Emmylou Harris
Fille d'un militaire de
carrière, Emmylou Harris est née le 2 avril 1947 à Birmingham, en Alabama.
Après de fréquents déménagements occasionnés par la profession de son père,
elle s'inscrit à l'université de Caroline du Nord, avec l'idée de devenir
actrice. Mais la rencontre d'amis musiciens la fait changer d'avis. Avec sa
guitare, elle commence sa carrière de chanteuse en 1967, dans les clubs de
Washington et de New York, où elle participe à la fin du mouvement folk de la
Côte Est.
En 1969, Emmylou signe avec Jubilee Records, un petit label pour lequel elle enregistre Gliding Bird, un premier album qu'elle préfère aujourd'hui passer sous silence. Après la sortie de ce disque, elle se marie et interrompt quelque temps ses activités musicales pour donner naissance à une fille, Hallie. Lorsqu'elle se remet au travail, fin 70, c'est pour faire le pélerinage de Nashville, mais sans résultat probant. Déçue par son premier contact avec la capitale de la country, déprimée par l'échec de son mariage, Emmylou retourne vivre chez ses parents dans le Maryland. Encouragée par ses proches, elle se remet à chanter. A Washington, elle forme un petit groupe avec qui elle se produit dans un club appelé The Cellar Door. C'est là qu'elle se fait remarquer et que les Flying Burrito Brothers lui demandent de se joindre à eux. Emmylou Harris accepte l'offre mais malheureusement, le groupe se sépare deux semaines plus tard. Mais l'histoire aura tout de même une suite.
Fin 71, Emmylou
retrouve Gram Parsons, l'ancien musicien des Byrds et des Flying
Burritos, l'artisan de la fusion entre la country et le rock, qui lui demande
de le rejoindre à Los Angeles pour participer à l'enregistrement de son premier
album solo, G.P. Ce disque, qui
paraît en janvier 73, montre de façon évidente que l'association entre les deux
artistes est une réussite. Emmylou fait alors partie du groupe de Gram Parsons,
les Fallen Angels. Elle tourne avec lui jusqu'à sa mort, le 19 septembre
1973. On la retrouvera, bien évidemment, sur le classique Grievous Angel, l'album inachevé qui sortira en
janvier 74, et qui vaudra à Gram d'être considéré comme le père du
country-rock.
"Il a été le premier qui a su capter la véritable substance,
la richesse et la beauté de la country, et il a marié tout cela avec sa
sensibilité rock, avec la musique de sa génération. Il n'essayait pas
simplement de recréer la country du passé, parce que dans ce domaine, tout a
déjà été fait, et on ne fera pas mieux que nos aînés. Ça correspond à une
époque. Mais, à l'évidence, la country peut nous apprendre des choses, elle
peut nous inspirer et enrichir la musique que nous faisons. Et c'est ce qu'il a
fait." Très affectée par la disparition de Gram Parsons, Emmylou Harris se
réfugie dans le travail. Elle forme l'Angelband et rejoint la Côte Ouest
où elle enregistre Pieces of the sky en mars 75, un album qui témoigne d'une large ouverture d'esprit.
La voix est chaleureuse et la musique véritablement touchante. L'album est N°1 dans les charts country,
tout comme le 45-tours If I could only win your love. Ce formidable succès permet à
Emmylou de voir plus grand. Elle fonde alors le Hot Band avec des
musiciens plus expérimentés : le batteur John Ware, le joueur de
pedal-steel Hank De Vito, le bassiste Emory Gordy, le guitariste Rodney
Crowell, le pianiste Glen D. Hardin (qui a fait partie des Crickets
de Buddy Holly et qui a accompagné Elvis Presley), et James
Burton (le dernier guitariste d'Elvis). James se souvient encore de sa
première rencontre avec Emmylou.
"Quand j'ai rencontré Emmylou, j'étais en train d'enregistrer
avec Gram Parsons. Emmylou chantait dans les chœurs avec Gram. Ça a été mon
premier contact avec Emmylou Harris. C'était une fabuleuse chanteuse déjà, et
après deux albums avec Gram, malheureusement, il est mort. Et le manager de
Gram s'est occupé d'Emmylou et l'a fait signer chez Warner et j'ai enregistré
avec elle comme je l'avais fait avec Gram Parsons, notamment l'album Pieces of the sky que j'adore.
