The
Move
L’origine de cette formation remonte au
milieu des années 1960 à Birmingham, deuxième ville la plus importante
d'Angleterre. En 1965, un journaliste de TV Times s’écria : « Liverpool today,
Birmingham tomorrow » pour décrire une réalité perceptible à l’époque. En
effet, le son Mersey qui avait contribué à placer Liverpool au centre de
l’activité musicale du royaume dans le sillage des Beatles ou des Hollies
peine à se renouveler et c’est la capitale des Midlands qui prend le relais
avec le Brum Beat. Cet état de grâce ne dura guère longtemps, mais permit
l’émergence de groupes comme El Riot & The Rebels, Denny Laine
& The Diplomats, The Moody Blues, The Spencer Davis Group,
The Idle Race, et plus tard Black Sabbath, voire Led Zeppelin.
La plupart de ces groupes, à l’instar des Beatles, fit ses armes en Allemagne,
à Hambourg, où ils développèrent tous un furieux jeu de scène avant de revenir
écumer les clubs de Birmingham et d’enregistrer une poignée de 45 tours ou,
dans le meilleur des cas, un album.
Au moment de la formation du groupe, en
février 1966, les membres de The Move officiaient tous précédemment dans
divers groupes beat de la ville: Roy Wood avec Mike Sheridan's
Lot (qui deviendra par la suite The Idle Race), Ace Kefford
et Bev Bevan avec Carl Wayne & The Vikings, et Trevor
Burton avec Danny King's Mayfair Set. Frustrés par un sentiment
d’immobilisme et percevant que les scènes étaient en train de changer, les cinq
décidèrent de mettre en commun leurs talents dans un projet neuf, tourné vers
l’avenir, The Move, avec d’autant plus de force que la plupart des
singles sortis avec leurs groupes respectifs constituaient des échecs
retentissants, sorte de mauvaise répliques de ce qu’on nommait à l’époque la
British Invasion, symbolisée par Herman's Hermits ou The Seekers.
Le groupe fut ainsi nommé car les cinq musiciens étaient des transfuges en
provenance de groupes locaux vers une nouvelle formation, d’où l’idée de
traduire ce mouvement par une dénomination originale du nouveau projet. The
Move se composait alors de Carl Wayne au chant, Trevor Burton
à la guitare et au chant, Roy Wood également à la guitare et au chant, Chris
« Ace » Kefford à la basse et au chant, et de Bev Bevan à la
batterie.
Sous le
management de Tony Secunda à la fin de l’année 1966, The Move migre vers
Londres et va rapidement faire les gros titres avec ses prestations scéniques
destructrices au Marquee Club à Londres où ils résident, durant lesquelles des
postes de télévision, des effigies politiques et — au moins à une occasion —
une voiture étaient démolis à coups de haches et de marteaux. Secunda était
l’un des managers les plus controversés d’Angleterre et il utilisa des méthodes
qui ont probablement inspiré Malcolm McLaren avec les Sex Pistols des années
plus tard. Il n’était pas rare de voir les pompiers arriver à la mythique scène
pour éteindre l’incendie que le groupe avait provoqué... Leur jeu de scène,
largement influencé par les Who, présentait également un côté mod avec un goût
pour ce qui était arty, et on distingue chez les cinq de Birmingham un penchant
pour la pop évoquant tantôt les Kinks, tantôt les Beatles.
À peu près à la même période, ils signèrent
pour la maison de disques Deram, une subdivision de Decca destinée à la
nouvelle scène. À cette occasion, Secunda réalisa sa première acrobatie en
faisant signer le contrat sur le dos d’une hôtesse dénudée...
Le premier single de The Move chez Deram, Night of Fear, lancé en décembre 1966, devint
aussitôt un tube, atteignant la deuxième place des charts. En fait, les
premiers singles de The Move sont largement influencés par le mouvement mod
avec leurs accords pêchus et leur mise en scène théâtrale, même si leur musique
deviendra par la suite de plus en plus pop et dynamique.
L'année suivante, I
Can Hear the Grass Grow établit le groupe comme une machine à tubes sur
laquelle il fallait désormais compter en se classant dans le top 5. C’est à ce
moment-là que commencèrent le début des ennuis pour The Move : à chaque nouveau
single, les radios et les médias en général disséquaient les paroles en quête
d’éléments susceptibles de constituer une menace pour la morale en place.
Ainsi, dans I Can Hear the Grass Grow, les références
à la vision d’arcs-en-ciel et de cercles colorés laissèrent peu de doutes quant
à l'herbe dont il était question :
« My heads attracted to a
Magnetic wave of sound
With streams of coloured
circles
Makin' their way around.
