Du goût de
la décadence au néo-paganisme
Agacé par les attitudes paupiéristes des
hippies, le rock réagit. Il redécouvre le strass et les paillettes. Les
mouvements de libération de la fin des années soixante ont aussi leurs
incidences sur les codes vestimentaires. Les rôles sexuels se confondent. Les
filles s'habillent comme des garçons, tandis que ceux-ci se maquillent et se
teignent les cheveux. Prophète de cette ambivalence, David Bowie passe
d’abord pour un extra-terrestre, avant d’être largement imité. Inspiré par son
professeur, le mime Lindsay Kemp, et par le poète et comédien Quentin Crisp, il
affiche une bisexualité, qui en 1972, peut encore choquer. Ses diverses
incarnations - en Ziggy Stardust, Alladin Sane, ou Thin White Duke – sont autant
de masques. D’autres les emprunteront, sitôt délaissés.
A la même époque, les New York Dolls,
pillant les boutiques de fripiers de leurs quartier (l’East Village) s’amusent
à brouiller les pistes. Collants fluos, manteaux de fourrure synthétique, chaussures
de femme à talons hauts, boas de plume d’autruche, maquillages chargés :
le rock décadent s’offre l’image provocatrice des travestis –à l’extrême opposé
du chic " working class hero " des derniers hippies.
Au début des années 70, le chemin du rock
ne croise plus celui de la pop depuis un bon moment déjà. L’urgence, l’art du
single, le souci de divertir ou de faire danser se sont perdus dans les brumes
du psychédélisme et du blues boom. La chanson n’est plus qu’un maigre prétexte
pour se lancer dans d’interminables solos de guitare ou de longues errances
expérimentales dominées par les claviers et les premiers synthétiseurs. Pour
une poignée d’artistes britanniques, généralement des galériens des années 60 à
qui la chance n’a guère souri, le rock fait évidemment fausse route. Leur
ambition ? Faire revenir le binaire dans les discothèques et les bars, le
reprendre aux mains des étudiants et des intellectuels pour le rendre au
peuple. La méthode ? Repartir aux sources en quête de la matière
originelle, le rock’n’roll, puis s’habiller de strass et de paillettes pour lui
offrir une seconde jeunesse : T. Rex, David Bowie, Slade,
Gary Glitter, Sweet … Ils seront nombreux à troquer leurs mornes
jeans et leur tuniques informes pour enfiler des tenues aussi provocantes que
délirantes – costume doré et kimono moulant, chemise à col pelle à tarte aux
couleurs bigarrées et platform boots aux talons démesurés – pour incarner ces
nouvelles idoles au look androgyne.
A coup d’hymnes métalliques aux refrains
racoleurs, les héros du glitter (ou glam, de glamour) prennent d’assaut les
hit-parades. Seule l’Amérique se montre rétive au mouvement, obligeant même ses
propres rejetons à chercher refuge en Europe (Suzi Quatro, Sparks
et les authentiques décadents New York Dolls …). Ses plus grands
représentants évoluant à leur tour avec le temps (Bowie, Roxy Music,
Elton John …) le glitter verra ses dernières paillettes disparaître
durant l’hiver 1975. Longtemps méprisé pour sa vulgarité, le glam rock a été progressivement
réhabilité au fur et à mesures que ses titres phares (" Get it
on " de T.Rex, " Coz I luv U " de Slade, "Bockbuster "
de Sweet, " Rock’n’roll " de Gary Glitter, …)
sont devenus les standards des rockers des années 80. Le terme de glam rock s’est
d’ailleurs vu réapproprié par les groupes de heavy metal californiens aux looks
efféminés comme Motley Crue ou Poison.
2. Underground
new-yorkais, l’avant garde des punk, new wave, …
Punk désignait dès les années 30 un jeune
bon à rien en quête de valeurs autres, en butte aux exigences du monde adulte.
Et si Frank Zappa utilise l’expression dans une de ses chansons, c’est le
critique Lester Bangs qui l’emploie pour la première fois pour décrire un
courant musical. Le punk rock d’alors qualifie les innombrables
" garage bands " américains des années 60, autant d’ersatz
crus et brouillons des hérauts de la " british invasion ", Kinks,
Who, Troggs, Them et bien sûr Stones en tête. En 1965,
le moindre collège d’Outre-Atlantique abrite son clone acnéique de Mick Jagger,
entouré d’une bande de musiciens à la technique aussi limitée que leur
matériel. Amplis minuscules et instruments bon marché produisent un son rugueux
et primitif. Mais ces groupes (Standells, Seeds, Count Five ? and The
Mysterians, Shadows Of Night…), malgré leur talent restreint, atteignent par
leur simple fougue, leur désir de jouer, le temps d’un single ou deux, la
grâce. L’émergence du son de San Francisco en 1967-1968, authentique
proposition d’alternative au style anglais, mettra un terme au mouvement.
