blancs relevait d’un parfait éclectisme. A l’exemple de Miles Davis et de ses arrangements, ses auteurs mirent l’accent sur l’écriture, accordant autant de place aux arrangements qu’à l’expression solo, se réclamant du jazz cool par la douceur de leur langage. Ils se livèrent aussi à toutes les expériences, compliquant singulièrement les choses. La région vit ainsi fleurir de nombreux grands orchestres. Ceux de Count Basie, Stan Kenton et Woody Herman servirent fréquemment de modèles à Shorty Rogers & His Giants, Shelly Manne and His Men – deux ensembles à géométrie variable qui gravèrent souvent des séances en petits comités -, aux formations de Bill Holman, Marty Paich, Maynard Ferguson, Bob Florence et bien d’autres.

 

Installé à Los Angeles en 1952, Gerry Mulligan fournit des arrangements à Stan Kenton et mit vite sur pied son propre groupe. La quartet sans piano qu’il présenta au Haig en juillet de la même année fit sensation. Avec Chet Baker à la trompette, Bob Whitlock à la bass et Chico Hamilton à la batterie, Mulligan imposait le saxophone baryton comme instrument soliste. Le retour à l’écriture contrapuntique, à l’improvisation à 2 mois, constituait une révolution pour des auditeurs non avertis. Dès 1948, Charlie Parker et Miles Davis avaient fait de même sur l’exposé de (Ah Leu Cha). Le procédé était fréquent chez Lennie Tristano. Ses élèves, Lee Konitz et Warne Marsh, travaillaient la fugue et le contrepoint en une polyphonie spontanée. Enregistrées le 16 août 1952, les premières faces du Gerry Mulligan Quartet, (Bernie’s Tune) et (Lullaby Of The Leaves), publiées par le nouveau label Pacific Jazz, connurent un succès considérable. Tout comme quelques années plus tard, (Take Five) et (Blue Rondo A La Turk) de Dave Brubek, dont le quartet s’était constitué dès 1951. Les disques réalisés en petites et moyennes formations furent légion. A un moment ou à un autre, la plupart de ces musiciens, venus des grands orchestres, enregistrèrent sous leurs noms. Les petits labels se multiplièrent. Jazz West, Intro, Mode, Tampa, Dootone, Imperial, Jubilee, Ava eurent souvent de brèves existences. La plupart disparurent, absorbés ou rachetés par de plus importantes compagnies.

 

Atlantic, fondé à New York en 1947 par Ahmet Ertegun et Herb Abramson, avait tout autant axé son répertoire sur le blues et le rythm and blues que sur le jazz lorsque Nesuhi Ertegun rejoignit son frère en 1955. C’est grâce à lui que furent édités les plus importants albums de jazz du catalogue. Dès février 1955, Shorty Rogers fut nommé directeur musical du label. Outre ses propres disques, Atlantic, dont nous reparlerons, publia des enregistrements de Lennie Tristano, Lee Konitz, Warne Marsh, Jimmy Giuffre et le seul disque publié du vivant de Tony Fruscella, trompettiste mythique disparu de la scène du jazz à vingt-huit ans.


Deux labels restent tout particulièrement attachés à l’histoire du jazz West Coast. Transfuge de l’industrie cinématographique, Lester Koenig créa Contemporary en 1951 lorsque, victime de la chasse aux sorcières, il se vit fermer les portes des studios d’Hollywood. Koenig produisit cente quarante quatre albums en ving-cinq ans, son catalogue comprenant la plupart des grands noms de la West Coast, Art Pepper, Shelly Manne et Lennie Niehaus en tête. D’autres musiciens associés aux West Coasters, à l’occasion de rencontres ou appartenant à d’autres tendances du jazz, enregistrèrent pour la firme, tels les saxophonistes Sonny Rollins et Benny Carter, le trompettiste Art Farmer et le pianiste Phineas Newborn. A la fin des années 50, Koenig publiera le pianiste Cecil Taylor et les premières sessions d’Ornette Coleman, saluant ainsi l’avant-garde. A sa mort, en novembre 1977, son fils John Koenig reprendra le flambeau. Contemporary appartient désormais aux disques Fantasy.

 

Chet Baker,

Jimmy Giuffre,

Shelly Manne,

Gerry Mulligan,

Art Pepper,

Shorty Rogers