I can hear the grass grow
I see rainbows in the
evening. »
En tout cas, ceci apparut suffisamment
ambigu pour éviter une censure de la BBC, ce qui n’empêcha pas, paradoxalement,
l’institution d’enregistrer dans la frénésie ce morceau lors d’une session,
compte tenu du succès du titre...
Artistiquement
parlant, le succès de The Move s'explique par les chansons excentriques de Roy
Wood, le compositeur de la bande, résultant d'une combinaison de mélodies
pop contagieuses avec un sens aiguisé de l'absurde, et de paroles qui insistent
fréquemment sur les thèmes de la folie ou de l’incongru. La particularité du
groupe réside également dans le brassage de styles qu'il cultive, même s'il
conserve une base pop. Ainsi, sa musique se révèle être un condensé de racines
rock 'n' roll, comme le révèlent les fréquentes reprises du Weekend d'Eddie Cochran ; de pop à la Beach
Boys, agrémentée d'harmonies vocales complexes (California
Girls sur The BBC Sessions) et de psychédélisme assorti de freakbeat
typiquement britannique. Ainsi, des morceaux de Love, The Byrds, Moby
Grape ou de Jackie Wilson concluaient fréquemment les sets en
concert.
En avril, le groupe participe au 14 Hour
Technicolor Dream, festival haut en couleurs et premiers fait d'armes de la
scène underground britannique, aux côtés de Pink Floyd, Soft Machine,
The Pretty Things, The Creation ou encore The Crazy World of
Arthur Brown.
Bien qu'il fût un autre gros succès,
atteignant la deuxième place des charts en octobre 1967, le troisième single du
groupe, Flowers in the Rain, trouva le groupe
attaqué en justice par le Premier ministre de l’époque, Harold Wilson, à propos
d’une carte postale diffamatoire qui avait été conçue pour promouvoir le
single, le montrant en train de se déshabiller aux côtés de sa secrétaire. Tous
les bénéfices du morceau durent être reversés à des œuvres de charité. C’est
d’ailleurs ce morceau qui reçut le privilège d’être le tout premier disque
diffusé sur Radio 1, la nouvelle station de musique populaire de la BBC, le 30
septembre 1967. Autre preuve de leur succès, le groupe fut dans la foulée
invité au premier show musical de John Peel intitulé Top Gear et diffusé sur
cette nouvelle station. L’épisode Harold Wilson signa la fin du management de
Secunda qui laissa sa place à Don Arden, réputé avoir lancé les Small Faces
de façon musclée.
Avec la réputation outrageuse du groupe sur
scène déjà fortement établie, le single suivant, Cherry
Blossom Clinic, traitant d’un interné dans un asile, fut retiré de la
circulation avant même sa parution pour éviter encore plus de publicité
défavorable.
Le 45 tours qui lui fit suite, Fire Brigade, avec Walk Upon
the Water en face B, prolongea la série de succès en atteignant la
troisième place des charts, en ayant été composé en une nuit et enregistré le
lendemain. Paru en janvier 1968, ce titre offrit au groupe son quatrième top 5
des charts en quatre singles publiés. Débutant sur un effet sonore approprié de
sirène de pompiers rappelant I Am the Walrus et
un jeu de guitare discordant, le morceau utilise un son vibrant inspiré de Duane
Eddy au côté d’une basse proéminente caractéristique du groupe. Roy Wood
chante seul de son style nasilllard exagéré, passant le relais à Carl Wayne
pour le refrain soupiré. Le morceau est quelque peu autobiographique et renvoie
aux prestations scéniques du groupe :
« You get fascinated by
her
She could set the place on
fire
Run and get the fire
brigade
Get the fire brigade
See the buildings start to
really burn
Get the fire brigade
Get the fire brigade
If you jump you’ve got to
wait your turn"
Le groupe consacra le début de l’année 1968
à l’enregistrement de son premier album, The Move,
dont la pochette a été réalisée par The Fool. Il ne contient presque que des
compositions de Roy Wood : outre les titres issus des singles Flowers in the Rain et Fire
Brigade, il inclut également la version originale de Cherry Blossom Clinic et trois reprises, dont Weekend. L'album se glisse dans les hautes places des
charts à sa sortie.
Fire Brigade fut la dernière contribution
de la formation originale de The Move. En effet, Chris « Ace » Kefford,
bassiste au visage de play-boy et principale image commerciale du groupe,
quitta ses compères subitement en avril 1968 après une dépression nerveuse
nécessitant que Trevor Burton passe de la guitare à la basse. Bien qu’étant un
élément secondaire du groupe et ne remettant donc pas en cause l’existence de
celui-ci, il sortit tout de même un single solo sous le nom de Ace Kefford
Stand, puis un second avec Big Bertha, avant de disparaître de la circulation.
