Elvis Presley
Il est né dans un "shotgun
shack " du Vieux Sud, pauvre et profond. Une maisonnette en bois peint,
plantée sur un lopin de terre aux portes de Tupelo, Mississippi. On surnommait
ces grosses cabanes "shotgun" parce que, disait-on, une balle pouvait
la traverser de part en part sans toucher quoi que ce soit. C'est là, le 8
janvier 1935, qu'Elvis poussa son premier cri. Il n'était pas seul. Gladys, sa
mère, fille d'un métayer des champs de coton, donna également naissance à un
jumeau. Mais Jesse Garon mourut à la naissance. On sait qu'à l'âge de cinq ans
Elvis Presley prétendit entrer en communication avec Jesse Garon. Il lui
parlait le jour, l'emportait dans ses songes et priait pour lui.
Il priait auprès
de Gladys et de Vernon, son père, lui aussi métayer et fils de métayer passé
des champs de coton à ceux de maïs. Vernon avait 17 ans quand il épousa Gladys,
son aînée de quatre ans. Ensemble, ils fréquentaient la Première Assemblée de
Dieu, l'église protestante où le pasteur swinguait avec la Bible à la manière
des prêcheurs afroaméricains convertis au christianisme gospel. Depuis qu'il
est tout petit, Elvis chante. Il chante les cantiques psalmodiés comme du
rhythm'n'blues décoloré et, dans la rue, ou à l'école, les ballades country
pimentées des "Negro roots".
Telles sont les racines du rock'n'roll.
Tout un mélange de chansons mélancoliques importées d'Irlande ou d'Écosse et
revitalisées par la chaleur débridée des anciens orchestres noirs. Au début, les
esclaves chantaient leurs complaintes à l'unisson. Les batteries rappelaient
les tam-tams africains : elles étaient interdites. Puis vint le blues et le
rhythm'n'blues. Le cafard et les vieux banjos désaccordés cédaient la place à
la guitare et à la joie de renaître (ou de vivre) en musique.
Pour ses douze ans, Vernon offre à Elvis sa
première guitare. Gladys et lui sont "accro" à la country. Dans les
veines de Vernon coulent encore les eaux noires de la Clyde river (Presley est
un nom écossais), revisitées par quelques gouttes de Jack Daniel's, le whiskey
ambré du Tennessee. La famille est branchée sur WSM.
Tous les samedis déferlent sur les ondes
les grands soirs country en direct de Nashville. Entre deux publicités pour les
cruckers et les épis de maïs, Gladys se pâme à l'écoute des vocalises de Roy
Acuff. Vernon est ébloui par la virtuosité de Bill Monroe, maître du
violon et de la musique bluegrass, qui rappelle les cow-boys, les feux de camps
et l'herbe bleue du Kentucky. Puis viennent les rythmes trépidants de Hank
Snow et d'Ernest Tubb. Devant leur petit poste déjà rustique, les
Presley se croient au Grand Ole Opry, l'Opéra de la country music. Comme
des V.I.P... Ils s'en rapprochent en 1948. Cette année-là, Vernon veut
s'arracher à la pauvreté de Tupolo. Il embarque femme et fils dans sa vieille
Plymouth cuvée 1939, remplit le coffre d'un trésor de babioles d'où émerge, au
milieu d'une boîte cartonnée garnie de coton, la radio toujours rustique mais
tellement moderne. Direction Memphis et ses bidonvilles de Poplar Avenue : une
seule chambre, pas de cuisine et une salle de bains partagée par trois
familles... Au bout de la route, la pauvreté encore et toujours. Vernon devient
magasinier. Ou plutôt soutier. Son job ? Empaqueter des pots de peinture. Par
beau temps, il flirte avec les 40 dollars par semaine.
1949. La terre promise s'appelle Lauderdale
Courts. Une sorte de H.L.M., dont le slogan commercial meuble les rêves de
Vernon : " du bidonville au H.L.M. et demain à la propriété" ...
Oublié pour de bon le "shotgun shack" de Tupelo ! Elvis est inscrit à
la Humes High School. Il a quatorze ans et sa mère l'accompagne tous les
matins. Mais le soir, avec son copain Jimmy Velvet, il commence à traîner dans
les environs de Beale Street. Du Cotton Club et des boîtes de blues
montent les voix chaudes de B. B. King, de Rufus Thomas et les
accords déchirés des "guitar heroes", façon T-Bone Walker et
bientôt Muddy Waters. Delta Blues, fermiers aux poches pleines égarés
dans les salles de jeu et d'illusion, filles perdues comme des chandelles dans
les bas-fonds sont le décor de Beale Street. Mais la musique y apporte sa
magie. Derrière le boogie-woogie qui fait vibrer les muses d'ébène, il y a
toujours un petit western swing qui ramène Elvis vers les racines de la
country. Ernest Tubb, le père des Honky Tonks, ces saloons de fortune, et les Texas
Playboys partagent avec Hank Williams les faveurs d'Elvis et de ses
copains en quête d'escapade musicale.
