John Cale

Né dans une famille ouvrière (le 9 mars 1942, au Pays de Galles), John Cale apprend très tôt la musique classique et obtient une bourse pour aller étudier Satie aux Etats-Unis. A New York, il rencontre en 1965 Lou Reed et fonde avec lui le Velvet Underground, groupe mythique au sein duquel il restera jusqu’en 1968. Après avoir participé à plusieurs enregistrements de l’égérie du Velvet, la mystérieuse Nico (ainsi qu’à la production du premier album d’Iggy Pop And The Stooges), ce musicien complet (il joue du violon de la basse, des claviers), fan de Captain Beefheart, tenté par l’avant garde, se lance dans une œuvre originale et très personnelle. Tour à tour rocker radical, Vintage Violence (1971) ou musicien expérimental avec Church Of Anthrax, la même année avec le pape de la musique répétitive, Terry Riley, John Cale traverse les années 70 en poète noir et décadant jonglant furieusement avec l’électricité.

Vintage violence

Paris 1919

Fear

1971                           GD

1973                           CD

1974                           GD

 

En 1973, John Cale réside à Los Angeles, rémunéré par Warner en tant que producteur maison. Il se la joue Californie, soleil et showbiz. Sauf qu’il y enregistre Paris 1919, probalement l’album le plus européen de sa carrière. Costumé de blanc, dandy somnambule, John Cale y évoque tour à tour son enfance galloise, l’Andalousie, Macbeth, le Paris du début du siècle, Graham Greene et l’Antarctique … Musicalement c’est un véritable patchwork, puisque l’artiste y est accompagné par les membres de Little Feat, le guitariste Lowell George en tête – on peut difficilement trouver plus américain – et par un grand orchestre qu’il dirige de main de maître, alternant cordes nerveuses, dissonances subtiles et romantisme échevelé.

 

Inutile de préciser que le résultat ne ressemble à rien de connu, la voix de Cale, grave et martiale, s’accomodant magnifiquement de cet écrin inouï. C’est également l’un des albums de John Cale les plus faciles à écouter, harmonieux et lèché, mais qui n’aura pas séduit le grand public (aucun autre non plus d’ailleurs). Peut-être parce que derrière cette beauté, on sent le malaise, l’étrangeté… C’est évidemment ce qui lui confère ce charme sulfureux.

 

Un temps tenue à distance, la psychose se révèle dans toute sa gravité en 1974 avec Fear, disque totalement cintré, définitivement barré, bon pour l’HP, et le plus inquiétant, c’est que comme tous les grands malades, Cale a, la plupart du temps, toutes les allures de la normalité, tout du moins jusqu’à l’inévitable bouffée délirante. Le morceau éponyme par exemple, commence le plus tranquillement du monde, au piano, jusqu’au gouffre vertigineux du refrain. A partir de là, la musique implose, la guitare part d’un côté, la basse de l’autre, quant au piano il ne sait même plus où il en est. Cale hurle, s’égosille : " La peur est le meilleur ami de l’homme ". Crise de paranoïa carabinée. Un temps plus tard, Barracuda semble lui aussi tout à fait sain d’esprit, jusqu’à ce que le violon soit pris d’une attaque de colique néphrétique et ainsi de suite jusqu’à la crise fatale.

 

Gun où la guitare de Phil Manzanera, échappé de chez Roxy Music, se métamorphose huit minutes durant en tronçonneuse. Pendant les périodes de calme, rémission fragile, Cale, camisole de force à portée de main, chante quelques-unes de ses plus belles chansons, You Know More Than I Know ou Ship Of Fool. Pourtant il y a toujours dans sa voix quelque chose d’étrange, un détachement névrotique, comme revenu des enfers. Quant aux textes, ils sont à l’image du reste, pas vraiment bien dans leur tête. Pas étonnant qu’on appelle le producteur Cale à la rescousse dès qu’un groupe de fêlés, des Stooges aux Happy Mondays, fait mine de vouloire enregistrer un disque . Il faut se méfier de l’eau qui dort.

 

Parallèlement à ses albums fièvreux et tendus, cet artiste difficilement classable multiplie les collaborations. On le retrouve aux côtés de Nico, de Kevin Ayers, de Brian Eno et de Phil Manzanera (ex Roxy Music) le temps d’un disque historique (June, 1974) ou aux manettes de la production de Horses, sans doute le plus bel album de Patti Smith. Son goût affirmé pour la destruction et le chaos (un de ces disques live s’intitule Sabotage !) fait de lui, bien involontairement, une référence pour le mouvement punk qui, à partir de 1977, bouleverse l’ordre du rock, puis, quelques années plus tard, un modèle pour la cold wave que Joy Divison barbouille de noir.

 

En 1990, après une longue brouille, John Cale le Gallois retrouve son vieux complice Lou Reed le temps d’un hommage à Andy Warhol et enregistre avec le rocker new-yorkais l’album Songs For Drella ; tout en travaillant avec Brian Eno à un nouveau projet, Wrong Way Up. L’année suivante, il signe la musique du film du jeune réalisateur français Olivier Assayas, Paris s’éveille, puis rend hommage à Brahms en 1993 dans The Academy In Peril. Même si depuis John Cale se fait discret, son influence sur plusieurs générations de jeunes rockers reste considérable : il y a peu de nouveaux courants musicaux qui, depuis le début des années 70, n’aient rien utilisé de son héritage. En 1996, après avoir participé au nouvel album de Patti Smith, Gone Again, il produit le disque des Nouvelles Polyphonies Corses et sort le très pop, Walking On Locusts, avec l’aide de David Byrne et de Maureen Tucker, l’ancienne batteuse du Velvet Underground.