Curieusement, lorsque l’expression est
utilisée pour décrire un deuxième mouvement musical dans la première moitié des
seventies, il ne s’applique pas à ceux que l’on considèrera quelques années
plus tard comme les véritables parrains du genre, comme les Stooges, le MC5
ou les New York Dolls. Les punks d’alors ont des têtes de petits ploucs
urbanisés qui à l’écart des courants heavy ou glam (rock paillettes, glitter
rock) en vogue, chantent sur fond d’un rock roots (rock traditionnel) qui
s’inspire plus du Band que des Beatles, des petites histoires de tous
les jours, les espoirs déçus et chagrins d’amour de l’homme de la rue. Ils ont
pour nom Nils Lofgren ou Bruce Springsteen.
Pourtant, vers la même époque, les
véritables artisans de l’explosion punk à venir sont déjà à l’œuvre. A New
York, un petit club pouilleux, le CBGB’s est investi par des rockers d’un genre
nouveau, enfants illégitimes du Velvet Underground. Patti Smith, Television,
les Talking Heads, Blondie partagent, plus que leur musique, le
même look famélique, la même élégance miteuse, le même regard menaçant. Et
puis, il y a les Ramones. Quatre faux frères, crétins autoprolamés, aux
têtes de dégénérés – teints blafards et lunettes noires – portant jeans troués
et baskets éclatées. Leurs chansons se ressemblent toutes et tiennent en moins
de deux minutes chrono : point de solo inutile ou de prouesses musicales à
exhiber, juste un rock brutal réduit à une expression minimale. En même temps,
Richard Hell, bassiste du groupe américain Television, se coupe les
cheveux courts et lacère ses T-shirts, qu’il rafistole avec des épingles à
nourrice. Le style punk est né. Malcom Mc Laren, le manager-styliste anglais
n’en perd pas une miette…
3. Révolution
dans la révolution : l’explosion punk
1976 : la crise économique, provoquée
par le renchérissement brutal des prix du pétrole brut après la guerre
israélo-arabe de 1973, frappe de plein fouet les nations occidentales. Les
Etats-Unis réagissent convenablement, du fait de leur puissance. La France
étouffe les problèmes par d’interminables débats politiques. L’Allemagne et
l’Italie se heurtent à un mouvement terroriste organisé et puissant :
bande à Baader et Brigades Rouges.
La Grande-Bretagne voit s’effondrer les derniers
bastions de son économie ; l’industrie automobile frôle la faillite, les
textiles connaissent d’énormes difficultés, comme les industries liées au
charbon et à la métallurgie. Le commerce international s’étant considérablement
ralenti du fait de la récession économique, la flotte marchande britannique est
à quai.
Les prix montent, les salaires stagnent, le
chômage s’étend et la vie quotidienne des Britanniques, déjà traumatisée par
les actions spectaculaires de l’IRA, doit faire face à une montée de désespoir
collectif. Il reste les loisirs : le football, institution nationale,
connaît ses heures de gloire. Les parieurs sont de plus en plus nombreux, un
grand nombre d’oisifs forcés, rejetés hors du circuit du travail, tentant leur
chance aux jeux du hasard.
Mais pour les jeunes, il n’y a rien :
l’allocation chômage, une bourse pour entrer dans une " art
school ", de petites combines, de petits jobs, cela ne peut suffire à
remonter le moral d’adolescents matraqués chaque soir à la télévision par les chiffres
du chômage et la liste des usines qui ferment.
En d’autres temps, il y aurait eu le rock,
pour cristalliser une prise de conscience, une révolte, et s’amuser un peu.
Mais il est mort. Mort en tout cas, pour les jeunes, qui ne peuvent plus
s’identifier à des milliardaires d’une trentaine d’années, qui de surcroît ont
élu domicile à l’étranger. La société élitiste du rock business est en effet,
en ce milieu de décennie, particulièrement coupée des réalités du peuple, qui
habite les cités mornes des banlieues anglaises. Il n’est même pas question ici
de cette aristocratie d’ouvriers et d’employés possédant chacun leur petite
maison de brique rouge au bord d’une rue luisante de pluie qui reflète
l’uniformité inquiétante des habitations. Ceux-là encore ne sont pas à plaindre
et perpétuent à leur manière les vieux rêves de l’Empire britannique, qui avait
voulu faire de ses sujets, la bourgeoisie du monde.
