Joni Mitchell

Joni Mitchell est le pseudonyme de Roberta Joan Anderson. Elle est née le 7 novembre 1943 à Fort MacLeod, au Canada, dans la province de l'Alberta. Dès l'âge de sept ans, elle suit des cours de piano et se fait remarquer par ses dons en dessin. A neuf ans, elle contracte la poliomyélite, dont elle guérit; neuf ans, c'est aussi, selon son propre aveu, l'âge où elle commence à fumer, et elle n'a toujours pas arrêté. Elle a douze ans lorsque son professeur d'anglais (à qui elle dédiera son premier album) lui dit : "Si tu sais t'exprimer avec un pinceau, tu sauras peindre avec des mots".

Joan, qui ne se fait pas encore appeler Joni, apprend seule à jouer du ukulélé, puis de la guitare, grâce à un disque-méthode mis au point et commercialisé par Pete Seeger. Etudiante aux Beaux-Arts à Calgary, elle se destine à l'art publicitaire. Mais l'enseignement qu'on y dispense ne la satisfait pas. Pour se faire un peu d'argent de poche, elle chante dès 1962 dans un club folk, The Depression. Elle prend très vite goût à cette activité au point qu'en juin 64, elle abandonne les Beaux-Arts et dit à sa mère : "Je pars à Toronto pour être folk-singer".

Le répertoire de Joni est fait de reprises de standards du folk, surtout des titres chantés par son idole, Judy Collins. En février 1965, à l'insu de sa famille, elle accouche d'une petite fille. Puis elle se marie avec le chanteur folk Chuck Mitchell qui n'est pas le père de l'enfant mais a promis de s'en occuper. Or, les choses ne se passent pas comme prévu et, quelques semaines plus tard, l'enfant est donnée à adopter. Joni écrit une première chanson, Day after day, et participe en été 65 au Mariposa Folk Festival, à Innie Lake, dans l'Ontario. Chuck et Joni Mitchell émigrent alors aux Etats-Unis et s'installent à Detroit pour vivre et travailler. Leur union ne durera qu'un an et demi.

Au début de l'année 67, Joni, qui a gardé Mitchell comme nom d'artiste, part pour New York et tourne dans les clubs folk de la Côte Est, se bâtissant une réputation de chanteuse et d'auteur-compositeur. Tom Rush, le premier, enregistre Urge for going, bientôt repris dans une version country par George Hamilton IV.  A New York, Joni rencontre Elliott Roberts qui devient son manager. A l'automne 67, il lui décroche un contrat avec Reprise et l'incite à partir s'installer en Californie. Joni continue de placer ses chansons : Tom Rush reprend The circle game et le groupe anglais Fairport Convention, Eastern rain.

Mélodiques et poétiques, les deux premiers albums de Joni Mitchell sont d'essence folk, en grande partie acoustiques. Le premier parait en mars 68. Il s'appelle tout simplement Joni Mitchell, mais on lui donne aussi parfois le titre de Song For A Seagull. Joni y joue de la guitare et du piano, Stephen Stills de la basse, et c'est David Crosby, avec qui elle vit à cette époque, qui a produit.  Joni entame alors une longue tournée qui la voit participer aux festivals de Miami, Atlanta, Newport, Big Sur, New York et Monterey, avant de se produire en première partie de Crosby, Stills & Nash.

En décembre 68, la reprise de Both sides, now par Judy Collins est un succès aux Etats-Unis et apporte à Joni Mitchell ses premiers droits d'auteur. Son deuxième album, Clouds, sort en avril 69 sous une pochette où figure son autoportrait. On y trouve ses propres versions de chansons déjà enregistrées par d'autres artistes : Chelsea morning, Both sides, now et Tin angel. Prévue à l'affiche de Woodstock, Joni se désiste au dernier moment, suivant les conseils de son manager, qui préfère la voir participer à une importante émission de télévision. En revanche, elle participe au festival de Big Sur en septembre et on peut la retrouver dans le film Celebration at Big Sur, sa première apparition à l'écran.