Je joue le solo sur le titre Too far gone. On l'a enregistré en une seule prise et c'était tout simplement
incroyable."
Emmylou Harris et le Hot Band donnent une série de concerts
fantastiques aux Etats-Unis et en Europe avant d'enregistrer Elite Hotel. Sur cet album qui paraît en
janvier 76, Emmylou reprend trois compositions de Gram Parsons, poursuivant
ainsi une mission presque historique : continuer l'œuvre qu'il avait entreprise
et qu'ils avaient partagée trop brièvement. L'album permet à Emmylou Harris de se retrouver N°1 dans les charts
country à trois reprises grâce à
Together again (une version du classique de Buck Owens), Sweet dreams et One of these days. On remarque aussi sur cet album la reprise d'un titre des
Beatles, Here, there and everywhere. Emmylou Harris a désormais fait la preuve de son talent
d'interprète ; elle est récompensée par le Grammy de la "meilleure
chanteuse country".
Après
avoir travaillé avec Gram Parsons, Emmylou Harris enregistre avec Linda
Ronstadt, John Sebastian, Little Feat et surtout Bob Dylan.
On peut retrouver ses harmonies vocales sur l'album Desire, en janvier 76. Le 25 novembre,
elle participe au concert d'adieu du Band, The last waltz. Le 7 janvier
1977, Emmylou épouse son producteur, le Canadien Brian Ahern. Son mariage
coïncide avec la sortie de Luxury Liner, un album d'inspiration plus rock qui marque l'arrivée dans le
Hot Band du guitariste anglais Albert Lee. Il prend la place laissée
vacante par James Burton, qui est reparti jouer avec Elvis. Le 20 mars 1977,
Emmylou Harris se produit à l'Olympia : c'est son premier concert en France. Rodney
Crowell est à ses côtés, un des éléments essentiels de son groupe.
"Rodney Crowell joue de la guitare rythmique et il chante la
plupart des harmonies avec moi. C'est aussi un formidable auteur-compositeur.
Pour ceux qui connaissent un peu mon répertoire, il a écrit Bluebird wine, Till I
gain control again et aussi You're supposed to be feeling good ; et
il a co-signé plusieurs autres titres avec moi. Et il va enregistrer bientôt un
album solo. C'est un auteur-compositeur qui a beaucoup de talent."
Quarter moon in a ten cent town date
de janvier 78. Il apparait comme un disque où tout est un peu trop bien agencé,
trop conditionné et sans surprise. En tout cas, il souligne bien la grosse
différence qui existe à cette époque entre les disques d'Emmylou Harris et ses
concerts qui sont, eux, beaucoup plus enlevés. En février 78, Emmylou retourne
en studio pour travailler à un album avec Linda Ronstadt et Dolly Parton.
Sur le papier, on a la promesse du premier supergroupe féminin de country. Mais
le projet est repoussé, vraisemblablement pour des raisons contractuelles. Sur
son album suivant, Blue Kentucky Girl, qui paraît en avril 79, Emmylou surprend son monde : alors qu'on
la croyait bien installée dans un style à mi-chemin entre le country-folk et le
country-rock, elle propose une musique country résolument plus traditionnelle.
Elle reprend Hickory wind de Gram Parsons et elle survole les hits-parades avec Beneath still waters et avec Save the last dance for me. C'est à
cette occasion qu'elle décroche un deuxième Grammy Award. Emmylou Harris, Linda
Ronstadt et Dolly Parton, les trois dames de cœur de la country music, sont à
nouveau réunies sur Light of the stable, la chanson qui donne son titre à l'album de Noël d'Emmylou, en
novembre 79. Willie Nelson et Neil Young lui ont également prêté leur concours,
ainsi que Ricky Skaggs, ce musicien polyvalent et talentueux qui suit la
carrière d'Emmylou Harris depuis 1975 de façon presque continue.