C’est dans les cités de béton, dans cet
urbanisme conçu à la va-vite au sortir de la guerre, au sein de cette jeunesse
désoeuvrée, inculte, voliente et désepérée que la contestation va naître et
grandir : puisque le rock est mort, tenu en main par une poignée de
vedettes mondiales qui en ont fait une chasse gardée, il faudra détruire
l’établishment rock, tous ceux, qui, après avoir dans le passé critiqué et
combattu les structures sociales de l’Occident développé, avaient troqué leur
rébellion contre une villa sur la Côte d’Azur ou en Californie. Les
" punks " vont brutalement ranimé le flambeau de la révolution
rock en contestant avec sauvagerie et grossièreté le star-system, la belle
musique, les " guitar heroes ", le beau son, le
professionna-lisme. Ignorants, parfois volontairement incompétents, naïfs et
mêmes stipides, ils furent pourtant les dépositaires, un moment, de l’esprit
initiale du rock. Cette génération vide (" blank
generation ") a en effet sorti le rock des ornières où il était
tombé.
Il n’y a pas eu de pensée dans le mouvement
punk. On ne peut parler de " philosophie " punk que par
métaphore ; par contre, il y a bien eu dans les premières années de la
révolte, jusqu’en 1979-1980, une idéologie punk, une représentation
fantasmatique du monde, liée à des refus plus qu’à un sytème de remplacement.
La révolte brusque des punks n’a pas eu de théoricien et elle a disparu dès que
le dynamisme de ses combattants s’est émoussé, pour finalement s’édulcorer à
son tour dans le giron de l’établishment rock. L’idéologie punk se représente
le monde comme un univers composé d’enfants et de parents ; en ce sens,
elle rappelle les conceptions du rock’n’roll puis du mouvement mod et de la
contre-culture américaine. Les Sex Pistols, leader du mouvement, ont
bien affirmé que leur but était d’accentuer le conflit des générations :
" L‘idée de base du punk est de retourner les gosses contre leurs
parents " a déclaré Johnny Rotten. Le monde est aux yeux des punks un
assemblage d’injustices sociales : il y a les riches et les pauvres, les
forts et les faibles, les lions et les moutons ; les punks, nés de la
crise, vont vouloir renvoyer à la face de la société une image caricaturale de
ce qu’elle produit ; les punks cultiveront le " look
pauvre " : manteaux noirs et chaussures d’ouvriers, guitares à
bon marché, coupes de cheveux faites à la maison. Refusant brutalement l ‘éducation,
ils feront à chaque fois qu’ils le pourront le procès de l’éducation familiale
et de l’enseignement : leur désir secret est de faire honte au corps
social tout entier en se servant de leur apparence et de leur comportement.
3.1 Naissance du punk (1976-1984)
À l'origine aux États-Unis, le mot punk
décrit le rock'n'roll basé sur des guitares électriques des groupes « Garage »
des 60's tels The Seeds, The 13th Floor Elevators ou encore The
Gizmos et des groupes de Detroit, The Stooges et MC5. Ce qui est
maintenant appelé 60's punk ou protopunk pour éviter une confusion. Le mot punk
aurait été utilisé la première fois par Lester Bangs (critique rock) pour
qualifier la musique des motors city five (MC5)
Les influences du punk-rock sont aussi des
groupes de glam rock tels que The New York Dolls, mais aussi les groupes
de rock britannique comme The Who, The Kinks première manière et
les artistes de l'avant-garde new wave new-yorkaise (Patti Smith, Suicide,
Television) et The Heartbreakers avec Johnny Thunders et Jerry Nolan. On
constate un fort désir de retourner à la spontanéité et la simplicité du rock
primitif et un rejet de ce que les punks ont perçu comme prétentieux,
mercantile et pompeux dans l'arena rock des années 1970, engendrant les formes
grandiloquentes du heavy metal et du rock progressif. Par contraste, le punk a
délibérément renforcé la simplicité de ses mélodies, refusant toute
démonstration ostentatoire de virtuosité et engageant n'importe qui à former
son propre groupe dans sa cave ou son garage. Les paroles ont apporté une
nouvelle radicalité d'expression dans les sujets politiques et sociaux,
traitant souvent de l'ennui urbain et du chômage. Les thèmes sexuels étaient
abordés de façon crue et ne se limitaient plus à l'amour sublimé qui était
chanté ailleurs ou aux métaphores suggestives (et souvent transparentes,
d'ailleurs) qui avaient cours dans le rock (puis la pop) et qui avaient suscité
à l'origine de vives polémiques.
Aux États-Unis, les Ramones ont posé, à
partir de 1974, les jalons du punk américain dans une version qui reste alors
très rock'n'roll et parfois considérée comme les prémices du pop-punk. The
Germs, formés autour de Pat Smear, ont sorti en 1977 leur single Forming/Sexboy
(live), souvent considéré comme le tout premier disque punk de Los Angeles.
Richard Hell est un autre jalon important, tant pour l'image (t-shirt déchiré)
que pour le son avec son titre Blank Generation. A New-York, le magasine Punk
est fondé en 1976 par le dessinateur John Holmstrom, Ged Dunn et Legs McNeil.