En mars 70, Joni Mitchell reçoit le Grammy du "meilleur album folk" pour Clouds. Installée à Laurel Canyon, en Californie, elle publie son troisième album, Ladies of the Canyon, en mars 70. Elle y offre une palette variée d'émotions et de tons, musicalement très étendue. C'est son premier disque d'or, grâce aux succès conjugués de Big yellow taxi et des deux reprises de Woodstock : celle de Crosby, Stills, Nash & Young qui est N°11 aux Etats-Unis, et celle de Matthew's Southern Comfort qui est N°1 en Angleterre. Quant au titre Willy, il parle de Graham Nash, avec qui Joni a eu une liaison.

En août 1970, Joni Mitchell participe au Festival de l'Ile de Wight. Le "Melody Maker" la désigne "meilleure chanteuse de l'année". Elle décide d'arrêter de tourner et voyage en France, en Espagne et en Grèce. On la retrouve dans les choeurs sur l'album Tapestry de Carole King et au côté de James Taylor sur You've got a friend, qui est N°1 aux Etats-Unis fin juillet 71. Entre temps, en juin, elle a publié son quatrième album, Blue, où elle apparaît encore plus épanouie, toujours raffinée et bien sûr très personnelle, avec un incontestable talent pour les arrangements.  Son style poétique et mélodique parvient à une unité d'expression sans précédent dans le monde de la musique pop. Au cours de l'été 71, elle tourne aux Etats-Unis puis en Europe avec Jackson Browne.

Joni Mitchell change alors de maison de disques. Elle quitte Reprise et signe avec Arista pour qui elle produit For the Roses en octobre 72. On l'y voit aborder de nouveaux horizons musicaux, notamment le jazz, et prendre une plus grande confiance en ce qu'elle écrit. N°25 aux Etats-Unis en janvier 73, You turn me on, I'm a radio est son premier grand succès. En novembre, le groupe Nazareth reprend This flight tonight et en fait un tube en Angleterre.

L'influence du jazz sur Joni Mitchell se confirme avec Court and Spark  en avril 74 ; c'est son premier album totalement électrique. Elle l'a enregistré avec Larry Carlton, Joe Sample, Wilton Felder, Robbie Robertson et le groupe de Tom Scott, le L.A. Express. Ce sera un des disques les plus populaires de Joni, jalonné par trois succès : Free man in Paris (avec Crosby et Nash dans les choeurs, et José Féliciano à la guitare), Help me, qui grimpe jusqu'à la 7ème place dans les hits-parades américains, et Raised on robbery, qui étonne et réjouit ses admirateurs par son ambiance sonore résolument novatrice.

En août 74, c'est une peinture de Joni Mitchell qui illustre la pochette de So far, la compilation de Crosby, Stills, Nash & Young. En novembre, Miles of Aisles est le titre d'un double album enregistré en public avec le L.A. Express. En mars 75, Joni partage avec Tom Scott le Grammy du "meilleur arrangement vocal" pour Down to you, un extrait de Court and Spark. Son sixième album studio, The Hissing of Summer Lawns parait en novembre 75. Joni s'éloigne du rôle restrictif que la pop music reconnaît à l'auteur-compositeur ; ses musiques et ses textes deviennent plus ambitieux, plus complexes. Cette évolution rapide surprend ses plus fervents admirateurs en même temps qu'elle lui met à dos une grande partie de la critique. Le 45-tours In France they kiss on main street ne dépasse pas la 66ème place dans les hits-parades. Joni Mitchell rejoint alors la Rolling Thunder Revue de Bob Dylan, d'abord en tant que spectatrice, avant de prendre une part plus active à certains concerts, notamment à Boston et à Toronto.

Après avoir participé à l'album Shadow play du L.A. Express, dont elle a également illustré la pochette, Joni Mitchell revient à sa propre carrière en novembre 76 avec Hejira. Composé principalement à bord de sa voiture, le long des routes américaines, l’album a été enregistré avec le bassiste Jaco Pastorius, le guitariste Larry Carlton et le batteur du L.A. Express, John Guerin. Les textures et nuances musicales qui sont proposées sont multiples, et de nombreux critiques de jazz considèrent ce disque comme un chef d'oeuvre. Les albums de Joni Mitchell se vendent toujours très bien, mais certains préféreraient la voir revenir à sa première image. Le 25 novembre 76, à San Francisco, elle participe au concert d'adieu du Band, The last waltz.

