BURGERS
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1972
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Hot Tuna
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Après deux albums "capturés
live", quand Hot Tuna n'était que le groupe de scène récréatif de Jorma
Kaukonen et Jack Casady pour oublier dans le blues chéri la fin
chaotique de Jefferson Airplane, Burgers
est le véritable premier album du nouveau groupe, en studio, qui parait après
la désintégration de l'Avion. Le duo s'est adjoint le batteur Sammy Piazza
et en deuxième instrument harmonique, le violoniste noir Papa John Creach.
Ce
premier album est à l’image de la photo de couverture, le soleil couchant de
l’hiver y fait briller les chromes de la Buick Victoria 1934 de Jorma, au pied
du Golden Gate. Leur musique aussi est rutilante, le moteur blues tourne en
souplesse comme un V8 bien restauré, avec de la reprise (en fait il n’y en a
que 3 dont une de l’inévitable révérend Gary Davis), mais les accélérations du
chauffeur-guitariste guidé par le copilote-violoniste sont nerveuses et n’ont
rien à envier à des véhicules plus récents. Sans parler de l’intérieur
capitonné et du châssis inébranlable, c’est à dire la rythmique d’acier emmenée
par Casady. Mettre l'album fébrilement sur la platine ne fait que confirmer :
on se fait proprement propulser au plafond pour y rester scotché des heures,
que dis-je des mois ! Car Kaukonen est le maître à bord, ses musiciens, ou
plutôt ses complices, pigeant parfaitement où il veut aller. Une liberté qui
donne des ailes à sa créativité. De cette époque datent ses meilleurs morceaux,
l’album balance dans le ciel une belle brassée d'étoiles, elles y brillent
toujours.
Attention, très peu de
nostalgie ici, ce blues est puissant, coloré, électrique et délibérément
optimiste, l’équilibre ou la transition entre la tradition (country et boogie
sont amplement cités) et les envolées plus modernes (dans les solos de Jorma en
particulier) sont menés en finesse et avec beaucoup de nuances. Ainsi les trois
premiers titres, deux compositions originales et un antique standard de 1920 (
écrit par Julius Daniels, l’un des premiers bluesmen du sud-est enregistré, né
en Caroline du sud et mort en 1947), font encore la part belle à l’acoustique
et aux thèmes classiques (True Religion, un
exercice de style avec une pincée d’orgue Hammond, dialogue entre guitare et
violon). Les sonorités de Creach et Kaukonen évoquent fugitivement Stéphane
Grapelli et Django Reinhardt, un peu plus à l’ouest cependant… L’électricité de
Sea Child apporte la première note originale,
un rythme nerveux et des échos multiples pour un solo de guitare très sinueux
et résolument moderne.
Seconde reprise
rondement menée, Keep on truckin’ , avec une
touche d’acoustique et on atteint avec les deux morceaux suivants le cœur en
fusion du disque, et probablement parmi les meilleures compositions de Kaukonen
: d’abord l’instrumental Water Song, un déluge
joyeux de « picking » suivi de quelques lignes plus électriques laissant la
basse conduire la mélodie, quelques échos augmentent le volume, on remet trois
fois la sauce avec quelques variations introduites par le batteur. Mais c’est
alors Ode for Billy Dean (Un blues dédié à
James Dean, prétexte à une belle empoignade entre Jorma à la guitare et
"papa" John Creach au violon) le véritable morceau de bravoure de l’album,
qui devient vite un classique du groupe, démarrant comme un blues banal, mais
qui s’énerve sur une guitare saturée et montre le plus bel exemple de complémentarité
entre la guitare et le violon électrique, l’emballement de la rythmique et le
long solo frôlant par instants le hard élémentaire des premiers Led Zeppelin.
Après la dernière
reprise, menée dans l’allégresse et avec un joyeux foutoir de chœurs plus alcoolisés
que religieux, des voix approximatives dignes de ce bon Keith Richards, la «
Pavane d’un jour ensoleillé » tombe le rideau sur un dernier échange entre
violon et guitare électrique (après intro acoustique), sinueux et plutôt
angoissant, mais très évocateur des territoires nouveaux que le groupe va
explorer en s’affranchissant peu à peu des racines blues et country pour gagner
définitivement sa personnalité unique. Finalement, ce Burgers n’a rien d’un
MacDo, il est très goutteux. En prime il nous offre un somptueux panorama sur
plus d’un demi-siècle de blues, digéré et habilement transformé.