WMPS, la plus grande station de radio de
Memphis, relaie la moindre création en provenance du moindre Honky Tonk. Les
guitares électriques font crépiter les antennes. Dans sa chambre, devant sa
glace, Elvis dégaine ses premiers déhanchements, tout aussi électriques que les
guitares. Puis il assiste, en direct et fasciné, aux talkshows de Bob Neal ( la
voix de WMPS). Neal joue à la fois la carte de la country, et celle du gospel.
Déjà, à
Cleveland, un autre discjockey découvre combien le rhythm'n'blues aimante les
jeunes. Il s'appelle Alan Freed et lance un mot nouveau à l'antenne : "
It'Il be hip n'hep, N'jive N'flip !!! I'll call it... Rock'n'roll !". Elvis
n'était pas à Cleveland, en mars 1952, quand les jeunes allumés du rock'n'roll
dévastèrent le Cleveland Arena, où Alan Freed avait monté son premier
show d'avant-garde. Un an plus tard, en 1953, un jeune Texan à l'accroche-coeur
fait un malheur à la tête d'un groupe survolté, les Comets. Il chante Crazy, Man Crazy avant d'enflammer la jeunesse avec
son fameux Rock Around The Clock. Il s'appelle Bill
Haley et passe même à la radio de Memphis. Chez Bob Neal. Et chez Elvis. Le
rock'n'roll est vraiment né. Elvis n'est encore qu'un lycéen. Sa famille est
criblée de petites dettes.
Il doit trouver du travail. Le Loew's State
Theater l'emploie comme ouvreur, mais il est vite renvoyé pour bagarre. Son
allure générale tranche sur celle des garçons de son âge. Il s'habille d'une
manière destructurée. Il a les cheveux longs et ourlés, joue d'un regard lourd
et romantique qui attire les filles. Après avoir tondu quelques pelouses du
quartier et résisté aux affronts des garçons à cheveux courts qui lui donnent
volontiers la chasse, Elvis décroche enfin un job à la Crown Electric Company,
près de Union Street. C'est dans cette rue, au numéro 706, qu'Elvis franchit
seul, en Août 1953, les portes de sa destinée.
Les studios Sun portent bien leur nom.
L'enseigne qui claque sur la façade défraîchie est un soleil. C'en est vraiment
un pour tous les petits gratteurs de guitare de Memphis. Et, pour quatre
dollars, on y enregistre ses deux chansons préférées. Elvis a quatre dollars
sur lui. Il veut faire une surprise à sa mère. Les bandes tournent. Bouche en
coeur contre le micro, il chante My Happiness
puis That's When Your Heartaches Begin, une
ballade de teen-ager à tirer les larmes. Au moment de le laisser partir, Marion
Keisker, la secrétaire à tout faire de la petite compagnie, relève, à tout
hasard, le nom et l'adresse de ce drôle et beau gosse qui chante la country à
la manière d'un bluesman.
Sam Phillips, le propriétaire, est un
inconditionnel du blues. Il lui a fallu deux ans pour accepter d'enregistrer un
groupe de hillbilly. Nous sommes en 1954. Doug Poindexter et les Starlite
Wranglers ont enfin réussi à forcer sa porte. Elvis aussi. Cédant aux
recommandations insistantes de Marion Keister, il l'associe bientôt à Scotty
Morre et Bill Black, un guitariste et un bassiste de studio. Entre eux, tout
commence mal. Black trouve qu'Elvis n'a aucun talent. Mais Philips veut y croire.
Il s'entête. Les premiers essais pour le Memphis Recording Service l'ont
convaincu. Courant juin, il leur demande de mettre en boîte Without You, un refrain sorti tout droit de la prison
d'État du Tennessee. Elvis préfère I Love You Because,
une ballade country traditionnelle d'Ernest Tubb. En attendant d'imposer son
choix, il fredonne un succès poussiéreux qu'Arthur Crudup enregistra en ...