Après des débuts folk que l'on peut qualifier de "classiques", Joni Mitchell s'est laissée peu à peu gagner par le jazz, et cette influence va aller en s'amplifiant. En décembre 77, elle atteint une véritable dimension symphonique sur le double Don Juan’s Reckless Daughter . Avec Jaco Pastorius, John Guerin, le percussionniste Airto Moreira, le trio de base de Weather Report, mais aussi Chaka Khan, John David Souther et Glenn Frey, Joni crée une musique inclassable, pour laquelle on invente le terme barbare de "folk-jazz" ! Fortement impressionné par le titre Paprika plains, le contrebassiste Charlie Mingus contacte Joni Mitchell pour un travail en commun. Il lui confie six musiques qu'il vient de composer, ainsi que son standard Goodbye pork pie hat. Il n'en verra pas le résultat final : il meurt le 4 janvier 79 et l'album Mingus ne parait qu'en juin. Ce disque, qui brouille la chanteuse avec les radios, a été enregistré avec Gerry Mulligan, John McLaughlin, Jan Hammer et Stanley Clarke. Il parait sous une pochette illustrée par quatre peintures de Joni inspirées par le grand jazzman disparu.

Joni Mitchell entreprend alors sa première série de concerts depuis quatre ans. Elle se met à la guitare électrique, entourée d'un groupe composé de Pat Metheny, Jaco Pastorius, Michael Brecker, Don Alias et Lyle Mays, les choeurs étant assurés par les Persuasions. En septembre 79, son concert au Santa Barbara County Bowl est enregistré : cela donne Shadows and light, son deuxième double album "live", qui parait une année plus tard, en septembre 80, en même temps qu'une vidéo qui porte le même titre. Joni Mitchell, qui s'est peut-être rendu compte que ses intérêts musicaux sont de moins en moins compatibles avec un large public, décide de faire une pause et reporte toute son énergie sur sa première passion, la peinture.

En décembre 1980 à Toronto, Joni Mitchell réalise une séquence pour le film Love, constitué de neuf histoires écrites uniquement par des femmes, un film inédit en salles. En vacances en Jamaïque, elle peint une fresque murale dans la maison de Perry Henzell, le réalisateur du film The harder they come. Depuis Mingus, on n'entend plus Joni Mitchell à la radio. Entre le jazz, le folk, la pop ou le rock, les programmateurs ne savent plus où la ranger.

Elle revient enfin en octobre 82 avec Wild Things Run fast. C'est son premier album pour Geffen et il marque de façon inattendue un retour à son style du début des années 70. Le 45-tours (You're so square) Baby I don't care est la reprise d'un titre qu'Elvis Presley chantait en 1957 dans le film "Jailhouse Rock". Le 21 novembre 82, à Malibu en Californie, Joni Mitchell épouse Larry Klein, un ingénieur du son qui est aussi son bassiste.

Avec son groupe baptisé Refuge, Joni Mitchell entreprend alors la plus importante tournée de sa carrière. On en retrouve l'ambiance dans le film Refuge of the roads, qui sort à l'automne 84 uniquement en laser-disc. Il ne sera disponible en VHS que cinq ans plus tard. En 1984, Joni expose ses toiles à deux reprises au café-galerie Kamikaze à New York. Début 85, elle participe à l'enregistrement de Tears are not enough pour la version canadienne du Band Aid, Northern Lights for Africa. Octobre 85 voit la sortie d'un nouvel album, Dog Eat Dog. Joni Mitchell semble y trouver un compromis au milieu de gens aussi différents que Thomas Dolby, Wayne Shorter et Steve Lukather, sans oublier ses amis de toujours, Don Henley et James Taylor. Sur le single Good friends, Joni chante en duo avec Michael McDonald.

