Dans le garage, il y a
de tout. Des poètes, des agriculteurs, des disciplinés, des cancres. Des
créateurs, des tâcherons, des élégants et des bouseux. Les Music Machine n'avaient
pas plus de talent que, au hasard, les Count Five, mais une chose est sûre : ce
sont eux qui avaient le plus de classe...
Ils étaient tous en noir, comme des Vince Taylor avec le faciès honteux de
Sonny Bono. Cheveux teints en noir, coupe à la Keith Relf, col roulé noir avec
médaillon par-dessus, et chacun, un seul gant noir... Les Music Machine, de Los
Angeles, étaient des cas.
Emmenés par un pur abruti épris -c'est vrai ! - d'astrologie, un nommé Sean
Bonniwell, le groupe comptait en son sein tout noir Mark Landon à la
guitare, Keith Olson à la basse, Ron Edgar (ce nom !) à la
batterie, et Doug Rhodes à l'orgue Vox Continental... Les Music Machine,
en plus de leur accoutrement princier et de la pochette de leur unique album Turn On The Music Machine (1967), ces cavemen
californiens sont responsables de l'un des plus grands classiques garage : Talk Talk, ses interjections malsaines, son orgue
mineur quasi gothique, la voix d'outre-tombe de Bonniwell, tout y est parfait.
Le
groupe, lui, a connu la trajectoire habituelle des garagistes : 15 minutes de
gloire, un mauvais management, et un leader qui part en apnée trop vite. Cette
bande de gros nez super chics a donc tout raté. C'est pour ça qu'on les aime.
Mais les Music Machine ont un côté sacré, avec la connexion Curt Boettcher, le
sorcier malade des studios, le Brian Wilson méconnu... Bonniwell et Ron Edgar
venaient des Goldebriars, le premier combo de Boettcher... Doug Rhodes sortait
des Wayfairers et se souvient avoir vu la Vierge lors d'un concert des Yardbirds
avec Jeff Beck au Hullabaloo de Los Angeles. Selon lui, le groupe de
Keith Relf lévitait tellement bien qu'il jouait "du jazz"... En 1966,
les Music Machine étaient au complet et enregistraient en une demi-heure Come On In et ce fameux Talk
Talk totalement bizarre, avec sa structure syncopée et ses à-coups
brutaux... Les répétitions avaient lieu dans un vrai garage, celui de Keith
Olsen. Peu de temps après, le premier album est mis en boîte en "dix
heures", sous la direction du producteur Paul Buff.
Le contenu est typique
d'un groupe garage de l'époque: à côté des quelques compositions originales,
une tonne de reprises dont l'habituel morceau des Beatles (en
l'occurrence Taxman), See
See Rider, 96 Tears, mais également une version lente de Hey Joe, déjà popularisé en tempo rapide par les
Californiens des Leaves, particulièrement menaçante... Sauf que les deux
stars de l'album étaient Talk Talk et The People In Me, singles qui allaient atteindre
respectivement les n° 15 et 66 du Billboard... Une gloire que peu de groupes
garage ont connue.
Mais déjà, Bonniwell
commence à dérailler. Le groupe qui gagne trois francs six sous, entame des
tournées chaotiques sans la moindre logique géographique, les uns en bus Volkswagen,
Bonniwell en Cadillac. Rapidement, tout le monde estime que le leader est
manifestement taré, et c'en est fini du personnel originel de Music Machine.
Keith Olsen, Ron Edgar et Doug Rhodes filent travailler avec Curt Boettcher
pour l'excellent projet Sagittarius tandis que Bonniwell allait sortir
sous le nom de Bonniwell Music Machine les enregistrements
post-"Turn On" de son groupe. Après des années de comportement
bizarre, ce leader cintré a monté, dans les années 80, Heaven Sent,
groupe de rock chrétien, et publié un livre Beyond The Garage - la
pochette, un dessin hideux, représente Moïse, les Tables de la Loi brandies,
façon heroic fantasy - dans lequel il raconterait toute la vérité, sa vérité,
sur la scène de l'époque, tout en déployant un vocabulaire mystique de
quincaillerie digne du meilleur Raël... Personne ici n'a eu le courage de le
lire... Mais pour ce Talk Talk, phénoménal,
Bonniwell et ses boniments sont largement pardonnés...