1943 : That's All Right (Mama). Surprise,
l'interprétation décontractée emballe Sam Philips. Enthousiaste lui aussi,
Scotty Moore, ajoute sa sauce : son célèbre " fingler picking", et
Bill Black, lui même, déride sa contrebasse en tambourinant sur le bois.
5 juillet 1954. La prise est la bonne. That's All Right n'est jamais entré dans les charts,
mais il a fait décoller Elvis. Si vous tombez sur le disque n°209 du catalogue
des disques Sun, n'hésitez pas :c'est un disque historique. Un
"collector".
Avec Presley, les Studios Sun ressemblent
alors à une mine d'or. Tandis qu'Eddie Cochran, Chuck Berry, Buddy
Holly et Gene Vincent éclosent ailleurs, Memphis bâtit le trône du
futur King. Dans son sillage déferle la nouvelle vague des stars country (Johnny
Cash) et rock (Jerry Lee Lewis et Carl Perkins). Les rockers
forment ce qui restera comme la Classe 55. La cuvée de tous les talents. Avec
elle lève la génération de la Fureur de vivre (James Dean) et de l'Equipée
sauvage (Marlon Brando). Les rebelles de l'Amérique. Elvis n'échappe
évidemment pas au phénomène.
La nouvelle génération d'Américains
(blancs), en particulier les 13 millions d'adolescents qui veulent rompre avec
les habitudes de leurs parents, se reconnaît en Elvis. Thomas Andrews Parker le
remarque et fait racheter son contrat en novembre 55 par RCA pour la somme
considérable à l'époque de 35 000 dollars. Tom Parker, surnommé le
"Colonel", ancien promoteur de fêtes foraines, est un manipulateur de
génie. Entré illégalement aux USA, à la fin des années 20, il va faire d'Elvis
une énorme vedette, l'une des plus grandes du Xxè siècle, tous genres confondu.
Et il lui prendra 30% de ses gains sur le disque et 50% sur la vente des
produits et des droits dérivés en déclarant d'emblée : "Quand j'ai
rencontré Elvis, il valait un million de dollars, maintenant il possède un
million de dollars..."
Les apparitions
télé d'Elvis, filmées au-dessus de la taille à cause d'un jeu de jambes et de
hanches jugé provocant, révolutionnent l'Amérique puritaine : première le
28/1/56 sur CBS dans le Stage Show, des frères Jimmy et Tommy Dorsey.
Pour mulitplier l'impact de son poulain, Parker
s'adresse à Hollywood qui lui mitonne un scénario sur mesure pour Elvis avec un
titre universel : Love Me Tender. Il sort en avant-première, le 15
novembre 1956, au Paramount à New York. Dans ce film où passent les fantômes
gris des soldats confédérés, Elvis interprète quatre chansons. Love Me Tender devient aussitôt disque d'or. C'est
à-dire qu'il atteint le million d'exemplaires. Il en est de même avec Loving You, tiré de son deuxième film, qui sort en
1957. Gladys apparaît à l'écran. Pendant l'enregistrement télévisé de Loving You, Gladvs est assise au quatrième rang avec
Vernon. Elle se lève, bat la mesure et tape dans ses mains. Son fils, tout de
jeans vêtu, chante frénétiquement Got A Lot O'Livin'To
Do à la manière du hillbilly cat de naguère.
Un an plus tard, juste après le tournage de
King Creole, Elvis est incorporé dans l'armée sous le matricule
US53310761. Le Beatles John Lennon qui avait coutume de dire " Avant
Elvis, il n'y avait rien" ajoutera "Elvis est mort ce jour là",
ce que depuis, tous les puristes du rock admettent. Il fait ses classes à Fort
Hood au Texas. Au cours d'une permission chez lui, à Graceland, la maison de
type géorgien qui fait l'admiration de ses fans, le téléphone sonne.
C'est Vernon, il est sans voix. Il halête
entre, deux sanglots : "Heartattack". Gladys est morte. Elvis est
crucifié. Plus jamais il ne sera le même. Plus jamais il ne connaîtra la scène
de Loving You avec sa mère battant la mesure et
tapant dans ses mains en l'écoutant chanter... Chanter. Pour Elvis, c'est
évidemment son art premier. Et sa nature. Reste qu'entre Love Me Tender et
Live A Little, Love A Little, de la Twentieth Century Fox en 1956 à la
M.G.M. en 1968, Elvis tourne 28 films... Et quitte la scène. En effet, Elvis
démobilisé le 5/3/60, Parker décide de recoquérir le grand public en mettant
dans une cage dorér le rocker-rebelle des années 50. Sa carrière prend un
virage conservateur; il apparaît à la TV avec Franck Sinatra (cachet 125 000
dollars). A de rares exceptions près comme les bluesy et provocants Dirty Dirty Feeling , Such A
Night et Reconsider Baby, blues
extraordinaire de Lowell Fulson, ses chansons se font plus calmes : sa
version de Sole Mio, It's Now or Never, Fame And
Fortune, Are You Lonesome Tonight ?, Surrender, titres écrits par
Schuman-Pomus. La stratégie du colonel Parker est d'occulter le rocker devenu
crooner, dont la présence publique, de 61 à 68, va être exclusivement
discographique et filmographique. A chaque production répond un disque qui
devient vite un disque d'or.