Au Royaume-Uni, certains ont pu écrire que
des groupes traditionnellement rattachés au courant "pub rock",
l'équivalent des garage bands américains au milieu des années 1970, pourraient
représenter les prémisses de l'explosion punk britannique de 1976-77, en raison
de l'énergie de leur musique et de leur vitesse d'exécution ; parmi eux :
Doctor Feelgood ou le très controversé Eddie and the Hot Rods.
Même si le premier groupe punk britannique
ayant sorti un disque fut The Damned, dont le premier single vinyle parut
confidentiellement durant l'été 1976 (son titre-phare étant "New
Rose"), les véritables débuts du mouvement ont été les premiers concerts
des Sex Pistols au Roxy Club et au 100 Club de Londres et l'interview du groupe
dans une émission de large audience. Le passage des Sex Pistols et du Bromley
Contingent à la télévision a suscité un véritable engouement mais aussi une
très vive hostilité (aboutissant à l'interdiction de la plupart de leurs
concerts), qui fut l'un des engrais essentiels du phénomène. À partir de là le
punk, médiatisé, a enflammé une partie de la jeunesse.
En France, les pionniers du mouvement
furent le « petit cercle d'initiés » qui se créa autour d'Élodie Lauten.
Revenant du CBGB à New York, où elle avait entendu Patti Smith
"miauler" d'étranges poèmes rock toutes les nuits, elle fit découvrir
à ceux qui allaient former Angel Face et European Son (et plus tard, Métal
Urbain), à Alain Pacadis et à Patrick Eudeline (qui décida alors de former le
premier line-up d'Asphalt Jungle), ce tourbillon qui commençait à envahir la
planète.
De son côté, Marc Zermati, qui avait depuis
plusieurs mois ouvert une boutique, l'Open Market, rue des Lombards (dans les
Halles), où se cotoyaient Iggy Pop, les Flaming Groovies et Doctor Feelgood
lorsqu'ils passaient à Paris, mais aussi Pacadis et Yves Adrien, organisa, en
août 76, le premier festival punk à Mont-de-Marsan. The Damned clôturèrent les
deux journées de délires. Au même moment, Philippe Bone, passant l'été à
Londres, ramenait en France le premier single de ce groupe "vinylisé"
paru chez un petit label indépendant qui venait juste d'en presser quelques
exemplaires. C'est ainsi que "New Rose", sur la face A de ce disque,
retentit pour la première fois dans un lieu public en France, au Gibus club.
3.2 Culture punk
L'expression punk reste associée
aujourd'hui à la période 1976-80, incarnée par les Sex Pistols, The Clash, The
Damned, X-Ray Spex, The Ramones entre autres et à une nouvelle forme d'énergie,
d'esthétique et de radicalité prenant le pas sur la contestation hippie de la
décennie précédente.
En angleterre,Malcolm McLaren, le manager
des Sex Pistols comme l'initiateur machiavélique et secret du mouvement. On
note aussi l'influence du mouvement situationniste et du mouvement Dada dans
l'esthétique et l'activisme punk, dominés par une économie de moyens et un sens
aigu de l'auto-dérision. Ces courants ont marqué l'avant-garde du mouvement
punk britannique, avec les Sex Pistols et leurs "satellites" : le
Bromley Contingent (leur cercle rapproché), la boutique Sex de Malcolm McLaren
et de la couturière Vivienne Westwood,Jordan, "créature" travaillant
pour eux, The Flowers Of Romance, etc. Le couple McLaren-Westwood a su
habilement faire des Pistols, dont ils se chargeaient de confectionner les
tenues, leurs ambassadeurs les plus médiatiques, posant ainsi les fondations de
l'apparence punk telle qu'elle reste ancrée dans la culture populaire.
Dans d'autres domaines artistiques, le
graphiste Jamie Reid, proche des situationnistes, avait précédemment travaillé
dans les revues Suburban Press et King Mob. Les pochettes de disques, dans les
mains des graphistes punks, servent d'instrument de détournement des valeurs
sociales et de la culture populaire comme la pochette du disque des Dead
Kennedys Bedtime for Democracy.
Pourtant la petite histoire a surtout gardé
du punk des symboles : les épingles à nourrice utilisées comme bijoux, les
coupes de cheveux extrêmes et colorées comme la Crête Iroquoise (mohawk en
anglais), le piercing (souvent avec des épingles à nourrice), le tatouage et la
réappropriation « artistique » des vêtements de masse. Après le punk pauvre est
apparu le « punk chic », recyclage commercial et industriel de ce qui en 77
s'inventait dans la rue.
