The Grateful Dead
"Vous savez
ce que le public du Grateful Dead disait quand il n'étaitpas défoncé
?" Keith Richards ménage son effet avant la chute. "Wow, mec,
quel groupe merdique' !" Le guitariste des Rolling Stones dispose d'un
large éventail de vannes anti Grateful Dead qu'il adore balancer dès qu'il
entend mentionner ce nom. Richards n'apprécie plus vraiment le Dead depuis que
les Stones et le légendaire groupe de San Francisco ont organisé en décembre
1969 un concert gratuit à Altamont Freeway qui s'est achevé dans un bain de
sang, les deux groupes s'étant mutuellement rejeté la responsabilité de la
catastrophe. "De la couille en barre de hippies sans talent" : ainsi
définit-il, entre autres termes choisis, la démarche musicale du Dead.
Le mépris de
Keith Richards pour le Grateful Dead a trouvé un vaste écho au sein de
l'intelligentsia punk des années 70 qui a unanimement dénigré les penchants du
groupe pour les jams interminables et la rhétorique hippie. Dans les années 90,
Kurt Cobain a porté plus loin encore la vendetta punk: "Ce soir, je
vais porter un T-shirt dégoulinant du sang de Jerry Garcia",
lança-t-il avec un ricanement
sardonique sur une radio de San Francisco fin 1991, alors que Nevermind venait d'atteindre la première place
des charts. Rétrospectivement, c'était une déclaration plutôt étrange de la
port du Hamlet grunge. Somme toute, Cobain et Garcia avaient beaucoup en
commun. Les deux chantaient d' une voix de vieillard maladif, exécutaient une
version du ln The Pines (également intitulé Where Did You Sleep Last Night ?) de Leadbelly et
sont des icônes américaines retrouvées mortes avec des traces d'héroine dans le
sang. Cobain avait de surcroît un lien direct avec Garcia et le Dead : sa femme
Courtney Love est la filleule de Phil Lesh, le bassiste du
groupe. Hank Harrison, le père très controversé de Love, a été un des
premiers managers du Dead, et Love elle-même prétend être l'un des enfants de
la communauté immortalisée au dos de la pochette de Aoxomoxoa,
troisième album du groupe paru en 1969. Pour chaque célébrilé dégommant le
Dead, une figure au moins aussi renommée exprime un avis contraire. Paul
McCartney, un fan de longue date, a même mis en scène un film sur le groupe
à la fin des années 80 (un montage de 20 minutes construit autour de photos du
Dead prises par sa femme Linda avec une version de Dark
Star pour la bande-son).
Des artistes
aussi divers que Jane' s Addiction et Elvis Costello ont
enregistré des classiques du Dead, de jeunes francs-tireurs comme Beck et Ryan
Adams chantent ses louanges à longueur d'interviews. Le disciple le plus
éminent des San-Franciscains demeure Bob Dylan, qui a tourné avec le
groupe aux Etats-Unis en 1987 et assimile l'expérience à "une épiphanie...
le moment où j'ai recommencé à me connecter à ma propre musique". Dans une
nouvelle biographie de Dylan publiée l'an dernier aux Etats-Unis sous le titre
"Down The Highway", Bob Weir, le guitariste rythmique du Dead,
affirme qu'en 1989, Dylan est allé jusqu'à demander au groupe s'il pouvait
devenir un membre permanent. "Nous avons répondu oui, sauf l'un d'entre
nous qui ne l'aimait pas particulièrement. Sans Phil Lesh, on l'aurait
engagé." Dylan est tellement enfiché du groupe qu'il ne prend même pas mal
ce rejet. Lui et Lesh tourneront même ensemble en 1997, deux ans après la fin
du Grateful Dead précipitée par la mort de Jerry Garcia. Notoirement
réservé, Dylan n'a pas assisté aux funérailles de ses comparses des Travelling
Wilburys, Roy Orbison et George Harrison, mais s'est fait un
devoir de se rendre à la St Stephen Church de San Francisco à la fin du mois
d'août 1995 présenter ses derniers hommages à Jerry Garcia étendu dans
son cercueil. Selon les témoins, Dylan a pleuré tout au long de la cérémonie.
Deux jours plus tard, il a adressé à la presse internationale un communiqué
débordant d'amour et d'admiration : "II est impossible d'évaluer sa
grandeur en tant que musicien... Il était l'esprit incarné de la country
décollant des marais boueux pour s'élever vers les sphères. Il y a un monde
entre la Carter Family, Buddy Holly et Ornette Coleman - des
univers entiers, des espaces qu'il a remplis sans jamais être affilié à aucune
école. Son jeu était ombrageux, magnifique, hypnotique et subtil. Il était sans
égal."
Malgré tout, la
plupart des novices à la musique du Dead se rangeront secrètement du côté du vieil
acariâtre Keith Richards plutôt que de rallier d'instinct les vues exaltées de
Dylan. Longue de trente années, l'odyssée du groupe inclut son lot de sommets
olympiens, mais aussi des vallées moins attrayantes qu'il faut laborieusement
arpenter pour y localiser les points de vue imprenables. Les chansons sont
souvent beaucoup trop longues. Les harmonies vocales sont rarement plaisantes à
l'oreille. Les deux batteurs tendent parfais à diminuer l'impact percussif
plutôt qu'ils ne le renforcent. Le Grateful Dead est responsable des versions
les plus mollassonnes des chansons de Chuck Berry jamais répertoriées.
