La contre-culture américaine

Les fondamentalistes : le mouvement folk

Les déviationnistes : le folk-rock

De la country au country rock

Les expérimenteurs : psychédélisme et mouvement hippie

Le rock profond : blues revival, swamp rock, rock sudiste

 

 

Le début des années soixante est une période difficile pour l’aura de la culture américaine : en effet, elle perd en très peu de temps la considération dont elle avait amplement profité du fait de la victoire militaire sur l’axe Berlin – Rome – Tokyo en 1945.

 

Si, dans toute l’Europe reconquise, l’après guerre puis les années cinquante furent une grande époque pour la culture américaine, tant dans le domaine littéraire que musical et cinématographique, la décennie suivante semble annoncer un grave déclin : alors que Sartre ou Malraux et même Camus se réclamaient d’un certain héritage américain – Faulkner, Dos Passos, Steinbeck -, alors qu’on écoutait en 1950 du jazz dans les caves de Saint-Germain-des-Prés, et que le rock’n’roll avait aisément mordu sur la jeunesse française et européenne dès la fin des années cinquante, alors que le cinéma hollywoodien avait écrasé de sa toute puissance la production mondiale dès le début des années quarante, il ne reste presque plus rien de ce prestige culturel américain : en littérature, les grands se taisent, Hemingway se suicide en 1961, Faulkner meurt en 1962, Steinbeck obtient le prix Nobel en 1962, mais tous ses chefs d’œuvre sont derrière lui. Il mourra en 1967, Dos Passos en 1970. Pendant ce temps, on invente le nouveau roman, le structuralisme fait fureur, le débat d’idées est reconnu en Europe.

 

Dans le domaine cinématographique, la situation est encore plus nette : Hollywood s’est par prudence enlisé dans des superproductions médiocres et coûteuses pendant toutes les années cinquante et, malgré quelques chefs-d’œuvre liés à l’esprit aventureux des créateurs de l’Actor’s Studio, le cinéma américain a perdu tout intérêt. La nouvelle vague française, le cinéma scandinave et le western italien vont rapidement achever de déconsidérer totalement une forme d’art épuisée stylistiquement par l’autocensure, ce triste héritage de la période maccarthyste. Godard, Truffaut, Malle, Lelouch, Bergman, Leone sont à la mode. Le cinéma hollywoodien ne fait plus recette et l’Amérique perd son leadership pour un temps.

 

En ce qui concerne l’évolution des mœurs, on aurait pu croire que la première vague rebelle des rockers de 1954-1958 avait modifié en profondeur le mode de vie des Américains, leur conception du monde. Il n’en est rien. En cette année 1960, la guerre froide a frileusement replié le pays sur lui-même, sur la crainte de la bombe, et les mœurs puritaines n ‘évoluent pas. Les mèches rebelles des rockers ont laissé la place à de gentilles petites coiffures sages, les Noirs demeurent parqués dans leurs ghettos du Nord et du Sud, les femmes marquent quelques points contre l’establishment machiste, mais en fait l’Amérique s’ennuie.  En Grande-Bretagne, on va beaucoup plus loin, ainsi qu’en Suède : contraception, amour libre sont à la mode en Europe, alors que ces termes demeurent tabous en Amérique. Musicalement, c’est la catastrophe : le leadership américain, exploitant jusqu’à l’absurde ses lauriers de 1954, s’effrite devant la créativité envahissante du mouvement pop dès 1962. Les  " rockers " historiques sont morts ou survivent à l’état de marionnettes. Les ventes des Beach Boys s’effondrent devant la poussée Beatles-Animals-Rolling Stones. Politiquement, le recul américain dans le monde est patent : en mai 1960, les Etats Unis sont officiellement dénoncés par les Soviétiques comme des " brigands internationaux " pour avoir envoyé au-dessus de leur territoire un avion espion U-2 qu’ils ont pu abattre et dont ils ont capturé le pilote.

 

Le 12 octobre, Khroutchtchev fait rire le monde entier en tapant sur le pupitre de l’ONU avec sa chaussure. Les communistes s’infiltrent partout en Indochine : en mars 1961, les Etats-Unis envoient des conseillers militaires au Laos, puis des troupes au Vietnam dès décembre. L’escalade commence. Entre-temps s’est produit un grave revers militaire : le débarquement de la baie des cochons à Cuba, destiné à déstabiliser Fidel Castro, est un échec total. Autre humiliation : le premier homme dans l’espace, Youri Gagarine, est soviétique ; la science américaine, déjà battue par le premier spoutnik en 1957, est une fois de plus en retard, ce 12 avril 1961. Les Soviétiques marquent des points partout : ils construisent impunément le mur de Berlin en août 1961 et bloquent toutes les frontières de leur zone d’influence. La fin de l’année 1962 est dominée par le " match nul " de l’affaire des fusées de Cuba. Sous la menace de la guerre nucléaire ; Kennedy parvient à faire démanteler des bases de missiles Soviétiques déjà installés.