Au-delà du nihilisme prétendu ou affiché,
le punk est un mouvement assez largement créatif et solidaire, un mouvement qui
en profondeur semble avoir posé les bases de différentes alternatives sociales
et économiques, qui ont parfois réussi à durer.
La scène punk s'est exportée mondialement,
a créé une scène propre avec ses labels (Rough Trade, Factory, New Rose,
Bondage Records...) et concerts alternatifs autogérés. Les groupes punk
alternatifs comme Bérurier Noir ou Crass ont imposé des places de concert moins
chères, les Travellers ont inventé des modes de vie alternatifs, le mouvement
des squats alternatifs est également issu de l'autonomie active voulue et
animée par l'esprit originel du mouvement, qui cherche d'abord à vivre
autrement et remet en question le mode de vie bourgeois traditionnel.
La vague punk a vu naître également une
presse underground et parallèle, les fanzines créés par des amateurs. Aux
États-Unis parmi les plus connus : Maximum Rock'n'Roll et Flipside, au
Royaume-Uni Sniffin'Glue, en France New wave (réapparu en 2004), On est pas des
Sauvages, Hello Happy Taxpayers, etc. Chaque scène locale a eu au moins son
fanzine édité avec des informations, un graphisme différent, des entrevues avec
les groupes locaux ou en tournée. Le magazine Factsheet Five a énuméré et
chroniqué les milliers de publications underground des années 1980 et 1990.
3.3 Influences & postérité
Depuis son apparition à la fin des années
1970, le punk côtoie et échange avec d'autres cultures underground comme le
reggae, notamment grâce à Don Letts (le "punky reggae party" de Bob
Marley et Lee Perry) ou le ska, pour donner naissance à des groupes comme The
Specials, Madness ou The Selecter.
Par ailleurs, il inspire très fortement, de
par ses convictions, des groupes « hybrides », à la frontière du hard rock et
du punk tel Motörhead, Nashville Pussy…
Le punk a eu une influence durable sur
toute la musique contestataire, dans la continuité de la culture underground
des seventies qui subsiste un peu partout aux États-Unis, au Royaume-Uni, en
France et bien ailleurs.
À noter que c'est dans l'émission de
Guillaume Durand Campus d'octobre 2005 qu'on a pu voir à la télévision
française sans doute les premières images d'une video de Métal Urbain, près de
30 ans après.
3.4
Le renouveau du punk rock aux États-Unis (depuis 1994)
La vague punk originelle s'est essoufflée
assez rapidement : même si de nombreux groupes nés à cette époque ont continué
à créer et à jouer, à l'instar des Ramones, d'autres ont eu une existence assez
brève, de quelques mois ou quelques années. Une scène rock indépendante n'en a
pas moins continué à exister, aidée par la multiplication des stations de
radio. Néanmoins le devant la scène médiatique rock au États-Unis a été occupé
tout au long des années 1980 par les groupes de métal. La scène punk
underground a, pour sa part, été dominée par le hardcore, à la suite de groupes
comme Black Flag (formé en 1976), Bad Brains (formé en 1977) et Minor Threat
(formé en 1980). Le centre de gravité s'était déplacé du Royaume-Uni et de la
côte ouest des États-Unis, à la côte est, notamment Washington, D.C. (mais
aussi New York).
Une scène punk rock dynamique mais plus
modeste et très underground a survécu, comptant en son sein un certain nombre
de groupes devenus quasi-mythiques, pour la plupart également formés au
tournant des années 1980, souvent originaires de la région de San Francisco
comme les Dead Kennedys, les Descendents, NOFX, Flipper. San Francisco où se
situe le 924 Gilman Street Project, la mythique salle de spectacle accueillant
la scène punk californienne et ayant vu démarrer ou jouer un nombre faramineux
de grands noms du punk rock californien tels que Rancid, Operation Ivy, The
Offspring ou encore Green Day.
La reconnaissance du grunge à partir de la
seconde moitié des années 1980 et notamment de Nirvana et sa très grande
popularité à la suite de la sortie de l'album Nevermind a ouvert la voie et
relancé la nébuleuse néo-punk et son économie délabrée, précédé par des groupes
comme Sonic Youth.
Le punk rock a connu une renaissance
médiatique depuis le milieu des années 1990 avec des groupes américains comme
Rancid, Green Day, The Offspring et NOFX. L'underground punk subsiste à l'ombre
de groupes qui peuvent connaître une réussite commerciale, qui est parfois
exploitée afin de créer des produits marketing n'ayant ni le vécu scénique, ni
le passé des groupes précédemment cités.
Les groupes apparus à partir de cette
époque sont très divers, mais composent tous avec un mélange d'influences
issues à la fois du punk de '77, du hardcore, du pop-punk des Ramones et des
Descendents, du métal et du grunge. En effet, leurs membres sont nés entre, au
plus tôt, dans la seconde moitié des années 1960 et, au plus tard, au début des
années 1980 et ont donc été bercés par tous ces genres de musique.