L'enregistrement de ce titre a laissé à Emmylou un souvenir impérissable.
"J'adore cette chanson et la façon dont elle a été
enregistrée. Chacun y a participé comme à un acte d'amour, en donnant de son
temps. Linda et moi avions fait une première version avec un simple
accompagnement à la guitare acoustique. Ça sonnait tellement bien qu'on l'a
enregistrée avec les musiciens et qu'on a demandé un peu à tout le monde de
venir chanter avec nous. Chacun a donc donné de son temps pour le faire. Tout
ça, sans se préoccuper de savoir si la maison de disques allait la publier et
si on allait gagner de l'argent. Tout ce qu'on voulait, c'était faire cette
chanson avec ceux qui voudraient s'y associer. C'est sans doute une des choses
auxquelles je suis la plus fière d'avoir participé."
En mai
1980, Emmylou Harris propose Roses in the
snow, un album de musique américaine
classique, d'inspiration plus bluegrass. A une liste déjà conséquente, Emmylou
ajoute deux succès : Wayfaring stranger et la reprise d'une composition de Paul Simon, The boxer. La consécration, que le public
lui a déjà accordée depuis longtemps, elle l'obtient aussi de façon officielle
: elle est élue "meilleure chanteuse de l'année" 1980 par la Country
Music Association. Modeste, Emmylou n'oublie pas d'associer ses musiciens à sa
réussite.
"Si j'apporte quelque chose à la country, c'est surtout grâce
à mon groupe. Nous jouons de la country pure, en y ajoutant une certaine dose
d'agressivité, mais sans la dénaturer en quoi que ce soit. Musicalement,
j'essaie de me concentrer sur les harmonies. Je crois que c'est quelque chose
qu'on a un petit peu perdu dans la country ces dernières années. J'écoute
toujours des choses plus anciennes et les harmonies vocales y sont très
importantes."
Toujours en 1980, Emmylou Harris interprète deux titres sur la
bande originale du film Honeysuckle Rose, dont la vedette est Willie Nelson.
La même année, elle figure également au générique du double album The legend of Jesse James, un projet
écrit et composé par Paul Kennerley, où elle est entourée de Levon Helm, Johnny
Cash, Charlie Daniels et Albert Lee, parmi d'autres. Et ce n'est pas tout : That lovin' you feelin' again, un extrait
de la bande originale du film Roadie qu'elle interprète en duo avec Roy
Orbison, est récompensé par un Grammy Award, le troisième déjà pour Emmylou
Harris.
Emmylou Harris retrouve une nouvelle fois Linda Ronstadt et Dolly
Parton en studio, pour les besoins de son album Evangeline, qui paraît en janvier 1981.
Les trois chanteuses y sont réunies à deux reprises : sur le titre générique et
sur la reprise de Mr. Sandman, qui est la grande réussite de ce disque. On y remarque aussi le
retour du Hot Band et on constate, à travers la reprise de Hot Burrito N°2, que l'esprit de Gram Parsons
souffle toujours. Album parfaitement en harmonie avec la personnalité d'Emmylou,
un disque qui est le reflet exact de l'originalité de son talent, au-delà de
l'image de country girl à laquelle beaucoup voudraient la réduire.
"C'est un peu difficile pour moi, parce que je me suis
totalement investie dans la country au début. Artistiquement et créativement,
c'est la country qui m'a lancée. Ça a été mon centre d'intérêt. Je faisais de
la country à ma façon, mais ce qui était important, c'était de me sentir
chanteuse country. A l'époque, de nombreuses personnes de mon entourage, mes
amis, mon agent, d'autres chanteurs qui ne connaissaient pas et ne comprenaient
pas la musique country, ne m'ont pas suivie. Moi, j'étais passionnée par mon
travail avec Gram Parsons, et ce que je voulais, c'était faire connaître la
country. Quand je donnais des interviews, je voulais parler de George Jones et
des Louvin Brothers. Même si j'essayais en même temps de faire une country
différente, de la faire sortir de son cadre strict, à la manière de Gram
Parsons, comme il me l'a appris. Mais aujourd'hui, ce que la country est
devenue aux Etats-Unis, la country qui passe à la radio, j'y suis totalement
étrangère. En un mot, je ne suis pas programmée sur les radios country et ça
m'est égal."