Sur la quasi-totalité de ses enregistrements live, le groupe débute
invariablement comme s'il se remettait des excès de la veille, chacun de ses
membres gratouillant péniblement son instrument dans l'espoir que le son obtenu
redonne quelque forme à son esprit caramélisé. Six ou sept chansons sont ainsi
interprétées dans le brouillard complet et, au moment précis où l'auditeur se
décide à classer l'affaire au rayon pub-rock méc/iocre pour fumeurs de shit, le
Dead prend brusquement son envol vers une stratosphère accessible à lui
seul. Chacun des membres a toujours
fait preuve d'une approche profondément excentrique de son instrument. Phil
lesh utilise souvent sa basse comme une guitare: ses doigts caurent avec
vélocité sur le manche mais hésitent, frustrants, à simplement soutenir un
groove solide.
Le jeu de guitare
rythmique de Bob Weir est exempt de toute attaque rock conventionnelle
: il travaille le rythme comme un sculpteur la pierre, de façon créative mais
circonspecte. Quand les batteurs Bill Kreulzmann et Mickey Hart,
tous deux instrumentistes confirmés, se fondent en une seule entité rythmique
lors des concerts, le résultat relève de la magie; quoique sur nombre de
chansons, ils semblent seulement se gêner l'un l'autre. Jerry Garcia
était le leader : d'une autre classe que ses collègues, il pouvait absolument
tout jouer à la guitare. Django Reinhardt, Wes Montgomery, Segovia et Freddy
King comptaient parmi ses influences majeures et, avant même d'avoir atteint
l'âge de vingt ans, il était capable de reproduire la moindre note enregistrée
par ses idoles. Ses pairs de la scène de San Francisco (Jorma Kaukonen
du Jefferson Airplane, le tandem John Cipollina/ Gary Duncan
de Quicksilver Messenger Service et le farouche soliste de Moby Grape,
Jerry Miller) se contentaient de recycler un petit catalogue de riffs
rock et blues à un volume et une distorsion maximums. Garcia préférait un son
fluide et propre, allié à une technique complexe lui permettant d'improviser de
longues séquences mélodiques Finalement moins redevables à l'héritage des vieux
géants du blues et des génies du jazz qu'à son imagination fertile et ses
doigts virtuoses.
Weir a qualifié
l'essence mystérieuse du Dead de "pouvoir des exclus" - le son
bizarre de marginaux jouant pour leurs semblables et inventant dans la foulée
un ersatz de religion. Mais c'est Garcia luimême qui a le mieux cerné l'impact
du groupe auprès des jeunes générations dans les années 80 et 90 en déclarant
en 1987 : "Nous sommes devenus comme Jack Kerouac et Neal Cassady...
L'une des dernières aventures américaines possibles, c'est de suivre le
Grateful Dead sur la route." Dans les annales de la bohème US, le Dead
s'est établi comme le chaînon manquant entre le mouvement beatnik de la fin des
années 50 et sa transformation, dix ans plus tard, en culture de masse hippie
dopée au LSD. Neal Cassady, le modèle de Dean Moriarty, héros du séminal
Sur la Route de Kerouac, était un ami et un gourou du groupe. Allen
Ginsberg et Timothy Leary traînaient souvent dans les quartiers
généraux du Dead à Haight Ashbury. Ken Kesey, le singulier auteur de Vol
au-dessus d'un nid De coucous, les convia dès 1965 à se produire à ses
happenings Acid Tests. Quand le groupe commença à jouer sous acide, d'étranges
choses survinrent. Mais dès qu'ils s'habituèrent aux hallucinations, ils se
mirent à créer des sonorités destinées à accroître l'effet déformant des images
et inventèrent de fait le psychédélisme West Coast : de la musique d'ambiance
conçue paur accompagner la myriade de sensations provoquée par les drogues
hallucinogènes. Dès le départ, les membres du Dead envisagent la défonce comme
une croisade. Ils veulent y convertir le monde entier, le répètent à longueur
d'interviews et le prouvent en droguant à son insu quiconque entre en contact
avec eux.
Sauf
que les années venant, les drogues deviennent plus dures et les choses
empirent. Deux claviers meurent d'overdose (un troisième succombe des suites de
son alcoolisme). De la fin des années 80 au début des années 90, la lutte
anti-drogue menée par les Etats-Unis désigne les concerts du Dead comme des
repaires de dealers. Des milliers de fans y sont arrêtés et nombre d'entre eux
purgent injustement de longues peines pour possession de petites quantités de
stupéfiants. Au coeur de la tourmente trône Jerry Garcia, le patriarche
dévoyé et héroïnomane de Grateful Dead. En 1995, ils sont des millions
d'américains à fréquenter assidûment les concerts du Dead et une grande partie
de cet immense public semble sincèrement convaincue que le groupe - et surtout
Garcia - possède une espèce de grâce divine. Ainsi naît un authentique culte
religieux constitué de gens qui se baptisent les Spinners, proclament
Garcia comme leur sauveur et se rendent à toutes les messes du Dead, vêtus de
longues robes, pour y danser extatiquement. Ils jurent pouvoir léviter pendant
les solos les plus inspirés de Garcia. L'homme qu'ils vénèrent à distance est
pourtont un être imparfait qui maltraite souvent son entourage - en particulier
les femmes de sa vie - un humain trop faible pour tenter de restaurer son corps
lessivé. A sa mort, il n'a que 53 ans, mais ses cheveux blancs, son obésité et
son métabolisme ralenti le font ressembler à un octogénaire. la route dorée de
l'adulation sans limites a rendu le fondateur de Grateful Dead vieux et malade
avant l'âge.