En parallèle du succès commercial de
certains groupes de punk rock dans la seconde moitié des années 1990 et du
début du XXIe siècle, la scène dans son ensemble connaissait déjà un regain de
vitalité très sensible depuis le début de la décennie et a vu percer ou naître
de nombreux groupes à forte éthique, marqués par leurs engagements politiques
ou tentant de faire évoluer le genre tout en restant fidèles à son histoire et
ses traditions, qu'il s'agisse par exemple de Lagwagon, No Use For A Name,
Pennywise ou Millencolin concernant le skate punk du milieu des annéess 1990 ;
de Propagandhi, Anti-Flag, Dillinger Four ou Strike Anywhere et leur attitude
ultra-politisée ; des Lawrence Arms et leurs textes inventifs, drôles,
touchants, contestataires et bourrés de références ; d'Against Me! et leur
mélange de punk et de folk ; du punk aux influences celtiques des Dropkick
Murphys ou de Flogging Molly ; de l'old-school des vétérans de The Exploited ou
des Casualties ; du pop-punk proche des Ramones des Briefs ou de Teenage
Bottlerocket ; du gypsy punk de Gogol Bordello et son chanteur charismatique
Eugene Hütz ; ou encore de groupes attirant le respect de toute la scène comme
Hot Water Music ou Jawbreaker.
On peut aussi citer les expérimentations
qui ont été faites aux frontières du punk et de l'indie par Bear vs. Shark, Ted
Leo ou bien Blake Schwarzenbach, demi-dieu d'un bon nombre de membres de la
scène pour avoir fondé les désormais mythiques (et défunts) Jets to Brazil
après la séparation de Jawbreaker.
Cette tendance au renouveau se poursuit
avec l'émergence de groupes jeunes et déjà respectés comme A Wilhelm Scream ou
No Trigger concernant le melodic hardcore, Latterman, ou le nouveau groupe de
hardcore de Dan Yemin, Paint It Black. Sans oublier la vigueur de maints groupes
vétérans : NOFX, Bad Religion (dont les deux derniers albums avec le retour de
Mr. Brett sont les meilleurs en dix ans), la réunion de Lifetime, ALL/The
Descendents, la carrière de Jello Biafra, Social Distortion (Sex, Love And Rock
'N' Roll est aussi un de leurs meilleurs albums), etc.
De nouvelles scènes locales dynamiques ont
émergé et viennent s'ajouter aux scènes traditionnelles des années 1980 que
sont San Francisco (Bay Area) ou encore la scène SoCal autour de Los Angeles,
qui demeurent deux centres ultra-dynamiques, ou le hardcore de la côte est :
·
Chicago, qui était déjà la patrie des Smoking
Popes, de 88 Fingers Louie et Screeching Weasel, est sans doute la plus
féconde, avec de Rise Against, The Lawrence Arms, Alkaline Trio, Much the Same
;
·
Minneapolis a
Dillinger Four et Hüsker Dü ;
·
de la
Nouvelle-Angleterre viennent Boysetsfire, A Wilhelm Scream, The Unseen, No
Trigger ou With Honor ;
·
Boston est tout naturellement le cœur de la scène
punk celtique emmenée par les Dropkick Murphys ;
·
en Pennsylvanie, Philadelphie est la ville
d'origine de Kid Dynamite, Paint It Black ou The Loved Ones et Pittsburgh
abrite Anti-Flag ;
·
New York et le New
Jersey ont Lifetime, BigWig, Crime In Stereo, Kill Your Idols, les Bouncing
Souls, Gogol Bordello, None More Black ou Latterman ;
·
la Virginie a vu naître Avail et Strike Anywhere,
la Caroline du Sud Stretch Arm Strong ;
·
la scène de
Gainesville : Against Me!, Less Than Jake, Hot Water Music, This Bike Is A Pipe
Bomb ;
·
au Nord-Ouest, le
Washington possède The Briefs, les Melvins, l'Oregon a Tragedy et le Wyoming
The Lillingtons/Teenage Bottlerocket.
En dehors des États-Unis, l'une des scènes
nationales les plus populaires a longtemps été celle du punk rock suédois avec Millencolin,
les Satanic Surfers, No Fun At All, The Hives ou Venerea. Au Canada, Winnipeg
se distingue avec Propagandhi, Comeback Kid ou The Weakerthans et le Québec
avec Ripcordz, Fifth Hour Hero ou The Sainte Catherines.
