Née le 9 janvier 1941 à Staten Island (New
York), elle est la fille d'une enseignante en dramaturgie britannique et d'un
physicien. Sa mère est écossaise et son père mexicain. Elle est, très tôt,
confrontée au problème du racisme. Partout où ses parents résident, on les
traite d'étrangers, et son teint basané attire les remarques.
"J'ai été élevée à Redlands en
Californie. Là, il y avait beaucoup de mexicains, et leurs enfants étaient
souvent vus d'un mauvais œil. Moi,j'étais à part parce que moitié mexicaine.
Les jeunes mexicains avaient du mal à m'accepter car je ne parlais pas
espagnol. Par la suite, j'ai décidé de chanter et de jouer du ukulélé afin qu'ils
m'acceptent. C'est ainsi que j'ai réussi à être admise parce que j'étais
capable de distraire."
Son physique la
complexe beaucoup ; adolescente, elle déteste son nez, sa poitrine menue. Son
père la rassure comme il peut en lui affirmant qu'elle a le plus beau sourire
du monde. Ses parents sont plus instruits que la plupart des américains. A la
maison, on parle de tout ouvertement. On écoute Mozart, Bach et Vivaldi.
D'autre part, il est intéressant de savoir que la future militante pacifiste
avait un papa, Abo, qui fut chercheur dans une usine d'armement de Buffalo.
Après une crise de conscience au contact des réunions de Quakers qu'il
fréquentait, il changera l'orientation de sa carrière, préférant vivre plus modestement
mais en paix avec son âme. On le retrouvera à l'Unesco à Paris, avec sa fille,
ce qui explique que Joan manie bien le français. Vu la profession de son père,
elle voyage énormément : Suisse, Italie, Irak. Au Moyen-Orient, Joan prend
conscience de la misère des enfants du tiers monde. Elle vivra une période de
cauchemar, aidée un temps par la psychanalyse. Finalement sa famille s'installe
à Boston, où elle étudie à l'université et mène une vie d'adolescente beatnik.
Elle est attirée par la musique folk en 1958, si bien qu'elle se met à chanter
régulièrement des vieux folk songs pour ses camarades. Un soir, son père
l'emmène, avec ses deux sœurs, dans une boîte locale, le Tulla's Coffee
Grinder, où passent des chanteurs folk amateurs. Bientôt, Joan, y chante à son
tour; ainsi qu'au club 47 à Cambridge, le quartier des étudiants.
En juillet 1959, avec des copains,
elle se rend en spectatrice au premier festival folk de Newport, où se
produisent Pete Seeger, Odetta, et Bob Gibson. Ce dernier,
par hasard, remarque Joan qui, ayant amené sa guitare, chante pour patienter
dans son coin. Cette voix claire et puissante, d'une pureté et d'une diction
incroyables, travaillée dans les chorales, émerveille Gibson qui lui propose de
monter sur scène avec lui, le soir même. Les 13 000 spectateurs présents sont à
leur tour subjugués. Révélée par ce triomphe, on lui propose de rencontrer
Mitch Miller de la CBS. Elle refuse, ayant peur d'être exploitée par une grande
compagnie et préfère signer pour Vanguard, une petite maison qui, grâce à elle,
deviendra grande.
En 1960, elle renregistre son premier 30
cm, un album de folklore à la voix cristalline comprenant plusieurs thèmes
écossais. Tandis que Joan Baez s'est installée dans une modeste cabane en
Californie, entourée de cinq chats et de cinq chiens, le disque atteint de très
bons chiffres de vente, ce qui est surprenant venant d'un artiste folk,
débutant, et femme de surcroît, à l'époque où la société ne considère la femme
artiste que comme une simple candidate aux concours de beauté. Plus tard,
l'interprète de Plaisir d'Amour cautionnera les
mouvements féministes et le MLF américain en particulier. Pour celle qui
devient la chérie de la gauche intellectuelle de son pays, pas question d'être
une femme-objet comme les autres chanteuses à succès.