Mais la scène. Mais le public. Mais les
fans... Ils dévorent Elvis plein écran, en prennent plein les oreilles en
empilant les vinyles millésimés sur de vieux pick-up ... Il faut attendre le
Come Back Special de 1968 pour le revoir, tout de cuir noir vêtu, à la Marlon
Brando, façon Équipée sauvge. Oui, le 3 décembre 1968, son show à
la télé sur NBC, en compagnie de S. Moore, D.J. Fontana et Charlie Hodge, est
le cadeau de Noël guetté par tous les fans-clubs d'un empire sur lequel, comme
on dit, " le soleil ne se couche jamais... ". On l'avait vu pour la
dernière fois, le 25 mars 1961 à Pearl Harbor (Hawaii), on le retrouve du 31
juillet au 28 août 1969 sur la grande scène de l'hôtel International à Las
Vegas (le futur Hilton). Après huit ans d' éclipse, Elvis réapparaît en pleine
lumière. Le show télé rôde ce retour. Il est tourné devant un parterre
privilégié d 'amateurs subjugués et de groupies électrisés sous les caméras de
NBC-TV. Elvis, légèrement hàlé, sourire non-stop, humour à la carte, interprète
20 chansons. De Don't Be Cruel , son succès de
1956, à If I Can Dream, la nouveauté
nostallique mise en scène pour Las Vegas, Elvis offre du caviar à ceux qui
n'avalaient plus que les oeufs de lump servis par Hollywood.
En 69, il
enregistre, avec le Memphis House Band, 35 titres passablement soul dont
Suspicious Mind, chanson d'amour adulte,
touchante et In The Ghetto sur l'univers des
quartiers pauvres du rêve américain. Le 31 juillet, il retrouve l'International
Hotel de La Vegas. Son nouveau groupe fait merveille : le guitariste James
Burton, le bassiste Jerry Scheff, le batteur Ronnie Tutt. Son
premier album en public, In Person At the
International Hotel, immortalise l'évènement. Après le documentaire Elvis
on Tour, il fait son retour à New York au Madison Square Garden où
il atterrit en hélicoptère devant David Bowie, John Lennon et George
Harrison; ses quatre concerts font l'objet d'un enregistrement en public.
Elvis demeure un formidable chanteur, une phénoménale bête de scène. Le public
lui revient et sa maison de disques n'hésite pas, en 70 , à commercialiser six
albums de lui.
L'année suivante, elle se surpassera avec
huit albums, dont un country. Son show télé en mondiovision, retransmis par
satellite le 14/1/73, est vu par un milliard de téléspectateurs, le double
album tiré du concert, compilation en public du amître (avec huit inédits) est
publié : Aloha From Hawaii Via Satellite
est classé N°11 aux Usa. Elvis va donner près de 300 concerts de 70 à 77, et
enregistrer d'innombrables standards pop des Beatles, de Simon and
Garfunkel, des Righteous Brothers, et quelques grands rocks : Polk Salad Annie de Tony Joe White, et See See Rider. Mais le sex-symbol des années 50 a
grossi et le niveau de sa production, de son énergie et de sa santé baisse. Il
a perdu ses illusions et divorcé le 9/10/73.
Février 1976. Son dernier disque, c'est
chez lui, à Graceland, qu'il l'a enregistré. En six jours, il a sorti From Elvis Presley Boulevard, Memphis, Tennessee.
Son dernier L.P. avant toutes les compilations post-mortem incluant la
somme de son oeuvre des premières heures (The
Sun years) où bouillonnent Heartbreak
Hotel, Love Me Tender et le fameux Blue Suede Shoes de Carl Perkins. Jusqu'au
bout, le public a vibré pour Elvis. Jamais Elvis, rebaptisé The the King
n'a quitté la scène sans recevoir une ovation debout.
