The Doors                                                                                                      Lyrics

Pourquoi l'oeuvre de groupes américains contemporains des Doors n'offre-t-elle aujourd'hui qu'un intérêt historique alors que la poignée d'albums enregistrés par ceux-ci demeure d'une absolue modernité ? En clair, pourquoi Surrealistic Pillow du Jefferson Airplane ou Anthem For The Sun du Grateful Dead sonnent-ils creux en comparaison de l'inoxydable Morrison Hotel. On peut y apporter une réponse philosophique, théologique, dialectique. On peut tout faire dire aux Doors, alibi culturel idéal de thésard branché. Et Dieu sait si la France a donné en universitaires "morissoniens" ... On peut aussi y apporter une réponse musicale aussi banale qu'évidente : leur modernité intemporelle sort des veines de Muddy Waters transfusé par Robert Johnson. Le blues.

Pourquoi l'oeuvre de groupes américains contemporains des Doors n'offre-t-elle aujourd'hui qu'un intérêt historique alors que la poignée d'albums enregistrés par ceux-ci demeure d'une absolue modernité ? En clair, pourquoi Surrealistic Pillow du Jefferson Airplane ou Anthem For The Sun du Grateful Dead sonnent-ils creux en comparaison de l'inoxydable Morrison Hotel. On peut y apporter une réponse philosophique, théologique, dialectique. On peut tout faire dire aux Doors, alibi culturel idéal de thésard branché. Et Dieu sait si la France a donné en universitaires "morissoniens" ... On peut aussi y apporter une réponse musicale aussi banale qu'évidente : leur modernité intemporelle sort des veines de Muddy Waters transfusé par Robert Johnson. Le blues.

The Doors sont l'ultime groupe de blues de cette fin de siècle. Ils savent l'emporter au-delà de lui-même, sortir des douze mesures mais y ramener le tempo dès qu'il s'égare, sans jamais cesser de jouer avec le sens cache du verbe. De la formule. Chaque note des Doors sue le blues par l'orgue basse Fender de Ray Manzarek et la guitare Gibson SG de Robbie Krieger, dont il ne change jamais les cordes. "Bien sûr, expliquait celui-ci, elles sont mortes, mais j'aime ce son mort. Je ne les nettoie jamais non plus. Plus elles sont sales, mieux c'est." La voix sombre, vénéneuse de Jim Morrison colle au blues. Sa gestuelle reptilienne enlace le blues. The Doors ne sont rien d'autre qu'un gang de bluesmen transcendés par un leader défoncé et barbouillé, comme on le dirait d'une peinture enfantine, de culture. Pendant que Hendrix faisait des pompes chez les Gl's, Morrison bricolait la poésie et le cinéma à l'UCLA de Los Angeles. Sur la carte d'état-major, inutile de chercher plus loin des raisons à leurs chemins de traverse parallèles. Aboutissant au même carrefour : Crossroads. Là où leurs restes alimentent la littérature.  Car il est seulement question de "bricoler " la poésie. Pas de voir en Morrison un Rimbaud en cuir noir ou un Baudelaire en veste de serpent.

On le retrouve dès le premier album, The Doors, en 1967, avec Back Door Man de ce bon gros Willie Dixon : "Je suis l'homme de la porte dérobée. Les hommes n'y voient que du feu mais les petites filles sont au courant." Et le blues, pour finir, en 1971, sur LA Woman, avec Crawling King Snake de John Lee Hooker, choix plus distingué. Entre-temps, le blues, encore et toujours. Par les portes ou par la fenêtre. Le rythme ou le texte. Inutile d'embaucher un privé. Le père est connu. Le blues. Brut, parfois, sublimé le plus souvent. Mais présent tout au long des quatre années créatives.

Thème de blues revisité. Blues à thème récité. Parce que les Doors sont trois, plus un.Trois musiciens nourris de rock et de musique noire, capables de laisser filer le tempo au-delà du carcan réglementaire, et un chanteur, âme chevillée au blues, assez défoncé pour puiser au fond de sa mémoire des images dont aucun vieux Noir n'a été instruit à l'école. Par la suite, ils seront nombreux à chercher vainement la clef de cette alchimie céleste (en particulier dans la new wave anglaise). Oubliant simplement le blues. Son assise sensuelle.

Sa moiteur charnelle. Dans leur itinéraire poético-hallucinogène, les Doors sont d'ailleurs proches des Rolling Stones, ceux de Nemo From Turner, Jumpin'Jack Flash, Sympathy For The Devil dont Five To One constitue le pendant. "Ils ont les fusils mais nous avons le nombre. On va gagner, oui, on va prendre le dessus" chante Morrison. Même époque. Même source. Même utilisation des "substances".