En 1962, sur son album Joan Baez In Concert, elle interprète We Shall Overcome, qu'elle reprend dans divers
meetings à travers les Etats-Unis et, l'année suivante, lors de la marche pour
la liberté sur Washington. C'est l'époque où elle fait connaître Bob Dylan
- son amant de 1963 à 1965 - qu'elle présente lors de ses fréquentes
apparitions publiques. Fin juillet 1963, ils chantent en duo With God On Our Side devant plus de 30 000 personnes
à l'annuel festival de Newport, où, autre Pete Seeger, Bob Dylan
et elle, on peut applaudir Tom Paxton, Phil Ochs, les Freedom
Singers (quartet noir interprète du très convaincant Fighting For My Rights tandis que la révolution des
gens de couleur fait rage cet été-là à Birmingham en Alabama), et Peter La
Farge dans Coyotte, My Little Brother.
Devenue la pacifiste notoire que l'on sait
dès 1964, Joan Baez déclare publiquement qu'elle refuse de payer des impôts qui
servent à entretenir le ministère de la guerre. Elle fonde en 1965, l'Institut
de la non-violence à Carmel en Californie, tandis que son 45-tours There but for fortune se classe à la 50ème
place du hit-parade. Farewell Angelina,
paru en 1965, contiendra encore sa part de chansons de Bob Dylan (It's All Over Now Baby Blue, A
hard Rain's A-Gonna Fall).
Entre-temps, l'inconnu qu'elle avait
présenté à Newport au grand public a
brûlé les étapes de la renommée, obtenu un succès qu'elle n'aurait jamais osé
imaginer, et l'ordre de leurs apparitions sur les mêmes affiches est désormais
inversé. Amour-haine, admiration-jalousie, leur union laissera à Joan beaucoup
d'amertume et une cicatrice intérieure qui sera longue à se refermer. Idéaliste
dèjà écoeurée par la société, elle sera choquée par l'attitude de son ami
Bobby, au comportement étrange à plus d'un égard. S'est-il servi de Joan comme
tremplin, comme il l'aurait peut-être fait en se liant d'amitié avec Woody
Guthrie ? Arriviste Dylan ?
Plus que jamais
fidèle aux idées de Gandhi et de Martin Luther King, Joan Baez participe, en
avril 1965, à une manifestation pacifique de plus, devant la maison blanche.
Trois ans plus tard, elle publie Daybreak, sa propre autobiographie,
plus un recueil de poèmes. Elle épouse le militant pacifiste David Harris, son
cadet de cinq ans, puis chante Love Is A Four Letter
Word. Ils auront un fils (Gabriel) puis divorceront en 1971 ; la même
année elle quitte Vanguard pour A&M, et signe la chanson du film Sacco
et Vanzetti consacrée aux deux anarchistes italo-américains ? Joan Baez
n'en abandonne pas pour autant les récitals, même si c'est au rythme réduit
d'une trentaine par an. Aux Etats-Unis, elle exige que le prix des places
n'excède pas deux dollars et explique : "Je me débrouille pour vivre avec
une certaine somme d'argent que je m'accorde mensuellement. Le reste de ce que
je touche, je ne le considère pas comme mien, et il n'est pas investi dans des
affaires où je ne voudrais pas le voir fructifier (allusion aux dollars de
Dylan …)."
Très impliquée dans la lutte contre la
guerre au Viet Nam (elle passera Noël 1972 sous les bombes à Hanoi et en
rapportera la matière d'un poignant album, Where Are You Now, My Son ?),
elle se lance dans l'écriture de chansons et les années chez A & M sont
riches en enregistrements où la femme et la pacifiste s'engagent (Gracias A La
Vida, 1974, entièrement en espagnol, et Diamonds
And Rust, 1975, hanté par le souvenir de sa relation passionnée avec
Dylan). Elle retrouvera ce dernier sur les planches de la tournée de 1976
Rolling Thunder Review, puis lors du tournage du film Renaldo et Clara
en 1978.
A la fin des années 70, avec ses albums
chez Portrait (label indépendant de la Columbia), puis dans les années 90, où
elle redonne un nouvel élan à sa carrière en signant chez Virgin, Joan Baez
privilégie à nouveau l'exigence vocale et musicale, tout en restant fidèle à
ses idéaux de paix et de solidarité avec les opprimés (Afrique du Sud, Bosnie).
Souvent controversée pour ses idéaux qui ont souvent heurté l'Amérique
profonde, à la veille de boucler sa quatrième décennie comme professionnelle,
elle demeure une artiste hautement appréciée et respectée par plusieurs
générations d'admirateurs
à travers le monde.