 

Kennedy a tout promis et ne tient rien. Le problème noir demeure entier et s’aggrave sans cesse : James Meredith, premier étudiant noir de l’université du Mississipi, et Martin Luther King reçoivent certes l’appui du gouvernement central, mais sur le terrain les manifestations pacifistes noires, sauvagement matraquées par une police locale ouvertement ségrégationniste, tournent à l’émeute ; et tandis que les Noirs enterrent leurs morts à côté de leurs églises incendiées par le Ku Klux Klan, les militants ségrégationnistes chantent Never, Never  et  The Klan is here to stay . La nouvelle frontière promise par Kennedy, président très populaire mais politiquement malhabile et malchanceux, semble bien loin. Les Etats Unis déclinent, puis sombrent dans le désespoir à l’annonce de l’attentat de Dallas, qui les prive d’un chef adulé malgré ses échecs.

 

L’Amérique victorieuse de 1945 n’est plus qu’un souvenir : les Anglais lui prennent la première place dans le domaine de la musique de variétés, les Français pour ce qui est du cinéma, les Soviétiques progressent partout, aussi bien politiquement que dans le domaine de la conquête spatiale.

 

1. Les fondamentalistes : le mouvement folk 

Le printemps américain commença par un retour aux sources : las du matraquage incessant organisé par les médias gagnés par le rock’n’roll, ou plutôt par ce qu’il en restait en ce début des années soixante, un petit groupe d’intellectuels et de musiciens new-yorkais partit à la recherche des racines de la musique folklorique du peuple américain.

Il se scinda assez rapidement en deux mouvements distincts par leurs objectifs et leurs préférences musicales, mais qui tous deux eurent pour projet la remise à jour des traditions folkloriques par la recherche des disques anciens, sans toutefois laisser de côté l’enquête sur le terrain : les uns attirés par le folklore blanc, exhumèrent les vieux 78-tours du début du siècle, partirent à la recherche des violoneux et des banjoïstes des années 20, 30 et 40 encore vivants. Les autres s’intéressèrent plutôt aux racines noires de la musique nord-américaine, et certains d’entre eux permirent à quelques grands du blues, balayés par le swing et la vague du rock’n’roll entre 1940 et 1960, de refaire surface et d’entamer une seconde carrière dont ils n’avaient même jamais rêvé.

Avant d’être "folk-rock ", le folk a toujours été un médium engagé : une chanson folklorique, rattachée à une culture et des traditions, transmet un message humain. Chants des griots africains et ballades des troubadours médiévaux sont du folk. En remontant vraiment plus loin, on sait d’après les anthropologues que les récits mythiques, que l’on retrouve identiques dans les folklores de tous les continents, datent probablement de l’époque où les premiers hommes, concentrés en Afrique, parlaient vraisemblablement le même idiome. Ce qui explique, en partie si l’on exclu des thèmes psychanalytiques qui s’attachent aux angoisses communes des peuples différents, que les esclaves amenés d’Afrique en Amérique, au début du XVIIIème siècle, racontaient et chantaient des histoires similaires à celles que les Amérindiens narraient aux pionniers puritains sur les côtes du Massassuchetts actuel, un siècle plus tôt. Ce métissage noir et rouge de textes est à l’origine de nombreux contes de la littérature enfantine contemporaine américaine.

Le folk-song a eu son utilité pour véhiculer des idées, des faits d’armes, des légendes héroïques, des croyances mythiques, autrement dit l’histoire au présent non écrite par tradition orale, avant l’invention de l’imprimerie bien sûr, mais aussi bien plus tard et jusqu’au temps présent dans des milieux isolés par la nature, ou parmi des minorités ethniques, religieuses ou politiques ignorées par la presse, puis par les radios ou télévisions nationales, quand elles n’étaient pas tout simplement censurées. Chansons séparatistes ou de résistance (Ecosse, Irlande), chansons d’amour marginales, particulières et interdites, chants de marins, de soldats, etc.

En Amérique, tous ces folklores européens, africains et amérindiens sont à l’origine des thèmes du blues, du gospel, des spirituals, des work songs (avant les chants syndicalistes), du hillbilly (une des racines, comme plus tard le bluegrass, du country and western  donc du rock’n’roll blanc), sans oublier les chansons de pionnier, de chercheurs d’or, et de cowboys.

Le mouvement folk ne se contenta pas de l’écoute nostalgique des musiques passées, blanches et noires ; de grands instrumentistes blancs apparurent, capables d’égaler leurs maîtres : John Hammond reproduisait à merveille le style de Robert Johnson, Stefan Grossman ceux de Gary Davis, John Hurt et Son House, Eric von Schmidt et Dave Van Ronk (premiers mentors de Bob Dylan) jouaient aussi bien le répertoire folk que le répertoire du blues acoustique, Pete Seeger, associé fréquemment au légendaire Leadbelly, faisait salle comble. Toute une foule de petits blancs se lançait dans l’exploration des techniques arides de la guitare acoustique, qui fut l’instrument roi du mouvement folk.