Cela vaut aussi pour le punk rock européen
et notamment français où sortent de nombreux groupes jeunes et volontaires qui
ont suivi les traces de Burning Heads ou Seven Hate (entre autres) : Flying
Donuts, The Pookies, Straightaway, Guerilla Poubelle ou bien sûr les
incontournables Uncommonmenfrommars et Jetsex qui ont récemment joué des séries
de concerts aux États-Unis.
Le centre de gravité des labels s'est
également déplacé : les maisons plus modestes ont su trouver leur place à côté
des monstres sacrés du milieu des années 1990 : Epitaph et Fat Wreck Chords (et
dans une certaine mesure Burning Heart). Aujourd'hui, Jade Tree (Delaware), No
Idea (Gainesville), Deep Elm (Caroline du Sud) ou Equal Vision (New York)
contribuent à fond au dynamisme de la scène, alors qu'Epitaph et Burning Heart
se sont lancés dans une politique de diversification dont les bénéfices sont
encore à trouver. Fat a su maintenir sa place au top et Nitro Records est
revenu à la pointe de la scène punk avec de belles signatures comme A Wilhelm
Scream ou No Trigger, optant avec succès pour un punk rock agressif, franc et
direct, en rupture avec les expériences ou les modes contestées au sein de la
scène, comme par exemple les Transplants ou la nouvelle vague emo qui n'a plus
rien à voir avec les groupes pionniers de ce genre, comme Rites of Spring et
Embrace.
L'on sent au contraire un regain du punk
rock très politisé, peut-être aussi en réaction à la couleur politique du
gouvernement américain. L'initiative récente la plus marquante a sans doute été
le collectif Punk Voter initié par Fat Mike de NOFX, couplé d'une tournée Rock
Against Bush, incitant les jeunes à se rendre aux urnes lors des élections
présidentielles américaines de 2004.
4. New wave ou cold wave, exit le " no future "
On peut dire qu’il y aura eu des
" nouvelles vagues " … Presque à chaque fois que la
nouveauté a pointé son nez. Dans ce cas précis de nouvelles vagues, Godard ou
Rivette sont ignorés, et à juste titre : il s’agit en effet d’un courant
musical apparu à la fin des années 70 et qui s’étend tout au long des années
80. La new wave marque l’entrée en scène de toute une jeunesse prête à relever
le défi de la succession des punks.
Car il est bien question de punk dans la
new wave : à la fin des années 70, le " no future " a vécu,
les groupes s’essoufflent ou meurent. Les survivants du punks se
reconvertissent et tous les jeunes groupes qui apparaissent après l’anarchie
musicale sauront se souvenir de leurs aînés et vont tenter de continuer leur
œuvre, mais d’une autre façon. En effet, avec la new wave, on est loin des
guitares hurlantes et de la spontanéité punk, mais la plupart des groupes new
wave ont commencé par le punk, ou l’ont adoré. Ils vont donc, naturellement
créer une musique où le punk est sous-jacent, plus présent sur scène que sur
disque : une musique punk à lire entre les lignes.
Et ces lignes s’éloignent du punk. Avec
leur musique assez calme, leurs cheveux courts et leurs airs tristes et
romantiques, ils auraient comme mis un peu d’eau dans leur musique. Mais le
punk n’est pas la seule source de la new wave. La techno pop, avec ses sons
synthétiques bizarres et son aspect froid, les a laissés sous influence. Les
sons de guitare sont clairs, remplis d’échos, bien loin des amplis saturés, les
batteries sont sèches et les synthés (oh sacrilège pour les punks !)
prennent beaucoup d’espace. Les textes se veulent plus intellos, plus noirs,
interprétés par des voix loin d’être braillardes. La chaleur humaine n’est pas
leur truc. Cette froide volonté donnera naissance à une subdivision de la new
wave : la cold wave. C’est la version la plus dépressive de la new wave,
dans laquelle le groupe Joy Division et son suicidé chanteur Ian Curtis
ont excellé.
Remplis de toutes ses influences, la new
wave va engendrer une multitude de groupes dont sortent du rang The Cure,
XTC, les premiers Depeche Mode ou OMD (Orchestral Manœuvre
in the Dark). En France ce courant sera représenté par Stinky Toys
(Jacno et Medeiros), Taxi Girl ou Marc Seberg.
La new wave sera dans les années 80 le son
qu’on imite, celui qu’il faut avoir. Comme l’épidémie gagne, que la new wave
rentre dans le cirucuit commercial, le courant se fait flou et perd un peu de
son identité. Au milieu des années 80, des groupes comme Cure commencent
à avoir énormément de succès et s’écartent de la new wave pour aller vers une
pop efficace, assez distante de ses origines. Toujours est-il que le sillon est
creusé, la semence jetée en son sein et la récolte à la hauteur. The Smiths,
Simple Minds, U2, Blondie, Joe Jackson, Police…
autant de groupes qui marqueront la décennie.