Pendant l'été 65, sur une plage californienne, Jim Morrison, beau garçon, fils d'un contre-amiral de l'US Navy, étudiant passionné de poésie et de théâtre, rencontre Ray Manzarek, étudiant en cinéma et, surtout, musicien confirmé de blues, de rock et de jazz. Le temps pour Morrison de réciter un de ses textes, Moonlight Drive, et ils décident de fonder un groupe de rock. Ce sera The Doors, nom inspiré par l'essai d'Aldous Huxley, The Doors Of Perception, qui, en guise de préface, inclut une phrase du poète William Blake: "Si les portes de la perception étaient nettoyées, toute chose apparaîtrait à l'homme telle qu'elle est, infinie." On peut y déceler une recherche d'absolu philosophique. La consommation locale de LSD fait plutôt pencher pour une incitation à explorer l'univers psychédélique. La formation comprend alors, outre Morrison, les trois frères Manzarek, Rick et Jim tenant les guitares. Ceux-ci seront bientôt remplacés par John Densmore, batteur féru de jazz, rencontré lors d'une séance de méditation transcendantale. Peu après, Robbie Krieger, fan de rock et, surtout, de blues, éblouit le groupe par sa technique du bottleneck. En 1966, ils enregistrent une maquette de six titres - qui intéresse un moment Columbia - et se produisent le plus souvent au London Frog, club minable de Sunset Boulevard, à Los Angeles, où ils rodent un répertoire fait de classiques et de quelques titres personnels dont The End, court poème, enrichi chaque soir d'une ou deux phrases supplémentaires, et future introductio musicale du film Apocalypse Now, de Francis Ford Coppola, en 1979. Dépités par le manque de succès, les frères Rick et Jim Manzarek ainsi que la bassiste quittent le groupe, Ray se chargeant alors des parties de basse à l'orgue. Toutefois, le bouche-à-oreille fonctionne.

Ronnie Haram, responsable des engagements au célèbre Whisky A Go-Go, leur propose d'assurer la première partie des Seeds, des Love, des Turtles, des Them et, surtout, des Byrds, durant l'été 66. C'est là que, un soir, le président d'Elektra, Jack Holzman, les découvre et leur fait signer un contrat. Enregistré en quinze jours, le premier album, The Doors, sort en janvier 1967. C'est un manifeste abouti, largement supérieur aux habituelles premières productions. Sous l'impulsion discrète du producteur Paul Rothschild, le disque est un chef-d'oeuvre serein, sulfureux, subtil, puissant et représentatif de leur carrière à venir : Back Door Man, le blues classique, Light My Fire, une perle bluesy rageuse, intemporelle, la culture revue et corrigée par Morrison, Alabama Song, emprunté à Brecht et Kurt Weill mais distillé façon fête foraine, et The End la déclamation du drame obsessionnel inspiré par un monde apocalyptique, avec parricide et inceste "Père ? Oui fils. Je veux te tuer, Mère, je te veux ..." . Au-delà du son, identifiable entre mille, des intros à la Kinks, sur deux accords, des dentelles baroques à l'orgue de Manzarek, ce premier disque - couronné par le hit Light My Fire - fait des Doors un groupe à part. Un groupe qui introduit Freud dans le talkin'blues. Ils se produisent un peu partout, même au fameux Ed Sullivan Show, où Jim, sanglé de cuir noir, joue son rôle de sex-symbol cultivé, de "politicien érotique". La légende veut qu'à l'issue de leurs concerts le parquet soit jonché de petites culottes et de soutiens-gorge...

L'été 67 voit l'enregistrement de Strange Days, album composé de blues-rocks puissants, aux breaks successifs ponctués par les solos tranchants de Robbie Krieger, Love Me Two Time, Moonlight Drive. Avec l'incisif People Are Strange, la pièce maîtresse demeure cependant When The Music's Over, ballade psychédélique reposant sur deux accords de basse et surfilée par une guitare au scalpel. Morrison grave alors une de ses tirades définitives : " Nous voulons le monde et nous le voulons... maintenant." En pleine explosion hippie et avec l'opposition croissante à la guerre du Viêtnam, cela suffit à l'adouber comme un des princes du chaos.

Dès lors, leurs tournées sont marquées par de nombreux incidents aux États-Unis, alors que, en Europe, on préfère déjà célébrer le culte du roi Lézard, ainsi qu'en témoigne un fameux disque pirate enregistré à la Roundhouse de Londres, en 1968. Sur scène, aussi surprenant que cela paraisse aujourd'hui, l'attitude de Morrison est souvent statique, voire passive. Bien éloignée en tout cas de son aura sauvage. En juillet 1968 paraît Waiting For The Sun, album bâti sur des chansons d'amour, dont le ravageur Hello, I Love You (démarquage à peine voilé du All Day And All Of The Night des Kinks), qui déçoit les tenants d'un rock engagé, à l'exception de The Unknown Soldier, virulente charge antimilitariste.