Mais la musique n'est pas tout. La construction de la folk music est indissociable d'une autre construction, celle des Etats-Unis. Les pionniers qui se ruaient vers l'or avaient pris l'habitude de mettre en mots et en musique le paysage de leur vie quotidienne. Et si le train avançait, si les villes s'industrialisaient, il fallait bien que des hommes s'activent à les faire exister. Ce sont eux, ces travailleurs évoquant l'aridité de leur vie, puis, plus tard, ceux qui traversent la crise de 1929, le chômage, la misère, qui inspireront les thèmes majeurs du folk : les revendications sociales, l'engagement politique. Avec le syndicalisme, au début des années 30, c'est parfois sous forme de chansons que la parole du "peuple" s'exprime. A l'époque, Joe Hill, Aunt Molly Jackson ou Jim Garland, sont les voix chantantes de ce syndicalisme actif.

Mais que serait devenu le folk sans son "père fécondateur" : Woody Guthrie ? Le vieux monsieur n'était pas encore vieux. Avec ses ballades, son ironie, et un débit de mots si caractéristiques du folk, ses chansons engagées et mêmes enragées, Woody sort la protestation du ghetto rural pour la faire entrer dans les villes. La population urbaine se retrouve sensibilisée aux raisins de la colère. Guthrie n'est pas le seul à faire évoluer le folk. Des artistes comme Pete Seeger ou Cisco Houston, ainsi que la revue Sing out !, qui accueille dans ses pages des nouvelles du mouvement, ou encore en 1959, le festival de Newport, tout concourt à l'affirmation de cette musique. Alors, les compagnies de disques, toujours prêtes à sauter sur un bon coup, se mettent à produire ce qu'elles pensent être du folk. Mais, effrayées par le teneur politique et revendicatrice du message, elles en gomment la nature même, pour laisser la place à des chansonnettes … A part le groupe Peter, Paul and Mary qui interprète le super tube Blowing in the wind de leur ami Robert, pas encore Bob Dylan pour le reste de la terre, et les vieux routiers déjà cités, il ne passe alors pas grand-chose de nouveau. Face à cette pression commerciale qui voudrait du folk sans du folk, le folk, trouve un lieu d'hébergement : le magazine Broadside décide en effet de publier les vraies chansons, celles des jeunes auteurs, des chansons qui protestent, les protest-songs qui ne prennent pas de gants avec la réalité. Surgi de ce mouvement qui conteste la suprématie du commercial, un jeune homme fluet mais charismatique, extrêmement doué et terriblement intelligent pointe son nez : Bob Dylan. En lui, Woody Guthrie a trouvé son fils spirituel, et le folk, son porte-parole le plus sûr.

A partir de là, du début des années 60, on ne pourra plus prononcer le mot "folk song" sans avoir en tête l'image de Bob Dylan et sans penser à sa voix, a voice like sand and glue, comme l'a si bien décrite David Bowie dans une chanson qui lui rend hommage. Dylan a comme beaucoup dû se battre pour que sa protestation arrive dans le sillon d'un disque. Mais le succès de Blowing in the wind lui donne une plus grande liberté d'expression … qui se répercute sur d'autres auteurs-compositeurs. Joan Baez, Tom Paxton, Phil Ochs s'engouffrent dans le sillage de leur chef de file.  Mais si Bob Dylan est bien le représentant du mouvement folk, il n'en est pas resté là. Au grand désespoir de certains, il prête son âme au diable, c'est à dire … à l'électricité. Il s'entoure des guitares et des basses électriques empruntées à la panoplie du rock et d'un vent de folie propre à la pop music. Sans le savoir, il est en train d'inventer le "folk-rock", qui gagnera peu à peu du terrain sur du folk pur et dur ; les Byrds, Simon and Garfunkel, Crosby, Stills and Nash, l'album Harvest de Neil Young, en sont tous les enfants.

Mais le folk plus traditionnel n'en est pas mort. Les guitares acoustiques et les chansons "à textes" persistent, notamment en la personne, ou plutôt le personnage de Leonard Cohen, qui nous emmène écouter les sirènes avec son amie Suzanne. Malgré l'avis de certains qui ne résistent pas à l'endormissement, la fréquentation de ses chansons est à recommander. Entre folk et rock, les années 70 n'ont pas été avares en découvertes d'artistes : Elliott James Murphy, Joni Mitchell, Jackson Browne, Bruce Springsteen (essentiellement les albums The River et Nebraska), Rickie Lee Jones, etc. Dix ans plus tard, ce sont surtout les filles qui prennent la relève du genre comme les talentueuses Suzanne Vega ou Tracy Chapman.

Mais avec le syndrome "retour aux sources", on assiste dans les années 90 à une renaissance du côté "terre" du folk : Bob Dylan a retrouvé sa guitare sèche et son harmonica, et enregistre sur ses récents albums des standards du folk. Le "Boss" Springsteen s'inspire du héros des Raisins de la colère et se retrouve sur scène, seul avec sa guitare …                                                                  

2. Les déviationistes : le folk rock 

Le passage du folk et du blues acoustiques à l’idiome musical du rock ne se fit pas sans résistance, ni sans mal : pour qu’il fut possible, il fallait tout le poids d’une star ; éléctrifier la musique authentique des origines parut à tous les fondamentalistes de Greenwich Village un sacrilège impardonnable. Mieux valait, selon eux, vendre 4 000 disques " authentiques " (ce fut le cas du premier 33-tour de Bob Dylan en 1961) que de faire un tube avec des guitares électriques (ce qui arriva pour Mr Tambourine Man  du même Dylan repris par les Byrds avec des arrangements électriques).