En septembre 85, Joni Mitchell participe au Farm Aid; en juin 86, elle chante pour Amnesty International dans le cadre de Conspiracy of Hope. Coincée entre Bryan Adams et U2, son passage lui vaut le titre peu enviable de "pire performance de l'année" décerné par le magazine Rolling Stone. Fin 87, elle se fait voler sa vieille Mercedes, qu'elle avait surnommée "Bluebird" ; c'est une grande perte sentimentale, car elle l'avait achetée en 69 avec ses premiers droits d'auteur. Dans sa maison de Bel Air, elle fait construire un studio d'enregistrement, The Kiva. Un nouvel album, Chalk Mark In A Rain Storm, sort en mars 88. Il aborde un large éventail de thèmes et de sons, et se situe quelque part entre le jazz contemporain, le blues et le rock progressif, distillant des humeurs variées et nuancées. Là encore, les invités sont nombreux et célèbres : Wayne Shorter, Thomas Dolby, Wendy & Lisa, Willie Nelson, Billy Idol, Don Henley et Peter Gabriel qui chante sur le single My secret place.

Le 21 juillet 90, Joni Mitchell participe au concert The Wall monté par Roger Waters à Berlin : elle chante Goodbye blue sky,  accompagnée par le flûtiste irlandais James Galway, et participe au final. En octobre, au L.A. Theatre Center, on présente The Joni Mitchell Project, une comédie musicale à partir de ses chansons qui tiendra l'affiche pendant trois mois. Le 16ème album de Joni Mitchell, Night Ride Home, paraît en février 91, au moment où une exposition itinérante de ses toiles est organisée en Europe. Cet album marque une nouvelle étape dans une carrière très personnelle et toujours d'un haut niveau de créativité.  Il est plus intime que les précédents : la voix est mise en avant et l'instrument principal est la guitare acoustique. Pour certains critiques, sommes devant une sorte de rétrospective, plus proche de l'esprit de ses albums des années 70 que tout ce qu'elle a pu faire depuis une dizaine d'années.

En décembre 92, plusieurs artistes canadiens, dont Martha & The Muffins, enregistrent Back to the garden : a tribute to Joni Mitchell. En janvier 93, Bill Clinton s'installe à la Maison Blanche : le nouveau président américain précise que c'est bien la chanson de Joni, Chelsea morning, qui lui a inspiré le prénom de sa fille, mais dans la version chantée par Judy Collins. En avril, David Crosby publie son album Thousand roads ; on y trouve une chanson cosignée par Joni, Yvette in english, qu'elle s'apprête à reprendre dans son prochain album. Elle vient de divorcer de Larry Klein, mais elle continue tout de même de travailler avec lui pour les sessions de Turbulent indigo.

En août 94, Joni Mitchell signe de nouveau avec Reprise, la maison de disques qu'elle avait quittée 23 ans plus tôt, juste après Blue. En octobre, Turbulent indigo est présenté à la presse dans une galerie d'art de Santa Monica, au milieu de trente toiles peintes par Joni. L'accueil de la critique est excellent et salue le splendide retour d'une des pionnières des années 70. Un premier single, How do you stop, une reprise très personnelle d'un standard de James Brown, est interprétée en duo avec Seal. C'est un échange de bons procédés : Joni vient de participer à l'album de Seal, où elle chante avec lui If I could.

En 1995, la chanson de Joni Mitchell Big yellow taxi connait une seconde carrière : d'abord grâce à la reprise faite par Amy Grant, puis grâce à une version remixée par Joni elle-même qui fait partie de la bande originale de la série télévisée Friends. En septembre 95, Joni Mitchell reçoit la plus haute distinction décernée par le magazine Billboard, le "Century Award", qui souligne l'exemplarité de sa carrière de créatrice. D'autres récompenses se succéderont en 96 : deux Grammies pour Turbulent indigo, le prix Orville Gibson de la "meilleure guitariste acoustique", et surtout, le Polar Music Prize, l'équivalent du Prix Nobel pour la musique, décerné par la Suède.

Deux compilations paraissent en octobre 96: Hits, qui regroupe les plus grands succès de Joni Mitchell, et Misses où elle a voulu réunir des chansons qui lui tiennent à cœur, mais qui n'ont pas eu l'audience espérée. Mais tous les honneurs que l'on fait à Joni à ce moment ne sont rien en comparaison de l'immense bonheur que lui procurent les retrouvailles avec sa fille Kilauren, qu'elle avait dû donner à adopter quelques semaines après sa naissance en février 1965. Après plusieurs années de recherches de part et d'autre, elles sont enfin réunies en mars 97, en grande partie grâce à Internet et au site de Joni Mitchell. Par la même occasion, celle-ci a fait la connaissance de son petit-fils, Marlin. Un nouvel album, Taming The Tiger, parait en septembre 98. Il reflète la variété des styles abordés depuis trente ans, c'est un assemblage de sons qui vont de la musique d'ambiance à la new-age, une véritable projection de la passion de Joni pour le smooth-jazz.