En
décembre 1981, Emmylou Harris publie Cimarron, l'album à la pochette sépia dont le titre générique est bien
évidemment inspiré par le grand succès de Poco, Rose of Cimarron. Last Date, son premier album
"live", paraît en octobre 82 et la montre très à l'aise, voire même
différente par rapport à son travail en studio. Sur ce disque, Emmylou
privilégie son travail d'interprète : elle reprend Bruce Springsteen, Carl
Perkins, Hank Snow, Don Everly, Neil Young, et un titre de Gram Parsons,
"Return of the grievous angel".
Les goûts musicaux d'Emmylou Harris ne se cantonnent pas à un seul
style : outre la country, elle montre également son intérêt pour le folk, le
rock, la pop, le swing et le bluegrass. Elle se met une nouvelle fois en
évidence en octobre 83 sur "WHITE SHOES", où le titre "In my
dreams" lui vaut un quatrième Grammy Award. En septembre 84, Profile 2 est un second "best
of" qui réunit dix titres qui ont marqué les cinq dernières années de sa
carrière, de 1979 à 1984. C'est le treizième et dernier album produit par Brian
Ahern, qui s'est occupé d'Emmylou depuis 1975. La chanteuse se sépare de son
producteur, et en même temps, la femme quitte son mari. Emmylou Harris quitte
alors sa maison de Laurel Canyon à Los Angeles pour s'installer à Nashville, la
capitale du Tennessee et de la musique country. En février 85, elle enregistre The Ballad of Sally Rose, une sorte
d'autobiographie romancée qu'elle signe et produit avec Paul Kennerley, un
Anglais fou de country avec qui elle avait déjà travaillé.
Après la tournée de promotion de l'album, Emmylou et Paul se
marient. Février 86 verra la sortie de l'album Thirteen. Puis arrive l'année 1987 qui
marque enfin l'aboutissement du projet commun envisagé neuf ans plus tôt par
Emmylou Harris, Linda Ronstadt et Dolly Parton. C'est l'album "TRIO",
synonyme pour les trois chanteuses de retour aux sources de la tradition. C'est
un immense succès populaire et commercial, c'est l'album country N°1 de
l'année. Emmylou, Linda et Dolly obtiennent un CMA Award dans la catégorie
"événement vocal de l'année", une catégorie récemmment créée pour
récompenser des artistes qui ne travaillent pas habituellement ensemble. Quatre
titres extraits de l'album "Trio" atteindront le Top Ten, notamment
la reprise du classique de Phil Spector "To know him is to love him".
En juin 87, Emmylou Harris propose un album acoustique de country
traditionnelle, Angel Band. C'est un disque intimiste et spontané, direct et sincère,
qu'elle a enregistré pour sa plus grande partie chez elle, dans son salon, avec
quelques amis : Emory Gordy à la basse, Vince Gill à la mandoline
et Carl Jackson à la guitare. En 1988, Emmylou est N°1 dans les charts
country avec un titre qu'elle interprète en duo avec Earl Thomas Conley,
We believe in happy endings. Après Bluebird en 89, c'est la compilation Duets qui paraît l'année suivante.
Elle rassemble des titres qu'Emmylou a interprétés en duo avec George Jones,
John Denver, Gram Parsons, Roy Orbison, Don Williams,
The Band, Ricky Skaggs, Earl Thomas Conley et Southern
Pacific. Les deux duos qui complètent l'album sont des inédits : Gulf coast highway avec Willie Nelson et The price I pay avec le Desert Rose Band.
Brand New dance paraît en
1991. Il est suivi d'un album public qui sort en janvier 92, Emylou Harris At The Ryman, où la
chanteuse est accompagnée par les Nash Ramblers. En 1993, les critiques
de l'album Cowgirl's prayer sont plutôt bonnes, mais
les ventes ne suivent pas : aux Etats-Unis, elles atteignent à peine 158 000
exemplaires. En 94, après la publication dans la collection Warner Western de
la compilation Songs of the West, Emmylou se sépare de son mari, Paul Kennerley. Elle fait alors
appel au Canadien Daniel Lanois pour produire son album suivant, Wrecking Ball. Une fois encore, elle élargit
son univers musical, puisant dans le répertoire de Neil Young, Jimi
Hendrix, Steve Earle et Bob Dylan. Mais élargir son
répertoire ne veut pas dire renier le passé.