Aucun artiste majeur du mouvement folk ne se risqua à électrifier sa musique avant Dylan. Celui-ci le fit au festival de Newport, se fit huer pendant vingt minutes et tint bon, reprenant avec le Paul Butterfield’s Blues Band qui l’accompagnait l’introduction électrique de sa chanson jusqu’à ce que la foule se taise. Finalement conquis, le public plébiscita cette tentative nouvelle et courageuse : synthétiser l’énergie sonore du rock et la finesse des poèmes folk. Les premiers albums électriques de Dylan (Bringin'it all back home et surtout Highway 61 revisited) furent des succès majeurs. Un genre nouveau était né : on l'appela "folk-rock" car il emprunait ses harmonies et ses paroles au mouvement folk mais en retraitait les sons et les rythmes à la manière du rock, avec ses instruments désormais traditionnels : guitares et basses électriques, batterie, orgue électronique, harmonica au son clair (hérité du blues rural) ou saturé (à la manière du blues de Chicago).

Les Byrds furent avec Dylan les meilleurs représentants du folk-rock. Leur son était vraiment parfait, meilleur et plus travaillé que celuide Dylan sur le plan instrumental et aussi sur le plan choral. Mais ils ne furent pas des compositeurs, des paroliers aussi prolifiques ni aussi originaux que l'ex-roi du folk qui, avec sa voix éraillée, anticommerciale, son comportement déconcertant et ses arrangements primitifs, garda tout de même la direction du mouvement, du moins tant qu'il en eut le désir.

D'autres groupes talentueux marquèrent par leur professionalisme et leur talent le folk-rock, qui fut le seul genre proprement américain à tenir tête à la vague de la pop music anglaise (Beatles, Stones, Animals): Les Lovin'Spoonful, de la côte Est, connurent quelques beaux sucès avec Do you believe in magic ?, Daydream et surtout Summer in the city. Les Mamas et les Papas prirent la relève (Mama Cass avait fait partie des Spoonful) et firent la jonction avec le rock californien : California dreamin, Free advice, Dedicated to the one I love. Sonny & Cher furent de grandes stars du folk-rock avec I got you babe puis The beat goes on.

Neil Young fit partie lui aussi du mouvement folk-rock à ses débuts, notamment avec Buffalo Sprinfield, avant de rejoindre en 1969 le fameux Crosby, Stills and Nash. Mais c'est au cours de la décennie suivante que son talent éclatera réellement, après qu'il aura totalement intégré toutes les influences qu'il a subies dans le courant des années suivantes.

Simon and Garfunkel furent de grands créateurs du genre : leur travail choral demeure sans doute inégalé, leurs mélodies sont encore célèbres dans le monde entier. Initialement marqué par le folk pur et dur, ils surent, sous l'impulsion de Paul Simon, musicien hors pair, utiliser de manière souple et discrète les instruments du rock, sans jamais abandonner complètement la guitare acoustique. Avec Bob Dylan, les Byrds et Neil Young, ils furent certainnement les auteurs des plus belles ballades de l'histoire de la musique populaire américaine contemporaine.

3. De la country au country rock 

La country est, comme on s’en doute, une musique des " campagnes ", c’est à dire rurale, traduction littérale de country. Mais d’une campagne précise, celle du Sud des Etats-Unis, et d’une population spécifique : les Blancs. Son berceau est à chercher dans le massif des Appalaches, où s’étaient rassemblés beaucoup d’émigrants anglais et irlandais. Dans cette quête du nouveau monde, ils avaient emportés avec eux leur folklore traditionnel, teinté de musique celtique, à base de violons et de chants. A l’époque, cette musique n’a pas de nom. C’est la musique des fermiers, des bûcherons et des trappeurs, qui le dimanche, pour rompre leur isolement, chantent et dansent pour se donner du courage. Au début du XXè siècle, les Appalaches s'organisent. On a besoin de main d'œuvre pour extraire le charbon des mines. Les Noirs, et d'autres émigrés, venus d'Europe, rejoignent nos montagnards. Cette cohabitation va faire évoluer la musique du cru : les Noirs, avec le blues et le gospel, apportent un rythme nouveau et ajoutent la guitare à la panoplie du terroir, les Italiens innovent avec la mandoline et les Slaves y mêlent des airs de polka. Ajoutez à çà un zeste de guitare hawaïenne, découverte lors des "Tent Shows", cirques ambulants dans lesquels se produisaient des artistes hawaïens. Tous les éléments sont en place pour que la country naisse.