Deux tragédies essentielles frappent Jerome
John Garcia peu après sa naissance le 2 août 1942 de l'espagnol Joe Garcia,
saxophoniste et leader d'un petit orchestre, et de sa femme Ruth Clifford,
ex-infirmière à l'hôpital des enfants de San Francisco. A l'âge de quatre ans,
l'enfant est en vacances avec sa famille au nord de Santa Cruz. Lui et son
frère aîné Clifford Tiff Garcia s'amusent à couper du bois. Selon ce dernier:
"L'espace d'une seconde, jai perdu les pédales et j'ai coupé son doigt par
erreur avec la hache. Le doigt n'était pas totalement tranché mais on n'a pas
pu l'emmener aux urgences assez vite, donc il a fallu l'amputer. " Le
majeur du petit Jerry Garcia est sectionné à la deuxième phalange. De
nombreuses années plus tard, ce doigt deviendrait hautement symbolique:
l'empreinte de la main de Jerry Garcia ornera des T-shirts et des autocollants.
Il prétend avoir pris la chose avec philosophie: "Le pire, c'est quand le
pansement est tombé. C'est là que j'ai compris - ô mon Dieu, je n'ai plus de
doigt! Mais après ça, c'était OK : quand on est môme, si un truc rend
différent, on peut l'exploiter pour obtenir plus de sympathie et une vie plus
facile."
Garcia parvient moins facilement à
s'accommoder des conséquences d'un deuxième accident survenu deux ans plus tard
alors que sa famille se trouve une nouvelle fois en vacances. Un après-midi,
son père Joe pêche dans la rivière de Willow Creek lorsqu'il glisse sur un
rocher dans les eaux tourbillonnantes. "Je l'ai vu couler, dira dans une
interview Garcia, qui avait six ans à l'époque. C'était horrible. "
Tout change pour Jerry Garcia après la mort
de son père. Sa mère continue de s'occuper du bar qu'elle et son mari défunt
possédaient, obligeant ses deux fils à s'installer chez leurs grands-parents.
Puis Ruth Clifford se remarie avec un homme que les garçons détestent tous deux
profondément. Jerry développe un asthme aigu qu'aggravent encore les disputes
domestiques. Vers dix ans, malade et désœuvré, il passe le plus clair de son
temps au lit et se découvre une passion dévorante pour la littérature. Il est
extrêmement intelligent mais tout aussi fainéant et complètement indiscipliné,
inapte à décrocher la moindre bonne note à l'école. Il expérimente
panctuellement la délinquance juvénile à 13 ans lorsqu'il balance des pierres
dans les fenêtres du poste de police local avec son frère. Et à 15 ans, il
découvre deux trucs qui illumineront sa vie plus que tout : ses aptitudes
musicales et les drogues. Pour son anniversaire, sa mère lui rapporte une
guitare électrique et un ampli du mont-de-piété et il acquiert illico des
rudiments de technique en écoutant des chansons de rhythm' 'blues à la rodio:
"A l'époque, les stations R&B passaient encore Lightning Hopkins,
T-Bone Walker et tous les bluesmen de Chicago. Jimmy Reed avait
même des hits !" Un mois après la guitare, il s'initie aux joies de la
marijuana: "Avec un pote, on est allé fumer des joints sur la colline et
on s'est tellement explosé la tête qu'ensuite, on sautait partout dans les rues
en hurlant de rire. C'était parfait. Exactement ce que je cherchais." Au
cours de l'été 1958, Jerry se prend de passion pour les arts graphiques et
devient étudiant à temps partiel à la California School of Fine Arts. Son
mentor est un peintre-enseignant nommé Wally Hedrick qui passède la
galerie dans laquelle Allen Ginsberg a déclamé pour la première fois en
octobre 1955 son poème épique Howl devant une audience incluant Jack
Kerouac, Neal Cassady et Lawrence Ferlinghetti - autrement
dit, le berceau du mouvement beat.
Garcia adore l'endroit. Cependant, ses
relations avec sa mère se détériorent au point qu'il décide en 1960 de s'éloigner
de sa famille en s'engageant dans l'armée. Mi-avril, il commence son service à
Fort Ord, près de Monterey, à 125 miles au sud de San Francisco, et comprend
instantanément qu'il vient de commettre une énorme bourde. Ses compagnons ne
sont pas des plus recommandables - "mon meilleur pote là-bas était un
braqueur de banques", dira-t-il et il décide d'en faire le moins possible
pour se faire virer rapidement. Son cousin Daniel Garcia évoque cette période
avec déplaisir: "La police est venue vérifier s'il ne se trouvait pas chez
moi, parce qu'il avait déserté. En principe, on ne peut pas dire à ces gens-là:
"Ça ne me plaît pas, bye bye." C'est presque impossible de se tirer
de l'armée. Mais Jerry était le genre de type capable de tomber dans un seau de
purin et d'en ressortir frais comme la rose. "
Garcia s'est prouvé avec succès qu'il était
"inapte à toute discipline". le 14 décembre 1960, il abandonne
l'armée pour embrasser la carrière de nomade. Il ne contacte aucun membre de sa
famille et échoue à Palo Alto, une riche banlieue de San Francisco où il dort
la plupart du temps dans sa voiture. Il prend beaucoup de speed, fume du shit,
joue de la guitare - ses neuf mois dans l'armée se sont révélés productifs : il
maîtrise désormais les techniques
ardues du picking folk - et traîne aux abords de la scène beat locale avec une
bande de bons à rien de son acabit, en particulier un jeune speed-freak nourri
d'ambitions littéraires appelé Robert Hunter qui deviendra plus tard san
parolier attitré. Garcia et les autres rôdent principalement autour de la
librairie Kepler de Palo Alto et dans une vieille maison appelée le
Château, jouent de la guitare et bavassent sans arrêt.