Mais, le 21 juin 1977, à Rapid City, le
public n'est pas au bout de ses surprises. Saisissant sa guitare, Elvis
prévient : "Croyez-moi oui ou non, je ne connais que trois accords. Et
je les ai oublié depuis longtemps. Je vais essayer de les retouver ce soir. Au
fait, si vous me trouvez un peu nerveux, ne soyez pas surpris." Le
public s'extasie. Il croit à un gag préparé. Elvis, l'air grave, la voix
sourde, annonce qu'il va chanter , Are You Lonesome,
Tonight, un succès de 1960, de l'époque de G.I.
Blues et de It's Now Or Never. Bref, un
classique. Un de ceux qui venaient renforcer la proclamation du L.P. précédent
(" 50 millions de fans ne peuvent se tromper ") en 1959. Lourd
de tristesse, Elvis semble chercher ses mots. Il enchaîne sur un mystérieux
message : " Et puis je suis, j'étais... ", s'interrompt,
inspire longuement et s'accroche au micro comme à une bouée. Il est en
perdition. Les deux premiers couplets reviennent mécaniquement. Arrive
l'instant du fameux monologue sur lequel toutes les amoureuses en herbe ont
craqué: "Je me demande si tu es seule ce soir / tu sais,
quelqu'un a dit que le monde est une scène / Et que chacun d'entre
nous y joue un rôle... "
Et c'est le trou ! Elvis bredouille soudain
des paroles incompréhensibles. En professionnel accompli, il réussit à
dissimuler son trouble derrière un bon rire en cascade. Il avoue même : "
Et alors vient l'acte 2, j'ai oublié les paroles... ), etc. Il
bataille contre les mots, improvise une série de tirades et de fausses rimes...
Stupeur, le publie marche. Il est aux anges. A cause des rires d'Elvis, relayés
par ceux de ses choristes et de son orchestre, la salle est retournée. Elvis
s'efforce - et réussit - à donner le change. Pour le public, ce trou de mémoire
est programmé. C'est un coup de théâtre signé du colonel Parker. En fait, Elvis
est malade ! Alourdi par son mode de vie, harassé par le rythme des tournées,
dopé par les pilules magiques de ses médecins, Elvis est au bord de l'asphyxie.
Il chante encore à Cincinnati le 25 juin et, le lendemain, au Market Square
Arena d'Indianapolis. C'est là que le rideau tombe pour la dernière fois sur
les épaules du King. Un gala était prévu le 17 août 1977 à Portland, là-bas, en
pays yankee, tout au nord, dans le Maine. Mais Elvis, gosse du Vieux Sud,
enfant de Tupelo et fils de Memphis, va s'endormir à jamais au coeur de ce
Tennessee profond ...
Memphis, 16 août 1977. Elvis est trouvé
inconscient dans la salle de bains du premier étage de sa maison. Toutes
sirènes hurlantes, la puissante ambulance orange et blanc s'immobilise d'un
coup de frein brutal devant les urgences du Baptist Memorial Hospital. À la
réception, une secrétaire griffonne la fiche d'admission en faisant courir son
stylo.
Nom du patient : M. John Doe. Domicile :
3764, Elvis Presley Boulevard.
Âge : 42 ans.
Profession artiste de variétés. Téléphone
néant.
Elle aurait pu préciser : ... Situation de
famille : divorcé (de Priscilla Beaulieu), un enfant : Lisa Marie (future
ex-Mme Michael Jackson*) ... Mais alors, le monde entier aurait su que,
derrière la crise cardiaque et la ligne en rouge "pas de publicité",
cet étrange M. John Doe s'appelait... Elvis Presley.
Comme celles de J.F. Kennedy et de Martin
Luther King, sa mort bouleverse l'Amérique et le monde occidental. 76 000
personnes assistent à ses obsèques. Il est statufié. Parker annonce
laconiquement : "Ce que je vais faire après son enterrement ? Eh bien,
continuer à manger E.P." Les punks anglais Clash chantent, la même année,
"No Elvis No Beatles No Stones". Sa maison Graceland devient un lieu
de pélérinage; et comme à la fin de tous ses shows, on insiste auprès des
visiteurs pour dire qu'Elvis a déjà quitté le buiding !
Vingt ans plus tard, 16 % d'Américains
croient toujours que John Doe est vraiment mort et qu'Elvis Presley is still.
D'ailleurs, les autres (84 %) savent bien qu'Elvis ne mourra jamais... Le
colonel Tom Parker, manager légendaire d'Elvis, meurt le 21 janvier 1997 à Las Vegas,
à l'âge de 87 ans.