Une tradition instrumentale va en effet se développer dans ces vallées peu accessibles, centrée autour du banjo à cinq cordes, un des seuls instruments authentiquement américains, bien qu’africain d’origine sous sa forme primitive -, le violon – plus communément appelé fiddle -, le dulcimer, et bien sûr la guitare. Dans les années 20, les compagnies de disques se rendent compte que cette nouvelle musique a pris une ampleur étonnante. Les premiers disques de ce style vont voir le jour (en 1924, la chanson The Prisoner's song de Vernon Dalhart s'arrache à plus de 6 millions d'exemplaires), mais quel nom lui donner ? Au producteur Ralph Peer, qui demandait au violoniste Al Hopkins comment il devait appeler cette musique, Al répondit : " We're just a bunch of Hillbillies. Call it anything you want". C'est ce que fit Ralph en la baptisant hilbilly music (dit également old-time). Ce sont effectivement des agriculteurs vrais de vrais qui enregistrent les disques et font des tournées, entre une vache qui vêle et un champ à labourer... Ralf Peer fut également à l’origine de la première séance historique de l’histoire de la country music. ; armé d’un studio portatif installé dans le coffre de sa voiture, il débarqua un jour d’août 1927 dans la ville de Bristol (Tennessee), et enregistra au cours de la même journée historique Jimmie Rogers et la Carter Family, qui deviendront les plus grandes stars de l’entre-deux guerres. Parallèlement à ces premiers artistes qui prfitèrent de la vogue naissante du phogramme, la musqiue country progressa à l’vénement de la radio et à la puissance d’émission de certaines stations, comme WSM qui produisit à partir de 1925 le fameux Grand Ole Opry.

Immédiatement après le deuxième conflit mondial, des branches nouvelles apparurent comme le bluegrass, popularisé en premier lieu par Bill Monroe. Ce style, pratiqué sur des instruments non électrifiés, s’inspirait fortement de la musique montagnarde des Appalaches (il confirmera sa vitalité en accompagnant le courant néotraditionnaliste des années 80). Parmi les grans noms du bluegrass, on peut citer les frères Stanley, Flatt & Scruggs, Jimmy Martin ou les Osbornes. Parallèlement au bluegrass, se développait dans les Etats du Sud profond, une musique de danse : le western swing, dont le chef de file était Bob Wills. Ce genre mêlait sur des rythmes de danses campagnardes l’instrumentation et le jeu des musiciens country ( steel guitar, fiddle), aux cuivres à la Count Basie et Duke Ellington. Il aura toujours ses ardents défenseurs, comme Hank Thompson dans les années 60 ou le groupe Asleep At The Wheel. Lyle Lovett continue à s’en inspirer.

Dans les années 50 apparut un genre baptisé honky tonk, par référence aux innombrables chansons traitant de tavernes, d’alcool et de vie nocturne. Ses représentants les plus immortels sont Ernest Tubb, Lefty Frizzell, et surtout Hank Williams, dont le talent de poète populaire et la voix déchitante ont marqué pour longtemps le monde de la country , et annoncé le rock’n’roll : il suffit pour s’en convaincre d’écouter son Move It On Over sur lequel Bill Haley a calqué son Rock Around The Clock. Mais bientôt la country va être battue à plate couture par son petit frère : le rockabilly. Dans les années 60, la résistance country s'organise, tentant de se rajeunir sans pour autant perdre son âme, comme parvient à le faire Johnny Cash. Le Jean Moulin de la country, Chet Atkins, se voit confier la direction des studios d'enregistrement de Nashville. Il réfléchit au renouveau du genre et crée le Nashville Sound. En s'attachant une équipe de très bons musiciens, toujours les mêmes, et en électrifiant les instruments, il trouve une sorte de compromis entre la musique résolument jeune du rockabilly et les vieux airs des montagnes. Ce sera la grande époque de Webb Pierce, Porter Wagoner, Tom T. Hall, Mart Robins, Mel Tillis, Ray Price, Roger Miller, Dolly Parton, autant d’artistes dont le talent et l’authenticité n’empêchèrent pas la ville de s’assoupir dans une prospérité tranquille que secouèrent à peine les plus grandes pointures de l’époque, les tenants de la tradition comme Merle Haggard et George Jones ou les caprices des Outlaws, rebelles talentueux menés par Willie Nelson, Waylon Jennings ou Kenny Rogers, crooners de talent, mais loin des racines de la country.

Toujours dans les années 60, le rock porte alors le flambeau d’une jeunesse étudiante en révolte, véhiculant antimilitarisme, cheveux longs, amour libre et usage libérateur des drogues; la musique country est en revanche un courant désuet et passéiste, marqué par des interprètes d’une autre génération et chariant des idées plus conservatrices (Merle Haggard enregistre son Okie From Muskogee, véritable hymne nationaliste). Il fallait donc un artiste de l’envergure de Bob Dylan pour oser le rapprochement entre les deux genres. Il commença par se rendre à Nashville pour y enregistrer Blonde On Blonde en 1966, puis deux ans plus tard, John Wesley Harding et enfin Nashville Skyline en 1969. Les réactions ne se firent pas attendre et Dylan, à Newport comme à l’Isle de Wight, se vit conspuer par ses anciens fans, la critique ayant du mal à saisir le sens de cette nouvelle provocation. La brèche était ouverte, et les Byrds, guidés alors par Gram Parsons, originaire de Floride, ne tardèrent pas à s’y engouffrer en enregistrant en 1968 Sweetheart Of The Rodeo, album charnière qui reste le premier disque authentiquement country-rock. Parsons, à la fois nourri de contre-culture contestataire et admirateur des traditionnalistes Merle Haggard et George Jones, parvint même à faire jouer les Byrds au Grand Ole Opry. Gram Parsons et Chris Hillman fondèrent ensuite The Flying Burrito Brothers dont les albums Gilded Palace Of Sin et Burrito Deluxe influencèrent toute une génération d’adeptes du countr-rock. Les Eagles, Poco, et dans une moindre mesure, tous les tenants du mouvement outlaw  s’inspirèrent alors du genre et Parsons continua d’en porter le flambeau jusqu’à sa mort prématurée en 1973. Il eut néanmoins le temps, avec Chris Hillman, de découvrir une jeune chanteuse folk fixée à Washington, Emmylou Harris, qui grava quelques superbes albums dans les années 70, fortement marqués par l’influence de Parsons dont elle reprit plusieurs titres. Mais Emmylou et le country-rock en général allaient revenir dans le giron de Nashville au cours des années 80. L’esprit rebelle soufflant sur le rock s’estompant, et les esprits devenant plus ouverts à la musique country, le courant perdit peu à peu sa raison d’être et mourut de sa belle mort.