En 1961, Phil Lesh, un jeune
prétentieux qui a étudié la composition d'avant-garde à l'Université de
Berkeley et brièvement joué de la trompette dans un groupe de jazz avant même
d'avoir vingt ans, se trouve au Château, pété aux amphètes qu'il consomme en
intraveineuse, quand on lui désigne pour la première fois Garcia. En premier
lieu, Lesh est quelque peu troublé à la vue de celui qui deviendra quatre ans
plus tard son compère au sein du Grateful Dead : "Au départ, Phil ne
supportait pas d'être dans la même pièce que Jerry", se souviendra Alan
Trist, un autre habitué des lieux qui officiera comme l'un des nombreux
managers du Dead. Il n'arrêtait pas de répéter: "Ce type est trop
puissant". Garcia a beau être ravagé d'acné et plutôt replet pour un
bouffeur d'amphétamines, il possède un charisme inné - où qu'il se trouve, il
attire immédiatement l' attention, qu'il joue de la guitare ou se contente de
parler. Dans ce microcosme, Garcia est une personnalité populaire qui
papillonne sans penser à l'avenir. Survient une autre tragédie. Au petit matin
du 20 février 1961, après une fête au Château, Garcia, Alan Trist, Lee Adams et
un jeune prodige littéraire nommé Paul Speegle roulent dans une voiture dont le
conduteur (Adams) perd soudain le contrôle. Garcia décolle littéralement de ses
chaussures et traverse le pare-brise pour atterrir dans un champ proche avec
une clavicule brisée. Trist et Adams sont blessès. Speegle est tué sur le coup,
écrasé par le poids du véhicule. Garcia n'oubliera jamais cette nuit: "Je
suis devenu un autre. Ma vie a commencé avec cet accident. Avant, j'étais en
dessous de mes capacités. Je manquais de direction et j'étais plutôt feignasse.
Mais le crash m'a réveillé pour le restant de mes jours."
Garcia s'engage dans une carrière de
musicien professionnel. Il tombe amoureux d'une fille de 15 ans, Barbara Meier,
résidant à Palo Alto et dont les parents désapprouvent vigoureusement cette
liaison. L'adolescente plaque Garcia au moment d'entrer au lycée où elle se lie
avec Tony Williams, le fougueux jeune batteur du quintette de Miles
Davis. En 1962, Garcia donne ses premiers concerts comme chanteur folk et
épouse l'année suivante Sara Ruppenthal, 19 ans, également chanteuse
folk, et enceinte de lui. Ils se produiront souvent ensemble dans les
coffee-houses locaux jusqu'à la naissance de leur fille Heather. A cette
époque, Garcia est complètement obsédé par le bluegrass : il pratique le banjo
jusqu'à douze heures par jour et devient l'un des meilleurs instrumentistes
bluegrass de la West Coast. Pour gagner un peu de fric, il travaille au Morgan
Music Store de Palo Alto comme prof de guitare. Le 31 décembre 1963, un garçon
dyslexique de 16 ans au regard perçant affecté d'un léger strabisme, Bob
Weir (que tout le monde surnomme Bob Weird, Bob le Bizarre) passe devant la
boutique avec un copain: "On a entendu de la musique qui venait de
l'arrière du magasin. C'était Garcia. On est entré et on a parlé. Puis on a
joué un peu et on a décidé de former un groupe de jug."
En 1964, les groupes de jug connaissent une
brève popularité aux Etats-Unis. le genre est assez limité - trois accords et
un son semblable à celui d'un pet produit par quelqu'un soufflant en rythme
dans une cruche - mais de fait, très facile à jouer et, pour des groupes comme Lovin'
Spoonful, extrêmement lucratif. Garcia invite un de ses amis (une sorte de
biker au look patibulaire se faisant appeler Blue Ron) à rejoindre le groupe.
Le patronyme de Blue Ron est Ron
McKernan ; son père était un disc-jockey rhythm' n'blues réputé
de la Bay Area officiant sous le sobriquet Cool Breeze et Ron a hérité de sa passion
du blues, qu'il joue exclusivement saoul, c'est-à-dire tout le temps. Weir,
Garcia et McKernan donnent des concerts boiteux saus le nom de Mother Mc.Cree's
Uptown Jug Champions depuis six mois lorsque McKeman (désormais surnommé Pigpen
en raison de ses manières de rustaud) insiste auprès des autres pour que le
groupe s'électrifie et joue le blues à l'anglaise comme les Rolling Stones
ou les Animals. Weir (un grand fan des Beatles) n'a pos besoin de
se le faire répéter. Garcia non plus, qui a vu A Hard Day's Night et
pris du LSD pour la première fois en 1964 et a vite compris que la guitare
électrique lui rapporlerait plus que son banjo adoré. Un type appelé Bill
Kreutzmann bosse avec Garcia au Morgan's; c'est un batteur rock professionnel
doué d'atouts extra musicaux - il a fréquenté Aldous Huxley. Au début
de l'année 1965, il pose ses fûts derrière Garcia, Weir et McKeman, augmentés
du fils de Dana Morgan (le propriétaire de la boutique) à la basse. Après deux
concerts lamentables, Garcia vire le fiston et demande à Lesh de le remplacer.
