Techno ou pionniers du nouvel âge

 

Formé en 1970, le groupe allemand Kraftwerk est cité à juste titre comme l'influence déterminante des artistes ayant donné naissance à la Techno en tant que telle. Si l'ensemble de leur discographie a connu un succès mondial, deux disques symbolisent plus particulièrement toute l'importance du groupe dans la genèse de la Techno. Tout d'abord Autobahn, issu de l'album éponyme paru en novembre 1974, qui tout au long de ses 22 minutes expose déjà la plupart des éléments musicaux présents dans la future Techno. Ensuite, c'est l'album Trans Europe Express paru en 1977, avec lequel entrent en contact Juan Atkins, Derrick May et Kevin Saunderson par l'intermédiaire de l'émission de radio Midnight Funk présentée par Charles "The Electrifying Mojo" Johnson entre 1977 et 1980

 

A l'écoute de The Electrifying Mojo, Juan Atkins, Derrick May et Kevin Saunderson, trois amis surnommés The Belleville Three du nom de l'école secondaire où ils se sont rencontrés, sont ainsi exposés non seulement à Kraftwerk mais aussi à Giorgio Moroder, Tangerine Dream, The B-52's, Yello et bien d'autres artistes de cette grande avant-garde européenne, mais aussi à des artistes américains tels Prince ou George Clinton, ainsi qu'à l'ensemble du catalogue de la Motown.

 

 

 

 

 

Kraftwerk

1975 Radio Activity

1977 Trans Europe Express

1978 The Man Machine

 

 

 

 

 

Tangerine Dream

Phaedra

Rubycon

Stratosfear

1975 Ricochet

Cyclone

 

 

 

Au regard de l'histoire, c'est en formant le duo Cybotron que Juan Atkins synthétise l'ensemble des influences reçues de The Electrifying Mojo et crée une musique qui, si elle est encore proche de celle de Kraftwerk, prend cependant ses distances notamment par l'abandon définitif de la structure chanson (introduction / couplets / refrain...). La Techno naît symboliquement en 1985 avec la création par Juan Atkins du label indépendant Metroplex, suivi des labels Transmat (Derrick May, 1986) et KMS (1987, Kevin Saunderson).

 

Si la musique de Juan Atkins est toujours restée très cérébrale, Derrick May et Kevin Saunderson donnent à la Techno son caractère explicitement dansant et festif. Jouée lors d'émissions de radio quotidiennes ou lors de fêtes plus confidentielles dans des clubs d'écoles secondaires de Detroit, la Techno devient une musique de rassemblement et de fête mais son succès, qui reste longtemps confiné à sa ville d'origine, ne la dénature pas encore. Quelques clubs plus formels font leur apparition, notamment le Music Institute dans le centre-ville de Detroit, fondé entre autres par Derrick May. Même s'il n'a pas été d'une grande longévité, ce club a connu une renommée internationale grâce aux prestations de ses DJ mixant des nuits durant et à son bar ne servant que des jus de fruits et des smart-drink (boissons sans alcool). C'est au Music Institute qu'un Richie Hawtin par exemple fera ses premières armes.

 

Les producteurs de musique ont utilisé le terme techno de manière généralisée à partir de 1984, avec le morceau Techno City de Cybotron. Des références sporadiques à une "techno-pop" bien mal définie ont pu être trouvées dans la presse musicale vers le milieu des années 1980. Mais ce n'est qu'avec la sortie de la compilation Techno! The New Dance Sound Of Detroit sur le label Virgin en 1988 que le mot a commencé à avoir le sens officiel qu'on lui connait aujourd'hui. Cependant, on pourrait aussi allouer le crédit du terme "techno" à un DJ et propriétaire de magasin de disques allemand, DJ Talla 2XLC, qui l'utilisait déjà dans son magasin en 1982 pour désigner un genre musical. Son groupe musical, le Moskwa TV, faisait d'ailleurs partie des groupes présentés par l'émission Midnight Funk Association.