Paradoxalement, ce sont des enfants du punk qui le réactiveront. Publié dans l'indifférence en 1990, l'album No Depression, du groupe Uncle Tupelo, a pris une importance rétrospective considérable jusqu'à être le symbole de cette renaissance. Nés en 1967, donc en même temps que le country-rock, Jay Farrar et Jeff Tweedy (leader, depuis, de Wilco) paraient leur désespoir existentiel grunge de violons, banjos et mandolines et payaient leur tribut à Gram Parsons en reprenant Sin City. Les Jayhawks appartiennent aussi à cette myriade de formations aux ventes modestes, regroupées sous la bannière du country-rock, parfois rebaptisé alternative country ou americana. Leur ancien leader, Mark Olson, a publié en 2001 un album tonique en mêlant sa voix à celle de sa femme (Victoria Williams), à la manière de Gram Parsons et Emmylou Harris.

La nébuleuse country-rock se caractérise en 2001 par une méfiance maladive vis-à-vis de l'industrie du disque, un habillement fruste (chemise de bûcheron), un mode de vie quasi autarcique (répétitions dans des fermes isolées), un goût pour les instruments anciens. Attachés à la littérature sudiste, ses adeptes peuvent sombrer dans une austérité ennuyeuse, vantant puritanisme et retour à la terre. Heureusement, seuls les meilleurs nous parviennent en Europe, généralement distribués par le label allemand Glitterhouse : Blue Mountain, Blue Rodeo, Whiskeytown – premier groupe d'un chanteur d'avenir, Ryan Adams –, Nadine, les Cash Brothers...

Deux fortes personnalités ont vu leur réputation franchir les clôtures des champs du country-rock : Steve Earle, ancien Hell's Angel, junkie et taulard, capable de passer du gros rock au bluegrass, et la Louisianaise Lucinda Williams, qui vient de publier un album magnifiquement dépressif, Essence. Tous deux revendiquent Gram Parsons et Emmylou Harris comme influences majeures, mais sans adoration sclérosante. Grâce à eux, l'association du rock et de la country, bâtarde, rejetée et longtemps mal-aimée, a la vie dure. 

L’influence du country-rock reste néanmoins immense sur la production de la country. De nombreux artistes revendiquent haut et fort l’inspiration qu’ils y ont puisée (Vince Gill, Radney Foster, Dwight Yoakam parmi d’autres). Le mouvement country-rock a été parfois qualifié de « redneck rock », une définition qui convient en fait mieux au rock sudiste, qui fédérait sur des rythmes binaires et des accents de guitare slide un mode de pensée ouvertement conservateur, en tout cas de la part des auditeurs, qui s’affichaient en concert brandissant des drapeaux sudistes). Le country-rock avait été, à l’inverse, une école musicale puisant sa musique à la source country, mais véhiculant des idées en phase avec la jeunesse de l’époque. Dylan, Parsons et Hillman pouvient difficilemen être soupçonnés d’avoir préfiguré l’Amérique reaganienne.

4. Les expérimenteurs : psychédélisme et mouvement hippie 

En 1965, le rêve californien incarné par les Beach Boys est en train de tomber en désuétude. Jusqu'à la fin de la décennie, le rock épousera les aspirations de la contre-culture hippie, qui, de son fief de San Francisco, s'apprête à déferler sur l'Occident. Dix ans après Jack Kerouac, William Burroughs et Allen Ginsberg, les porte-parole des beatnicks à la sauce des années 1960 ont pour nom Jefferson Airplane, Grateful Dead ou les Doors

Le virage que les Beatles surent si bien négocier avec Sgt Pepper est aussi l'écueil sur lequel se fracassèrent les Beach Boys. Good Vibrations avait pourtant entretenu l'illusion que ces Californiens d'un autre âge (cinq ans de retard!) résisteraient à ce vent de liberté. Il n'en était rien. A partir de 1965 déjà, Los Angeles et San Francisco donnent naissance aux groupes du troisème type. Ni "british", ni "surf", les artistes, à l'instar de millions de jeunes de leur âge, ouvrent toutes grandes les portes de leur perception.