Garcia respecte tellement les brillantes théories musicales de Lesh qu'il se
soucie comme d'une guigne que ce dernier n'ait jamais louché une basse de sa
vie. Lesh accepte, et élabore son jeu de basse singulier.
En mai 1965, arrivent les premiers
engagements, des gigs réguliers au Mogoo' s Pizza Parfor du IVIenlo Park de San
Francisco. Ils s'appellent les Warlocks mais, comme le nom est déjà pris, ils
deviennent The Emergency Crew. En novembre, ils fument du DMT (un
hallucinogène à l'action très rapide) dans l'appariement de Lesh en feuilletant
un dictionnaire, quand Garcia repère les mots grateful (reconnaissant) et dead
(mort) juxtaposés: "J'ai lancé : 'Et si on s'appelait Grateful Dead ?'
Personne n'aimait. MJi non plus, mais ils ont tous dit: 'Ouais, c'est super.'
Ça nous a vraiment porté chance. C'est assez rébarbatif pour dissuader les
touristes et suffisamment étrange pour inquiéter les fX1renls. "
A la fois mystique et menaçanle,
l'appellation siérait davantage au groupe d'année en année. 1966 voit
l'avènement des Acid Tests imaginés par Ken Keseyet sa troupe d'évangélistes de
l'acide, les Prankslers. Le groupe se produit lors de plusieurs performances
ourdies por les activisles lysergiques, apprend à jouer sous acide (pos simple)
et à étirer sa musique de relIe façon qu'une chanson dure parfois près d'une
heure. Ils exéculent d'inlerminables versions de "ln The Midnight
Hour" et "Dancing ln The Street", mais il aurait sans doule
fallu participer pour apprécier pleinement: les premiers enregistrements live
du Dead ne sont guère faciles à écouter. Pareillement, les premiers disques
studio ne valent pos tripetle, les lentalives folk-rock West Coast du groupe
sur des titres comme "Early Morning Rain" s'avèrent même carrément
risibles. Seules les éructations blues de Pigpen retiennent l'attention, même
si ses talents de vacaliste sont loin d'approcher ceux des jeunes Van Morrison
ou Eric Burdon. A la fin de l'année, le groupe signe chez Warner Bros et part à
los Angeles enregistrer son premier album. Quand ils ne sont pas en studio,
Garcia, Lesh et Weir vendent dans le parking du Kantner' s Deli le LSD que leur
mécène Owsley Stanley - il a payé les amplis et œuvré comme ingénieur du son
sur certains concerts - fabrique dans son laboratoire perso. De façon
prévisible, les drogues perturbent rapidement les séances. Garcia l'avouera
plus tard: "Quand on s'est pointé, on carburait au Dexamy/ et on a tout
enregistré en trois ;ours. C'est ce qui gêne sur ce disque. C'est de la musique
hyperactive, les tempos sont tous trop rapides." En plus des effets du
speed, le premier album homonyme du groupe souffre d'un manque Ragrant
d'originalité -le plus souvent, le Dead évoque une version pizzeria du superbe
Paul Buttemeld Blues Band de la période "East West".
En octobre 1967, le groupe recrule un
deuxième batteur, Mickey Hart. Adeple des percussions orientales, Hart confère
immédiatement à la section rythmique un surcroît d'énergie, via son inleraction
tumultueuse avec Bill Kreutzmann et Phil Lesh. Le ûead répèle constamment et,
fort des poroles fournies por le vieux pote de Garcia, Robert Hunier, assemble
l'audacieux matériel qui sera enregistré les deux années suivantes.
"Anthem Of The Sun" est publié durant l'été 1968 après des mois de
séances désaxées poussant les producteurs - au moins l'un d'entre eux - à
quitter le studio en s'arrachant les cheveux. Les membres du Dead _nissent por
produire l'album eux-mêmes en mélangeant des ébauches de titres studio à des
kilomètres de bandes live. Pas une très bonne idée à l'arrivée. Comme
l'admettra por la suile un Garcia penaud: "Phil et moi avons terminé le
mix de 'Anthem' sous acide. On faisait correspondre le son à nos hal/us. "
Du moins "Anthem" resle-t-il un disque
ambitieux et, por instants, dynamique. En revanche, son successeur, le confus
"Aoxomoxoo" sorti en avril 1969, est à tel point imbibé d'acide qu'il
donne l'impression que les musiciens vont se désintégrer à chaque seconde. Ce
qui se vérifie pour certains d'entre eux: Bob Weir et Pigpen se font tous les
deux éjecler por Garcia et Lesh pendant les séances; Weir pour être
"tellement barré à /' acide qu'il n'étcit même plus là" (selon
Garcia)
et Pigpen pour snober la même substance -
il préfère sa condition d'alcoolique lerminal. Résultat, Pigpen ne _gure pos
sur "Aoxomoxoa" et Weir ne s'y fait enlendre que rarement. Mais les
deux refusent tout bonnement d'être sacqués et radinent quinze jours plus tard
comme si de rien n'était à un concert
du Dead, _n prêts à jouer. Garcia - résigné au fait que le groupe ne peut
s'articuler qu'autour de sa formation de base n'abordera plus jamais le sujet.