"Aujourd'hui, j'ai l'impression que ce que j'entends sur les
radios country n'a plus de force, n'a plus d'âme. Mais je ne veux pas renier le
passé. Je ne veux pas dire, pour paraphraser notre ancien président Bill
Clinton : 'J'ai goûté à la country music et je n'ai jamais été accro.' D'un
autre côté, si on se déclare chanteur country, si on se range dans cette
catégorie, alors, tout ce que l'on fait doit être étiqueté 'country'. 'Wrecking
Ball' devait être un album country. Mais ça ne rentre pas dans les standards
des programmateurs des radios country actuelles. Est-ce que ça a une importance
? Je ne crois pas. J'essaie toujours de faire une musique qui me semble bonne et
sincère pour moi. Ce que j'ai fait sur Wrecking Ball, j'appelle ça une évolution naturelle. Bien sûr, il y a un fossé
qui sépare celui-ci de ce que j'avais fait avant, mais je ne pense pas avoir
changé complètement. Je suis toujours la même chanteuse dans les situations
différentes qui m'ont permis d'évoluer en tant qu'artiste."
Emmylou Harris ne réinvente pas seulement les chansons, elle les
exprime dans un langage entièrement nouveau. Wrecking
ball lui apporte un nouveau Grammy, celui
du "meilleur enregistrement de folk contemporain".En octobre 1996, le
label Reprise publie Portraits, un coffret de trois CDs qui revient sur l'ensemble de la
carrière d'Emmylou Harris et propose cinq inédits. En 1997, elle tourne de
nouveau en Europe. Plusieurs concerts sont enregistrés et donnent l'album Spyboy, qui paraît sur Eminent
Records.
"L'an dernier, j'avais décidé de prendre un congé sabbatique,
pour réfléchir à mon prochain album studio. J'étais sur la route depuis deux
ans pour la tournée 'Wrecking Ball'. J'ai quitté ma maison de disques et mon
management, pour être totalement libre, sans aucune pression. Je voulais
simplement écrire des chansons et changer d'environnement, oublier la tournée
et les gens qui te demandent sans cesse quand sort ton prochain disque. Mais
finalement, ça faisait trois ans que 'Wrecking Ball' était paru et je n'avais
toujours rien. Mon ex-manager, qui avait monté un petit label, Eminent Records,
est venu me dire : 'Voilà, tu dois encore un album en priorité à ton ancienne
maison de disques avant d'être totalement libre. Moi, je te propose un contrat
pour un album, il est fait, c'est un 'live' et il est déjà enregistré. Tu n'as
plus qu'à déterminer un ordre pour les titres, organiser un peu tout ça, et ton
ancienne maison de disques sera satisfaite.' J'ai écouté les titres et c'était
bon, le groupe sonnait fantastique ; on ressentait quelque chose de très
spécial. Mais je leur ai dit qu'il ne fallait pas trop compter sur moi pour cet
album, que je ne voulais pas tourner, mais ils ont accepté, à condition que je
fasse un peu de promotion."
Spyboy n'est pas seulement un titre
d'album, c'est aussi le nom du groupe qui accompagne la chanteuse. Emmylou
Harris nous présente les musiciens.
"Daryl Johnson, je l'ai rencontré grâce à Daniel Lanois. Il a
joué avec les Neville Brothers et c'est un très bon bassiste et percussionniste
; c'est aussi un bon chanteur et il a une très belle voix Il a travaillé sur
'Wrecking Ball'. Le batteur, Brady Blade, vient de La Nouvelle Orléans. C'est
son frère, Brian Blade, qui me l'a présenté ; c'est un batteur exceptionnel. Il
a cette capacité unique de s'adapter à tous les styles de musiques. Il a un
sens du rythme inné, c'est presque un don surnaturel, même dans les rythmes les
plus inhabituels que nous abordons. Buddy Miller est un très bon chanteur, mais
surtout un guitariste étonnant, à vous couper le souffle. Il enregistre aussi
sous son nom ; il a déjà publié deux albums sur le label Hi-Tone. C'est un
petit groupe, mais qui a un gros son, et je joue de la guitare
acoustique."