Plus question de se plier au sacro-saint enchaînement couplet-refrain ou à la dictature des formats radiophoniques. Des instruments du monde entier viennent enrichir l'ossature "guitare-basse-batterie". L'improvisation plus extatique que les boucles bien rôdées, acquiert une place déterminante. La marijuan et le LSD complète le voyage

Au début des années soixantes aux Etats-Unis, Timothy Leary, professeur à l'université de Harvard, expérimente sur lui-même les effets de l'acide, et en voit de toutes les couleurs… L'heure est à l'expérience intérieure, celle qui ouvre des portes et ferme celles de la violence et de la bêtise de la guerre du Vietnam qui n'en finit pas (janvier 1967, 460 000 jeunes Américains âgés de dix-neuf à vingt trois ans y combattent, les pertes sont plus lourdes que prévu : déjà 2 000 morts et disparus). C'est à San Francisco, où les hippies pratiquent un peace and love ultra pacifiste, ("faites l'amour, pas la guerre"), que le mouvement psyché va démarrer. "Psyche", c'est l'âme, ce sont les Grecs qui le disent. Ajoutez "délique", c'est l'âme des années 60.

A l’origine, l’acid rock veut reproduire les sensations éprouvées sous l’influence des hallucinogènes. Il faut préciser que jusqu'en 1966, aux Etats-Unis, cette drogue était en vente libre. Ce qui a permis à beaucoup de musiciens d'en expérimenter les subtilités. Bien vite il signifie en fait le rock joué " sous acide ", bande son parfaite des "acid tests " (prise de LSD en groupe) expérimentés par les hippies du Haight-Ashbury de San Francisco. Et que se passe-t-il sous acide ? Le temps s'étire, les murs bougent, les sons se voient. Toutes ces sensations vont se retrouver dans la musique. Songeons par exemple à la durée de certains morceaux, qui outrepassent largement les quatre minutes réglementaires ou aux solos d'Hendrix, qui n'en finissent pas.

Dans la cité des anges, Arthur Lee vient de prendre la tête de Love. Le line-up de la formation est l'un des premiers à regrouper des musiciens noirs et blancs. En 1966 et 1967, les structures agiles, les guitares hispanisantes et les envolées instrumentales d'un premier album éponyme et de Da Capo synthétisent l'air du temps. La pop baroque de leur troisième disque, Forever Changes en fera l'un des groupes les plus influent de l'époque. Au même moment, de San Francisco, les tout aussi emblématiques Jefferson Airplane, emmenés par Martin Balin, étendent la portée du message psychédélique grâce à un single bientôt disque d'or, Somebody To Love. Les Grateful Dead viennent quant à eux d'emménager au très communautaire 710 Ashbury Street : les tes d'acide perpétrés lors des concerts gratuits dejerry Garcia et de ses apôtres rencontrent déjà un franc succès. A santa Monica, un mythe est en train d'éclore.

En 1963, Jim Morrison, alors âgé de 20 ans, a fui la Floride et l'autorité musclée de son amiral de père pour s'inscrire à l'université de Californie. Le lecteur passionné de Kerouac et de Nietzche ne fait pas un étudiant en cinéma très assidu. Par conséquent, ce n'est pas sur les bancs de la fac qu'il rencontre Ray Manzarek, un camarade de classe, mais par l'intermédiaire d'un ami commun, habitué de la communauté hippie dans laquelle il a atterri. Manzarek a le courage de ses opinions. Adepte de ce que l'on nomme à l'époque le "drop out", il a abandonné ses brillantes études de piano classique pour jouer du blues, puis tourné le dos à une brillante carrière pour retouner étudier. Morrsion qui rêve d'interpéter sur scène ses poèmes mis en musique, trouve dans ce garçon déterminé l'interlocuteur idéal.

Quelques temps plus tard, les Doors - Morrison, Manzarek, John Densmore (batterie) et Robbie Krieger (guitare) - écument les scènes locales. La rumeur va bon train et une foule de plus en plus nombreuse se presse aux concerts. Jim psalmodie, s'agite, exhorte le public, distribue des doses d'amphétamines. Ses transes peuvent le mener jusqu'à l'évanouissement. Avant la fin de 1966, la réputation des Doors s'est étendue aux quatre coins de la Californie.

A l'été 1967, la révolution en marche, alors encore diffuse, désigne son épicentre. Ce sera San Francisco, l métropole lumineuse du Nord de l'état, et plus précisément, se sera Ashbury, un quartier vivant du Sud-Ouest de la ville. En 1967, l'Examiner, un journal local, a le premier utilisé le terme de "hippie", et en l'espace de deux ans, le point de chute des Grateful Dead a mué en base avancée du communautarisme. Ce nouveau mode de vie repose sur une idée simple : pour changer le monde, il faut commencer par modifier son existence quotidienne. La guerre du Vietnam a miné la belle cohésion nationale affichée durant les années 50, et la génération montante se veut libérée des contraintes sociales de l'Américain way of life. Les grappes de jeunes gens qui felurissent le long du Golden gate Park prônent l'égalité des sexes et des races, militent pour une approche nouvelle des relations entre les hommes, fondée sur la paix et l'amour (ou dans le texte peace and love), qu'au passage, ils préferent libre. L'usage collectif des drogues, principalement marijuan et LSD, doit permettre d'accéder à un degré élargi de conscience. Les teants du flower power trouvent en outre dans les métaphysiques orientales l'une de leurs principales sources d'inspiration. La musqiue fait partie intégrante de cet élan. Le rock, moyennant les quelques aménagements évoqués précédemment, est plus que jamais la voix de la contestation.