la réintégration du tandem s'avère d'ailleurs béné_que : tous se concentrent
davantage sur la musique et dès 1969, le groupe signe le plus beau Reuron de
ses trente ans de carrière. "live Dead" (un double album constitué de
bandes live de 1969) est un chef-d'œuvre, l'un des meilleurs albums rock jamais
commis et de loin la plus importanle contribution répertoriée au psychédélisme
West Coast. long de vingt-deux minutes, "Dark Star", le titre
d'ouverture, transcende l'improvisation rock hallucinée en la projetant hors du
lemps, dons une galaxie purement extatique où résonnent la grâce et la ferveur
du John Coltrane de "A lave Supreme". Le resle de l'album est
poreillement délirant. la même année, le Dead intègre également à ses concerts
plusieurs originaux country encore inédits. Pourtant, 1 969 s'est achevé
tragiquement. Altamont a jeté un grand froid. Les Hel!' s Angels ont coincé
Meredith Hunier sous le camion du Grateful Dead et l'ont tué à coups de
couteau.
Le groupe subit aussi de sérieux revers
_nanciers : son manager Lenny Hart a détourné tous les chèques de royalties
émanant de Warner Bros. Pas cool du tout : Lenny est le propre père du batteur
Mickey Hart. Peu de lemps après cet épisode, ils se font tous arrêler à la
Nouvelle-Orléans. Et le nouveau daviérisle Tom Constalen décide de se barrer.
Ses lentatives pour convertir le groupe à la Scientologie - usage de drogues
prohibé
n'ont pas reçu un écho très favorable. De
toutes ces calamités ndÎt 'Workingman' s Dead", le meilleur album studio
du Dead inlerprétant avec la verve joyeuse d'un groupe de bar country &
weslem une collection de splendides chansons sur le trépas, le meurtre et la
démence cocaïnée écriles par Robert Hunier - qui mêle avec un art consommé
thèmes folk traditionnels et prise de conscience post-lSD. D'autres problèmes
caractérisent l'enregistrement de "American Beauty" sorti fin 1970,
cinq mois après 'Workingman's Dead".les riches parents adoptifs de Bob
Weir décèdent, le père de Phillesh découvre son cancer en phase terminale et la
mère de Garcia meurt à l'hôpital des suiles d'un accident de voiture. Le
spectre de la mort plane sur le disque (die "Box Of Rain" de lesh, ou
les derniers mots d'un fils à son géniteur agonisant) qui inclut néanmoins
plusieurs titres enjoués capables de séduire les radios.
"American Beauty" révèle le Dead
au grand public. l'album se classe au Top 20 et renforce la réputation des San
Franciscains devenllS l'un des meilleurs groupes live du pays. las, c'est à ce
moment que les choses se gâtent de façon irréversible. Mickey Hart, hanteux à
cause de son voleur de père, fait une dépression nerveuse et quitte le groupe
pendant quatre ans début 1971. Pigpen développe une maladie chronique durant
l'été. Son alcoolisme lui a bousillé le foie, et il passe le plus clair de son
temps sur un lit d'hôpital, obligeant le Dead à se produire en public en
quartette jusqu'à l'arrivée, en octobre, du pianiste Keith Gadchaux. Pigpen
figure sur les trois albums live publiés par le groupe dans le but d'honorer
son contrat avec Warner Bros : l'inverlébré "Graleful Dead aka
Skullfuck" de 1971, l'informe "Europe 197Z'
de la même année, et une curiosité oubliée
intitulée "Bear' s Choice" publiée en 1973, peu de 1emps après sa
mort solitaire dons son appariement de Corte Madera début mars. Le foie et la
rate ont lâché - hémorragie gasfrointestinale aiguë. Pigpen avait arrêté de
boire depuis deux ans, mais le mal était fait. Triste affaire: il n'avait que
27 ans.
Le décès de Pigpen coïncide avec la fin de
l'âge d'or insouciant du Grateful Dead. Jerry Garcia persuade les autres
membres du groupe - très sceptiques - de franchir un pas radical en vendant
leurs disques sur leur propre label. Le projet vire rapidement au cauchemar: la
Communauté Dead est trop défoncée pour endosser de simples responsabilités et
se désintègre quand l'homme choisi par Garcia paur superviser l'entreprise (un
gobeur d'acides de Wall Street appelé Ron Rakow) s'évanouit brusqùement dons la
nature avec un chèque de royalties de 250 000 dollars.
La cocaine a détruit tous les groupes de
San Francisco de la fin des années 60 (Jefferson Airplane, Quicksilver,
Santana...) et le Grateful Dead a bien failli les suivre. En septembre 197.4,
dans une salle londonienne, l'un des roadies tente une intervention. Pendant la
balance, il monte sur scène et met les musiciens au dé_ de jeter leur stock
entier de cocaïne par terre. Selon Rock Scully, le manager du Dead : "En
tout, ça faisait plus de cinquante grammes. L'un des roadies a versé de
l'essence à briquet et a foutu le feu au tas de coke. Je crois bien que ce
soir-là, on a inventé le crack!" En 1976, un Indien Swami, propriétaire
d'un ashram à San Francisco, initie Garcia à un nouveau rituel : fumer de
l'héroïne persane avec de la cocaïne. le guitariste s'accroche illico, et les
conséquences sur sa vie, sa santé, sa musique et son statut au sein de Grateful
Dead se révéleront catastrophiques. Certains de ses intimes tiennent pourtant
cette dépendance pour une bénédiction perverse : "L'héroïne a permis à son
corps de se relaxer, affirme Alan Trist. Il prenait tant de cocaine depuis si
longtemps qu'au milieu des années 70, on aurait dit qu'il était au bord de la
crise cardiaque. D'une cerlaine façon, l'héroïne lui a peut-être donné vingt
ans de plus à vivre."