Au printemps 2000, Joni Mitchell propose Both sides now, une magnifique et surprenante collection de reprises de grandes ballades classiques des années 20 aux années 70. Comme elle le souligne elle-même, c'est une histoire de l'amour romantique au 20ème siècle, au travers de titres créés par Frank Sinatra, Ella Fitzgerald ou Billie Holiday, auxquels Joni a ajouté deux de ses compositions, A case of you et Both sides now. L'album a été enregistré à Londres, avec des arrangements spécialement écrits pour un grand orchestre de 70 musiciens, ce qui n'exclut pas la présence de grands noms du jazz comme Wayne Shorter et Herbie Hancock.

Au moment de sa sortie, Joni Mitchell avait présenté Both sides now comme le premier album d'une trilogie symphonique : le deuxième devant être consacré à ses propres chansons et le troisième à des chansons de Noël. Le deuxième volet de cette trilogie, Travelogue, sera enregistré comme le précédent, à Londres, avec un orchestre de 70 musiciens et avec les fidèles Herbie Hancock, Billy Preston et Wayne Shooter. Double CD, illustré par des reproductions de nombreuses peintures de Joni Mitchell, l’abum est un voyage dans son propre répertoire, la ré-actualisation de 22 de ses compositions, une relecture de plus de trente années de carrière. Depuis qu'elle a qualifié l'industrie du disque de "cloaque" dans une récente interview au magazine Rolling Stone, on sent Joni Mitchell désabusée et cela pourrait bien être son dernier album.

Et puis , septembre 2007 arrive. Cela fait bien longtemps que Joni Mitchell a largué ses amarres avec le folk basique, qu'elle a pris ses distances avec les contraintes d'un milieu - le business de la musique - qu'elle exècre. Bien longtemps aussi qu'elle n'avait plus publié d'album. On pensait même qu'il n'y en aurait plus, la peu conciliante Mitchell préférant la compagnie de ses toiles et pinceaux à celles des représentants des maisons de disques. Depuis, il ne se passe pas une semaine sans qu'une jeune chanteuse n'apparaisse, revendiquant, la plupart du temps abusivement, l'influence et l'héritage de l'immense Canadienne. Joni Mitchell incarne aujourd'hui, à l'instar de ses compatriotes masculins Leonard Cohen et Neil Young, un modèle absolu d'intégrité, de créativité, d'indépendance et de pertinence.

C'est dire s'il était temps qu'elle revienne, histoire de remettre les pendules à l'heure. Car si Shine n'a rien de révolutionnaire, tant dans son propos - le ­monde qui court obstinément à sa perte - que dans sa forme - cet harmonieux jazz-rock aérien aux racines country-folk dont Mitchell s'est fait la championne -, il rayonne avec une grâce rare.

Au risque de choquer, on trouve même que le timbre (altéré par le temps et le tabac) de la chanteuse, privée de ses fameuses envolées dans les aigus, s'écoute avec d'autant plus de confort. La reprise de son titre le plus connu, Big Yellow Taxi, protest song écolo de 1970, fait office de lien naturel entre le passé et le présent, ­comme le symbole d'une oeuvre cohérente qui vieillit bien.

En cousine révoltée du philosophe Paul Simon, Joni Mitchell tisse des mélodies, des sons et des arrangements complexes, toujours limpides, d'une miraculeuse clarté. Qu'elle chante son dédain pour "les hordes de zombies aux portables greffés à l'oreille", Bad dreams are good, qu'elle évoque "de paisibles aires de jeu pour enfants à la merci de bombes qui explosent juste à côté", Shine, qu'elle revisite Tennessee Williams, Night of the iguana, ou interprète Rudyard Kipling, If, Joni Mitchell, à 64 ans, démontre, avec majesté, que sa voix et ses chansons demeurent des nécessités