Le matérialisme américain, même s'il a installé un réfrigérateur dans chaque maison, ne rassasie pas ses jeunes en quête d'absolu. La vérité est forcément ailleurs, du côté de la spiritualité et pourquoi pas en Orient. Les Beatles, gourou à l'appui, en viennent aussi à cette conclusion. La sitar entre dans la chanson (Within Without you) de l'album Sgt. Pepper's. Les Stones s'embarquent dans des ambiances mystiques sur l'album Their Satanic Majesties Request.

Tangerine Dream et les "Flamands roses" voient eux aussi des éléphants roses. Pink Floyd emmène le rock psychédélique vers un rock plus planant, fait de nappes de synthétiseur, de guitares flottantes et de très longues plages instrumentales. Et Brian Eno, avant d'inventer l'ambient, explore lui aussi les planeries synthétiques. Toute cette musique influencera les groupes de rock progressif, et toute la new age.

En France, où démarrage fut plus tardif, le mode de vie hippie a surtout pris de l'ampleur dans la première moitié des années 70. A cette époque, aux Etats Unis, les ramifications politiques de l'utopie continuent d'influer sur la société mais le rêve, lui, a déjà pris fin. A la veille de la nouvelle décennie, deux événements sanglants ont mis un terme à la liesse. En août 1969, l'assassinat de l'actrice Sharon Tate par Charles Manson a pointé la dérive sectaire de certaines communautés et en décembre de la même année, le meurtre du jeune Meredith Hunter, perpétré par les Hell's Angels du service d'ordre des Rolling Stones, a ruiné la dimension confraternelle et parcifiste du mouvement. A partir de 1969, les décès des grandes figurent du rock comme Brian Jones, Janis Joplin, Jimi Hendrix ou Jim Morrison, pour ne citer qu'eux, mettent au fin des mythes des drogues bienfaisantes.

Restent quelques années bénies. Jamais plus la jeunesse ne portera les couleurs de la contestation aussi haut que durant que ces étés là. Mais il ne faut jurer de rien. Les retombées sur notre société d'aujourd'hui sont immenses. Suivant les uns, au sens négatif du terme, suivant les autres d'une manière incontestablement positive. Ce qui est sûr, nous sommes les enfants de cette période, comme nous sommes les enfants de 68. Et puis la jeunesse exprimera encore pendant longtemps la contestation à sa manière, on peut compter sur elle.

5. Le rock profond : blues revival, swamp rock, rock sudiste 

 New York et la Californie ne sont pas l’Amérique. Le pays profond reçut comme une gifle les excès du mouvement folk et psychédélique.

Un certain nombre de musiciens provenant des états du centre préférèrent se réfugier dans une autre forme de fondamentalisme que celle du mouvement folk et orientèrent leur travail sur la création d’un rock plus musical, moins axé sur le texte, sans toutefois abandonner la veine critique qui fut parfois très violente (Steppenwolf, MC5).

Le blues boom anglais eut son équivalent aux Etats-Unis avec l'émergence de quelques créateurs marquants, très fidèles à l'esprit de la musique noire et qui surent y adjoindre l'énergie nouvelle des sons durs et saturés du rock : Paul Butterfield, bluesman blanc natif de Chicago et fixé à Woodstock, animera une véritable école du blues électrique; Johnny Winter, rocker texan fortement marqué par le blues de Chicago et la musique des Rolling Stones, se rendra célèbre grâce à une extraordinaire reprise pleine de vrituosité du Johnny B Goode de Chuck Berry;  Canned Heat, groupe de Los Angeles mettra l'accent sur la fidélité au style de John Lee Hooker, auquel il ajoute le son saturé de guitares et d'un harmonica immédiatement reconnaissables (On The Road Again, 1968), donnant naissance à un genre que l'on de tardera pas à nommer "boogie blues","boogie rock" ou "rock blues".

Le Sud n'est pas en reste avec l'apparition en 1968 du groupe Creedence Clearwater Revival : véritable usine à tubes, CCR fut le plus célèbre des groupes des américains des années 70. Dès la fin de 1969, il a imposé le "swamp rock", rock des marécages, au son puissant et lourd, proche du peuple américain du Sud par sa rythmique héritée du rock et du blues, ses ritournelles aux paroles quotidiennes et accessibles.

Très rapidement, le "swamp rock" et le "rock blues" vont fusionner pour donner ce que l'on appelera tout d'abord "Southern rock'n'roll", rock suidste, dont l'acmé se situera dans le courant des années soixante-dix avec des groupes comme les Allman Brothers Band et Lynyrd, considérés avec Jimi Hendrix et Led Zeppelin comme les ancêtres du heavy metal et du hard rock : ryhtmiques lourdes, chant suraigu, virtuosité des guitaristes ou des harmonicistes, paroles simplistes et fréquemment réactionnaires.