Pour quelqu'un d'aussi doué et cultivé,
Jerry Garcia n'en restait pas moins un branleur américain typique: il fumait
trop, se nourrissait exclusivement de junk-food graisseuse et son hygiène
personnelle laissait à désirer. Seule une femme pouvait organiser les aspects
de sa vie autres que la musique et la défonce, mais il n'était pas très doué
non plus pour la monogamie. Après la faillite de son mariage avec Sara
Ruppenthal au milieu des années 60, il se lie à la robuste Carolyn Iv1ounloin
Girl Adams et le couple donne naissance à deux _11es. Adams tolère ses liaisons
occasionnelles mais, quand la romance de Garcia avec les drogues dures
s'intensi_e, elle lui pose un ultimatum. Garcia disparaît alors tout bonnement:
il n'a jamais supporté que quiconque lui fasse la leçon à ce sujet. Après tout,
les stupé_ants ne l'ont jamais empêché d'être un musicien proli_que. Pendant
toute la durée des années 70 et 80, dès qu'il n'a pas d'engagement avec le
Dead, Garcia squatte la scène d'un quelconque bar ou club de la Bay Arec avec
l'un de ses multiples projets parallèles - le jazzy Hooteroll, le bluegrass old
And ln The Way ou son Jerry Garcia Band. les autres membres du Dead sont
déconcertés par la capacité de leur leader à poursuivre avec succès plusieurs
activités hors du groupe et l'alchimie interne du Dead change. Bab Weir a
laissé derrière lui son passé de drogué pour devenir un maniaque de la santé
qui tente sans relâche de pousser les autres à poursuivre 10 voie pop
mainstream ouverte par Fleetwood Moc. Déçu par l'absence d'aucloœ expérimentale
du Graleful Dead seventies, Phil Lesh picole. l'incroyable consommation de
substances de Garcia les met tous deux mal à l'aise, quoiqu'ils se gardent bien
de lui en faire part. Pour ne rien arronger, les deux batteurs sont dans un
état aussi pitoyable que le guitariste.
Lessivé par les drogues, le Dead enregistre
toujours de temps à autre : 'Wake Of The Flood" en 1973, NlVIars HotelN en
197 A, NBlues For AllohN en 1975, le surproduit "Terropin StationN de
1977, NShakedown Street" en 1978, et l'atroce NGa T 0 HeavenN de 1980.
Tous ces albums ont un point commun: deux chansons intéressantes qui sonneraient
mieux en version live surnageant dans un médiocre capharnaüm. Au début des
années 80, les abus de Garcia ont tellement empiré que celui-ci voit rarement
le groupe. Pendant sept longues années, aucun nouvel album du Dead ne verro le
jour. Reclus dans un petit appartement, Garcia fume sans arrêt de l'héroïne et
de la cocaïne en jouant de la guitare. En 198A, son co-Iocataire Rock Scully
appelle un médecin pour examiner Garcia contre la volonté de ce dernier. le Dr
Weisberg ausculte un individu bouffi au 1eint grisâtre "dont les pieds
sont Irop gonllés pour qu'il puisse marcher", relève une tension
dangereusement élevée, un cœur aux ar1ères bouchées et un rein prêt à
capituler. Il ordonne un traitement d'urgence dans un hôpital proche mais
Garcia refuse tout net de s'y rendre et retourne à sa foone favorite
d'automédication. Une année plus tard, il se fait serrer dans une voiture garée
dans le Golden Gale Park en train de fumer de 10 free-base. La police con_sque
plus de vingt paquets d'héroïne et de cocaïne. "Assez pour une armée
entière", commentera l'un des membres du groupe.
En 1987, le Grateful Dead réussit aux
Etats-Unis une résurrection digne de Lazare. Jerry Garcia s'étale en couverture
de plusieurs magazines dans lesquels il évoque son retour de l'enfer des
héroïnomanes. La traversée n'a pas été facile: en 1986, il est tombé dans un
coma diabétique qui a duré plusieurs jours. Quand il a repris conscience, il
avoit totalement perdu la mémaire et a dû se faire raconter les principaux
épisodes de sa vie. Il lui a également fallu réapprendre à jouer de la guitare,
une lâche ardue qui a nécessité plusieurs mais. Quand Garcia refait surface
avec le Dead, il ne s'attend absolument pas à 10 vagues d'adulation qui déferle
sur lui. Pendant son absence, le Grateful Dead est devenu très populaire: les
marginaux ont finalement conquis le grand public. Un nouvel album intitulé Nin The Dark se catapulte directement dans le Top
10 et son premier simple liA Touch Of Grey" ne quitte plus les ondes.
Grâce à la vidéo, le Dead passe même sur MN. Son public a considérablement
rajeuni et se compose désormais de gamins moins attirés par la musique du
groupe que par la came circulont inévitablement pendant ses concerts. La ma_a
en pro_te pour in_krer les lieux et s'y livrer à d'inquiétants tra_cs auprès
d'une audience avide de praduits illicites. L'affaire alerre les instigateurs
de la lulle anti-drogue du gouvernement Reagan qui organisent des fouilles
massives se soldant par des milliers d'arrestations.