5. La culture grunge, entre metal et punk
Depuis le milieu des années 80, la scène
rock ne produit plus de cadre à sa musique. Chacun y va de son couplet dans son
coin, sans se regrouper fraternellement sous un nom tiroir comme punk ou
new wave.
Au début des années 90, miracle ! un
nouveau courant naît : le grunge, parfois appelé " rock
de Seattle ".
Car comme le jazz et la Nouvelle-Orléans,
le blues et Chicago, le grunge a lui aussi une résidence principale et elle se
trouve aux Etats Unis, sur les bords du Pacifique au-dessus de la Californie,
en plein centre de Seattle. C’est dans cette ville qu’un noyau de petits jeunes
gars pleins d’énergie, luttant contre la bourgeoisie ambiante, se défoulent et
se dépensent sans compter sur leurs guitares et batteries. Une petite tribu
rock composée de jeunes autochtones se construit donc peu à peu autour de
concerts intimes. Rapidement, l’apparition de labels indépendants permet à tout
cela de prendre forme : " Sub Pop " - du nom du
fanzine Subterranean Pop – créé en 1987 par Bruce Pavitt (journaliste) et
Jonathan Poneman (promoteur de spectacles), sort une compilation de groupes
nationaux, Sup Pop 100 (avec notamment Sonic Youth), qui leur
sert de rampe de lancement.
Nirvana est loin d’être
le premier groupe issu de cette scène, mais sans lui, et surtout sans son
chanteur Kurt Robain, le rock de Seattle n’aurait sans doute jamais effleuré
les oreilles d’un grand public mondial. D’ailleurs, comment appeler cette
musique ? Cette question a trotté dans la tête d’un journaliste anglais,
qui assistant à un concert de Nirvana, trouva le mot
" grunge " pour la décrire. Cà ne veut rien dire (grunge
désigne, à l’origine, les mycoses entre les doigts de pied), mais dans sa
sonorité, on sent un côté dur, rude, sale et méchant.
On voit donc apparaître avec la tornade
Nirvana l’étiquette grunge là où l’appellation rock aurait suffi. Oui
mais voilà, grunge ça fait nouveauté, ça fait mouvement, ça fait fédérateur …
donc vendre. Et on vend du grunge, et pas que des disques : des
articles et des reportages sur l’esprit grunge, des compilations grunge, des
habits et la mode grunge (sale et négligée), etc.
Musicalement, on peut tenter de définir le
grunge comme un rock costaud, les amplis à fond, les guitares bavardes, les
batteries percutantes et la basse bien en avant. C’est un peu l’énergie des
punks qui aurait rencontré des chansons bien faites, construites autour de
mélodies efficaces. Côté paroles, la gaité a été comme oubliée. La nostalgie et
le spleen l’emportent très nettement. Le grunge ne se laisse donc pas saisir si
facilement. Ses influences en témoigne puisqu ‘elles vont des Beatles en
passant par les punks, les Stooges, Led Zeppelin ou Neil Young …
Nirvana a été le fer de lance du mouvement
parce qu’il était le groupe le plus célèbre et le plus vendeur, et cela à
partir de l’album Nevermind et de son single Smells Like Teen
Spirit en 1991. Pourtant, ils n’étaient pas les seuls à représenter la
scène de Seattle. Juste derrière, on trouve bien sûr Pearl Jam, qui vend
des millions de disques, mais aussi Mudhoney, Soundgarden, TAD,
Green River ou Hole (le groupe de la femme du chanteur de
Nirvana).
Tous ces groupes sont apparus et ont
conquis un public parce qu’ils représentaient une réaction, un
contre-courant : réaction contre la bourgeoisie établie, la musique
commerciale ou les mélodies diffusées par des sourires aux dents blanches. Au
moins avec les grunges, pas de danger de voir apparaître la moindre incisive,
puisque le sourire était proscrit.
Les jeunes qui ont accroché au grunge ont
sûrement dû avoir l’impression que ses ambassadeurs apportaient quelque chose
de vrai, d’énergique, de vivant et de pas fabriqué au rock traditionnel.
Mais le mouvement est monté en épingle par
une presse avide et qui n’y a pas compris grand-chose. Le grunge a séduit en un
temps record l’industrie du disque, mais aussi celle du spectacle, de la mode …
On parle très vite de " culture
grunge ". Les héros grunge se noient dans des océans de bière,
sentent la transpiration et mettent à sac leurs chambres d’hôtel. Rien de bien
original… Partout des top models s’affichent en guenilles en couverture des
magazines branchés. On peut tout à coup s’acheter un look grunge à La Redoute.
Quelques années et beaucoup d’héroïne plus tard, le mot grunge n’est plus dans
la bouche que de quelques fans peut-être sans espoir ou animés par la rage. La
mode grunge s’est éteinte, pas la flamme.