 

Rétroactivement, des œuvres telles que le morceau ShareVari de A Number Of Names (1981), les premières œuvres de Cybotron (1981), le morceau I Feel Love de Donna Summer produit par Giorgio Moroder (1977) et les morceaux dansants du répertoire de Kraftwerk (entre 1977 et 1983), ont été qualifiés de Techno, puis d'Electro en ce qui concerne A Number Of Names et Cybotron. Ces morceaux disco-électro partageaient avec la Techno une utilisation intrinsèque de rythmiques électroniques et leur popularité sur les pistes de danse.

 

Dans les années qui suivirent la sortie de la compilation Techno! The New Dance Sound Of Detroit, cette musique a été décrite par la presse de musique Dance comme le pendant House de Detroit, au son plus high-tech et plus mécanique. Car, si leurs contextes d'émergence sont distincts et autonomes, la musique Techno s'appuyait cependant sur les mêmes structures que la musique House émanant à la même époque de Chicago et de New York, bien que celle-ci ait été plus proche de la Soul, plus sobre et d'un style plus directement issu du Disco. De plus, le succès de la House hors de sa ville d'apparition fut bien plus précoce et considérable, ce qui explique que cet amalgame se soit fait au détriment de la Techno. Les producteurs de musique de l'époque, en particulier Derrick May et Kevin Saunderson, avouent avoir été fascinés par la scène de Chicago et avoir été influencés par la House en particulier. Mais, il est également évident que la musique House a subi des influences de la musique Techno.

 

 

 

 

 

 

 

OMD

2003 Architecture  Morality

 

 

 

 

 

 

 

Tangerine Dream

 

 

 

 

 

 

 

 

La musique Techno a été perçue par ses fondateurs (et par les producteurs qui commençaient à s'y intéresser) comme la cristalisation d'une certaine peur du futur post-industriel et d'une colère face à l'insécurité grandissante qu'elle engendrait. Cette philosohpie l'accompagne alors qu'elle se diffuse en Europe à la fin des années 1980, notamment à Berlin (par l'intermédiaire du Tresor) et Manchester (par l'intermédiaire de l'Haçienda) dont les contextes socio-économiques ne sont pas sans rapeler celui de Detroit. Dans un premier temps, la Techno a été mise en avant par ces clubs qui - en s'adaptant aux goûts du public dans l'organisation de leur soirées et en sélectionnant des disc-jockey qui jouaient une musique innovatrice et éclectique - ont pu offrir un environnement favorable au développement de la scène locale de cette musique de danse. Au fur et à mesure que ces clubs ont gagné en popularité, des groupes de DJ ont commencé à se rassembler et à proposer leur talent de mixeur et leur sound system (sous des noms comme Direct Drive et Audio Mix) de manière à amener un auditoire toujours grandissant à écouter leur musique. Des endroits aussi variés que des salles paroissiales, des entrepôts désaffectés, des bureaux et des auditoriums de Y.M.C.A. ont été les lieux de rassemblement d'une foule de jeunes qui a vu naître ce genre musical.

 

Il est à noter qu'à cette époque, et pendant longtemps, la musique Techno a été marginalisée par les tenants de la culture de masse américaine, en partie du fait que ses musiciens et ses producteurs étaient noirs. Les similarités historiques du courant Techno, Jazz et Rock'n'roll d'un point de vue racial ont souvent été débattues par les amateurs et les musiciens. En Angleterre et en France, la musique Techno subira aussi une certaines marginalisation pendant quelques années, la musique Techno y étant souvent associée à la délinquance. Cela aura pour conséquence l'apparition d'une frange "dure" du phénomène Techno manifestée par les Rave parties puis les Free parties. La musique Techno a d'autre part révolutionné le monde de la musique par son côté libre et anti-commercial. Jeff Mills a toujours refusé de signer sur une major et le label symbolique de la Techno de Detroit se nomme précisément Underground Resistance. Certains DJ ont souhaité faire tomber le "star-system" musical en jouant cachés de leur auditoire. Les Daft Punk ont longtemps conservé cet esprit en ne souhaitant pas apparaître dans leur vidéoclips