Le Dead commet un dernier album médiocre, Built To Last, mais parvient à donner les
concerts les plus satisfaisants de sa carrière en 1991-1992, lorsque Bruce
Hornsby remplace brièvement aux claviers Brent Mydland mart d'overdase après un
mélange fatal d'héroïne et de cocaïne. Garcia enchaîne les histoires
amoureuses, avec IVIanasha Matheson (qui lui donne une _11e) et son amour de
jeunesse, Barbara Meier, mais ces liaisons s'achèvent dès que les deux femmes
le confrontent au sujet de rhéroïne. Une fois de plus, il prend ses jambes à
son cou. Ses mauvaises habitudes renâclent à trépasser : elles _niront par le
tuer. Il se marie pour 10 quatrième fois en 1993 à une femme riche, Deborah
Koons, qui ambitionne une carrière dans le cinéma. Koons prouve rapidement que
l'argent et la célébrité de Garcia rinléressent davantage que sa personne. Ils
ne vivront jamais ensemble et Koons brille par son absence quond la santé
dégradée de son mari requiert une attention soutenue. En 1995, des émeutes
sabotent plusieurs concerts de l'ultime tournée américaine du Dead qui écope du
surnom justi_é de Tournée Infernale. Lors du dernier show à Chicago, Garcia
reçoit même des menaces de mort --inutiles: il a l'air si malade qu'il n'est
déjà quasiment plus de ce monde. Peu après, il entre à 10 BetIy Ford dinic,
qu'il quille au bout de deux semaines, allergique à la nourriture. Il rechute
rapidement et tâte à nouveau de la désinlox en intégrant le centre de Serenity
Knolls à IVIarin County. La veille de son admission, il rend visite à un vieil
ami, John Kahn: "II m'a dit qu'il était un vieillarcl.llyavoitque/quechose
qui clochait vraiment chez lui. Il était à bout cie soufRe. Il m'a dit que le
plus difficile pour lui c'était cie sortir du lit. " Au petit matin du 9
août, il meurt après sa première nuit dans 10 dinique de la Bay Arec. Une
aulopsie canclura à "une atIoque fulgurante". Son sang révèle de
légères traces d'héroïne mais son décès doit autant à son tabagisme et son
régime calamiteux. Ses cendres seront dispersées pour maitié dans l'océan Atlantique
et dans le Gange. Lors de la seconde cérémonie, Deborah Koons et earolyn Adams
se crêpent le chignon pour obtenir le privilège d'éparpiller les restes de
Garcia - Bab Wer doit séparer les deux femmes. Plus tard, Koons, Adcrns et
d'autres ex de Garcia s'écharperont devant la justice pour l'héritage.
Difficile d'imaginer un naufrage plus complet des idéaux hippies incarnés par
l'innocent Dead des débuts...
Jeny Garcia assiste à ces péripéties avec
un désarroi grandissant et le cœur gros. Etre une célébrité l'a toujours
embarrassé, le voilà maintenant une icône, avec une marque d'ice-cream portant
son nom (Cherry Garcia, la meilleure vente de Ben & Jeny à la _n des années
80) et la perspective de voir sa vilaine bobine illustrer un timbre. Pire encore,
depuis son coma, le trac le paralyse totalement avant chaque show. Il,retourne
donc à sa méthode favorite de gestion des problèmes: il recommence à fumer de
l'héroïne. Durant les sept dernières années de sa vie, il réussira parfois à
éviter les drogues dures. Et tentera même d'améliorer sa santé déclinante en
faisant de l'exerciœ, en nageant et en s'adonnant à l'occasion à 10 plongée
sous-marine.
Al'annonce de la mort de Garcia, Bill
Clinton, alors président des EtatsUnis, s'empresse de lui rendre hommage :
"eétait un grand artiste, un génie. Mais il avoit un problème lerrible
causé par la vie qu'il menait et les démons contre lesquels illullait. "
le Graleful Dead est _nalement reconnu comme l'un des piliers de la culture
américaine, mais à quel prix? Leur patriarche dévoyé disparu, les membres du
Dead n'ont plus de guide pour occompagner leurs odyssées sidérantes. le mp sans
_n est bel et bien terminé. les fans du Dead sont en état de choc mais la mort
du groupe aura toutefois un effet libérateur: durant les sept années suivontes,
la famille élorgie diffuse en continu de vieilles bandes live sur le net.
Soudain, plus d'une centaine d'heures d'enregistrements couvrant trente années
d'une carrière unique affiuent. Bien sûr, d'interminables errements subsistent,
mais les moments privilégiés où la musique se fond en une entité cosmique
pleine d'allégresse les compensent largement.
Ces derniers temps, tout le monde, de sir
Paul McCartney à Austin Powers, tente de refourguer l'esprit des sixties
découpé en petites tranches pré-mâchées - une voriante carloon infantile,
su_cielle et totalement hors contexte. Quiconque souhaite réellement
communiquer avec l'esprit de celle décennie tumuhueuse le trouvera au cœur du
Dead en version live. Tout Y est : les faux pas et les vraies réussites, les
élans maladroits vers la transe, r ouverture sans réserve à l'in_ni des
possibles. A l'instar de John Cokmne, Jerry Garcia et les siens caressaient le
rêve fou d'emporter leur public très haut dans les cieux à la rencontre du Créateur.
Contre toute attente, ils y sont quelquefois arrivés.
Nick Kent
Rock&Folk, mars 2002