Février
99 amène la sortie de Trio 2, dont les enregistrements avaient eu lieu cinq ans auparavant.
Produit comme le premier Trio de 87 par George Massenburg, ce deuxième album propose des
reprises d'auteurs-compositeurs légendaires comme Neil Young ou Randy Newman.
Individuellement, Emmylou Harris, Linda Ronstadt et Dolly Parton sont les trois
chanteuses les plus influentes et les plus originales de la musique populaire
moderne aux Etats-Unis. Ensemble, elles possèdent une quatrième voix, celle
qu'elles créent en chantant en trio.
"On y a mis beaucoup de travail, d'amour, de transpiration et
de larmes aussi. Le second album Trio est paru à un moment très particulier de ma vie. Mon père venait
de mourir ; Linda venait d'adopter un autre enfant et j'ai dû faire beaucoup de
sacrifices pour enregistrer ce disque. Et quand il est enfin sorti, ça a été un
soulagement intense : la période de gestation avait été très longue."
Un proverbe dit jamais deux sans trois, mais après ce que vient de
dire Emmylou Harris, il ne se vérifiera peut-être pas ici. En tout cas, Emmylou
en doute fort. "Je ne sais pas. On avait toujours dit qu'on n'en ferait
pas un deuxième. Je ne veux pas décevoir les gens, mais je doute qu'il puisse
en être autrement avec tous les problèmes que posent la sortie d'un disque et
sa promotion."
Après la disparition de Gram Parsons en 1973, Emmylou
Harris avait continué dans la voie qu'il avait tracée, réussissant là où il
avait échoué : imposer ses idées à la communauté country. En 1999, elle
s'occupe tout naturellement de la réalisation de l'album Return of the
Grevious Angel – A Tribute To Graham Parsons, un
hommage au pionnier foudroyé du country-rock. Puis elle poursuit son chemin,
toujours désireuse d'aller de l'avant, accordant beaucoup d'importance au fait
de pouvoir se faire entendre au-delà de son propre genre. C'est en ce sens que
l'on peut dire que son style s'enrichit de jour en jour, que son horizon
musical s'élargit de plus en plus. En tout cas, elle a encore montré avec le
groupe Spyboy que l'on peut réellement mener les choses dans toutes les
directions possibles, si différentes soient-elles. Toujours en 1999, Emmylou
Harris et Linda Ronstadt proposent un album qu'elles ont enregistré en duo : Western Wall - The Tucson Sessions. Elles y reprennent notamment des compositions de Jackson
Browne, Sinéad O'Connor, Bruce Springsteen et Leonard
Cohen.
En septembre 2000, Emmylou Harris publie un nouvel album, Red Dirt Girl, qui paraît sur le label Nonesuch
Records. Elle l'a enregistré à La Nouvelle-Orléans avec le guitariste et le
bassiste de Spyboy, et avec de nombreux invités qui ont répondu à son
invitation, parmi lesquels Dave Matthews ainsi que Bruce Springsteen et son
épouse Patti Scialfa.
"Quel
que soit l'endroit ou le moment, tout est toujours dicté par la chanson qu'on
est en train d'enregistrer, par le projet que l'on a entrepris. J'ai dit une
fois que j'aimerais bien chanter avec Bruce Springsteen, mais là, je ne lui
avais pas demandé de venir chanter sur ce titre. C'est Patti que j'ai appelée,
parce que je voulais qu'elle fasse les voix sur Tragedy
; je voulais une voix féminine à côté de la mienne. Patti et Bruce
étaient en tournée et ils devaient donner un concert à La Nouvelle Orléans.