Réduit à quatre, The Move enregistra Wild
Tiger Woman, sorti en juillet. Le morceau demeure l’un des rares singles du
groupe à ne pas entrer dans les charts. La presse sembla de plus en plus
s’attacher aux flamboyantes bouffonneries que le groupe commettait sur scène, à
la garde-robe de ses membres ou encore à ses tours de force publicitaires
souvent axés sur l’outrageux plutôt que sur sa musique. Les tournées se
poursuivirent néanmoins et l’année se termina sur la sortie, en décembre, de
Blackberry Way, qui grimpa en tête des charts en janvier 1969. Marqué par un
humour noir et une ambiance sombre, il rappelle les Kinks (Waterloo Sunset) ou
les Beatles (Penny Lane).
Peu de temps après, Trevor Burton,
second guitariste du groupe, qui avait déjà compensé le départ d’Ace Kefford
en tenant la basse, quitta à son tour le groupe pour jouer avec Jim
Capaldi, Steve Gibbons et John Cale. Il est immédiatement
remplacé à la quatre cordes par Rick Price, en provenance de Sight
and Sound. Le groupe relâcha un peu la pression durant le reste de l’année,
ce qui permit à Roy Wood de composer et de produire pour The Acid Gallery,
un groupe formé à Londres. Dance Around the Maypole,
paru en octobre, contient ainsi son soprano nasal caractéristique et un mixage
le mettant bien en avant. The Acid Gallery évolua par la suite en Christie
et rencontra le succès avec Yellow River. Peu
de temps après l’enregistrement de leur deuxième album, le chanteur Carl
Wayne, qui s’était aventuré dans le circuit des cabarets sur les conseils
de son manager, jeta également l’éponge, laissant dans un premier temps les parties
vocales à son leader. Il se distingua par la suite dans la comédie musicale et
enregistra plusieurs jingles publicitaires, rejoignit les Hollies en
2000 avant de disparaître en août 2004.
En janvier 1970, Jeff Lynne,
chanteur et guitariste de The Idle Race, accepta une invitation de son
vieil ami Roy Wood pour rejoindre son groupe. La succession rapide des
changements de personnel aurait détruit plus d’un groupe, mais The Move
devint un groupe plus intéressant au début des années 1970. Jeff Lynne était à
ce moment-là le seul membre du groupe avec Roy Wood à fournir de chansons
notables et à définir une direction musicale à l’ensemble.
Le second album, sorti en février, confirme
l’inventivité du groupe malgré les départs en cascade. Les six titres de Shazam témoignent d’une musique plus progressive,
plus expérimentale, sortant du cadre imposé des simples à succès mais qui
conserve tout de même un air de Beatles, inluence difficilement
oubliable pour le groupe. Cet effort est une sorte de Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band progressif,
composé d’une musique extrêmement énergique, forgée par des années passées sur
scène à jouer fort. Shazam contient également une version d’un titre de Tom
Paxton, The Last Thing On My Mind.
En tournant la page de sa première mouture,
The Move perd progressivement de son importance sur la scène britannique.
En fait, c’est l’arrivée de Jeff Lynne
qui signa réellement la fin pour The Move. L’album qui suit en octobre, Looking On, le premier comportant des
compositions de Jeff Lynne, montre le groupe peinant à mélanger éléments
progressifs et hard rock boogie. Les harmonies vocales sont néanmoins toujours
présentes, et la palette d’instruments est variée — la plupart de ceux-ci sont
joués par Roy Wood, signe que l’entente au sein du groupe n’était plus tout à
fait cordiale. C’est sans surprise que Rick Price s’écarta
définitivement du groupe en quête d’une aventure en solo.
À partir de Looking
On, et sous l’impulsion de Jeff Lynne, le groupe, réduit au format
de trio, devint plus « artiste », préfigurant un rock orchestral inédit à
l’époque. C’est ainsi que durant une très courte période, Lynne, Wood et Bevan
travaillèrent également sous le nom de The Electric Light Orchestra,
parallèlement à The Move, se dirigeant vers de nouvelles directions musicales.
En juin 1971, The Move se retrouva pour
enregistrer Message from the Country,
album marqué par le tiraillement artistique qui sévissait alors au sein du
groupe. Effectivement, on y retrouve les inclinaisons pop de Lynne qui font le
contrepoint des compositions plus sombres et plus ironiques de Wood.
Paradoxalement, à l’époque, le meilleur travail de The Move est à rechercher du
côté des singles, tels Brontosaurus, California Man ou Tonight qui
font de très bons scores dans les charts britanniques.
Toujours inconnu en dehors du Royaume-Uni
en 1972, The Move peinait de plus en plus à trouver une âme, ce que confirma le
modeste succès de Message from the Country. Menant de front deux projets
musicaux, les musiciens décidèrent alors de ne plus en privilégier qu’un seul
et c’est sans surprise que, devant l’émiettement de la production de The
Move, sa fin fut annoncée au profit d'Electric Light Orchestra.