Après un fabuleux concert à l'Hollywood Bowl, le 5 juillet 1968 (disponible en vidéo), les Doors s'envolent pour l'Europe, alors que la presse américaine, alléchée par la parution de The New Creatures, recueil de poèmes écrits par Morrison, commence à disséquer le phénomène. Le livre est un échec qui blesse profondément le chanteur. Peu à peu, sur scène, il multiplie provocations et autoparodies, boit, se drogue jusqu'à perdre tout contrôle de la situation. Le scandale éclate en mars 1969 lors d'un concert à Miami, au cours duquel Morrison exhibe son sexe. Arrêté puis remis en liberté, il vit désormais dans la hantise de la prison. Rien n'est fait pour le rassurer.

Son second recueil de poèmes, The Lords : Notes On Vision And New Creatures. se solde également par un échec commercial, tandis que le quatrième album, The Soft Parade, paru en août 1969, fait craindre un épuisement du groupe, malgré le tube Touch Me. Orchestrations trop clinquantes, compositions peu percutantes. Pourtant, dans une interview donnée au magazine Rolling Stone, Morrison conserve ses capacités d'analyse. Il déclare ainsi : "Le genre humain vit par procuration des émotions symboliques devant la télévision. Dans leur vie, les gens sont émotionnellement morts." Accessoirement, il se présente comme une marionnette manipulée par les forces obscures insaisissables...

En février 1970, les Doors effectuent un retour en force, avec Morrison Hotel, album rock gorgé de blues. Jim y signe certainement ses meilleures compositions : Roadhouse Blues, You Make Me Real, ou Maggie M'Gill. Sa voix claque et roule de bonheur, comme si le groupe s'était fourvoyé le temps de deux disques avant de revenir aux fondamentaux. Sur scène, aussi, la résurrection se confirme - avant que Jim ne vienne à Paris étudier un projet de film puis s'envole pour le Maroc. Il rentre aux États-Unis tandis que paraît un monumental double album live, restitution de l'hystérie entourant les concerts. Malgré l'accueil chaleureux de la presse, Morrison boit de plus en plus, consomme toujours davantage de drogues. Victime d'une pneumonie, il fait annuler la tournée européenne, à l'exception du concert de l'île de Wight, le 29 août. Bouffi, barbu, planté devant le micro, le roi Lezard n'est plus qu'une voix. Le 30 octobre tombe le verdict de Miami : 500 dollars d'amende, six mois de travaux forcés et trente de liberté surveillée. Son avocat fait aussitôt appel mais la sanction renforce le sentiment de persécution, d'incompréhension qui mine le chanteur.

Accablé par les décès de Janis Joplin et de Jimi Hendrix, Morrison s'enfonce. Il donne un concert éblouissant le 11 décembre, à Dallas, un autre, pathétique, le lendemain, à La Nouvelle-Orléans. Son dernier show. Désespéré par l'absence de son amie, Pamela Courson, installée à Paris, Jim traîne à Los Angeles, où, dans un sursaut créatif, il conduit les Doors sur l'autoroute de LA Woman, chef-d'oeuvre crépusculaire et cependant nerveux, parcouru par une voix profonde, grave et concernée.

Peinture acide, parfois flamboyante de cette ville gigantesque, délirante, qui offre à Morrison une dernière occasion d'aller au bout de ses visions. Ainsi, sur la chanson LA Woman apparaît un mystérieux Mr Mojo Risin'. Anagramme de Jim Morrison certes. Mais le blues fait constamment référence au mojo, philtre magique de l'amour et du bonheur.

Pendant que les autres musiciens font la promotion de l'album, le chanteur va de fête en fête, de bar en bar, de verre en ligne de cocaïne. Il se réconcilie avec Pamela et, au printemps, le couple débarque à Paris. Agnès Varda et Jacques Demy contactent Jim en vue d'un film en compagnie de Steve MeQueen. Un autre projet, d'après un roman de Norman Mailer et avec Robert Mitchum, lui est soumis. Il réfléchit.. Boit toujours plus. En particulier au Rock'N'Roll Circus, boîte à la mode où l'on croise Gene Vincent, autre éclopé du rock.

Les deux hommes se sont connus à New York. lorsque Gene enregistrait le magistral I'm Back And l'm Proud, chez Elektra, en 1969. Un penchant commun pour l'autodestruction les plante au comptoir. Le 3 juillet 1971, au matin, Pamela, rentrant d'une soirée, découvre Jim, raide mort dans la baignoire, au 47 de la rue Beautreillis. Crise cardiaque. Son corps est inhumé au Père Lachaise. Le mythe commence. Exploité en 1990 par Oliver Stone et le film The Doors.

Le blues continue. Comme avant ?