J'ai pensé que ce serait une bonne occasion de rencontrer Patti. J'avais la
chanson qu'il fallait et elle allait venir en ville. Et ce qui s'est passé,
c'est qu'elle est venue avec Bruce. Et lorsqu'elle a commencé à chanter, Bruce
s'y est mis lui aussi. J'ai trouvé que le mariage de nos trois voix sonnait
très bien. A la fin de la chanson, j'ai décidé de changer ce qui était au
départ un duo, de garder ce magnifique son à trois voix qui donne une dimension
supplémentaire à l'histoire. C'est une de ces choses qui arrivent par hasard,
quelque chose qui se produit sans qu'on l'ait cherché et qui sert la
chanson."
Emmylou Harris, et cela n'étonnera personne, trouve dans la
musique un des moteurs essentiels de son existence.
"Ça a une grande importance dans ma vie ; c'est une véritable
passion pour moi. Ma vie, mon autre vie, c'est d'être à la maison avec ma
famille, c'est-à-dire ma mère qui vit avec moi et nos animaux. Nous avons des
chats et des chiens, mais rien que des bâtards, des animaux errants que nous avons
recueillis. Et nous passons notre temps avec nos amis à Nashville, plutôt dans
le calme. Une de mes filles habite aussi à Nashville. L'autre est à Los Angeles
où je vais assez souvent la voir. Ça me suffit pour remplir ma vie. J'aime la
musique. J'aime toujours autant être sur la route, en tournée. Mais pour
pouvoir entreprendre une tournée, il faut avoir un nouveau disque à proposer,
de nouvelles chansons à ajouter aux anciennes que l'on aime toujours. C'est ce
qui fait avancer la machine."
En 2001,
l'ancienne maison de disques d'Emmylou, Reprise, publie le double CD Anthology. C'est une compilation qui
réunit 44 singles que la chanteuse avait enregistrées pour le label entre 1979
et 1990. De son côté, Emmylou s'est remise à l'écriture et, dans la droite
ligne de, elle publie Stumble Into Grace. Cet album, Emmylou Harris l'a marqué d'une empreinte personnelle
encore plus forte, signant ou co-signant quasiment toutes les chansons, avec la
complicité bienveillante de son producteur Malcolm Burn et d'un auxiliaire de
luxe, Daniel Lanois.
"Avant de venir ici en Europe, j'étais à Nashville et j'ai
cosigné une chanson pour le nouvel album d'Emmylou Harris, une très jolie
valse, et ça m'a fait plaisir de la revoir. Je lui ai également donné un coup
de main, ainsi qu'à Malcolm Burn, sur trois ou quatre autres titres. Comme tu
le sais, elle a une voix d'ange et j'aime la façon dont nous avons travaillé
sur la chanson de Jimi Hendrix pour l'album Wrecking
Ball. Je l'appelle Waterfall, parce
que ça devrait être son titre.
Emmylou chante sur ton nouvel album, sur la première chanson, je
crois. Oui, sur le premier titre. Il
s'appelle I love you. Emmylou était venue me voir à la maison et je lui ai demandé si
elle aurait la gentillesse de chanter sur ce morceau. A ce moment, elle était
enrhumée, elle a hésité, mais elle l'a fait quand même. Elle a chanté de façon
merveilleuse, même avec un rhume, et c'est ce qu'on a gardé pour le
disque."
Enrhumée ou pas, la voix d'Emmylou Harris reste exceptionnelle,
même si depuis quelque temps, on a l'impression qu'elle a un peu changé,
qu'elle a pris de nouvelles sonorités.
"C'est difficile pour moi de savoir si ma voix a changé. A
l'évidence, avec l'âge, la voix change. Elle n'est plus aussi légère ou aussi
douce qu'avant. Ma voix est plus chargée d'années, ce qui lui donne plus de
texture que quand j'étais plus jeune et ça me permet d'essayer d'autres
chansons. On ne peut pas parler de ça objectivement ; chanter, c'est très
subjectif. Je ne cherche pas à savoir ce que je peux ou ne peux pas faire
musicalement. Je me dis simplement : j'aime cette chanson, je vais la chanter
et je trouverai un moyen pour que ma voix s'y adapte."