Neil Young

Dans l' industrie du disque on n'apprécie pas tellement ce genre de gus. Pour l'attaché de presse qui planifie les interviews, comme pour le chef de produit qui répartit les budgets, rien n'est plus redoutable, en effet, que de défendre un artiste dont on sait à l'avance qu'il pourrait anéantir leurs efforts. Juste sur un coup de tête. Un mot de travers, une question malheureuse... Lors d' une interview réalisée en 1985, Neil Young déclarait : "J'ai horreur qu'on me colle des étiquettes, qu'on m'enferme dans un truc. Je refuse d'être tel ou tel pendant très longtemps. Je ne sais pas pourquoi. J'ai besoin d'être en mouvement, de courir et de jouer de la guitare. " Intraitable cow-boy, mais dont le talent, l'intégrité et la force de caractère lui valent aujourd'hui de figurer parmi les mythes du rock, au même titre que Bob Dylan ou Bruce Springsteen.

Everybody knows...

After the gold rush

Harvest

Tonight's the night

Rust Never Sleeps

 

1969                           CD

1970                           CD

1972                         CD

1975                           CD

1979                         CD

Parmi ses inconditionnels, le réalisateur Jim Jarmusch, qui lui a consacré un documentaire - et pour lequel il a signé la B.O. de Dead Man, ainsi que Pearl Jam, avec lesquels il a enregistré Mirror Ball, en 1995. Son talent iconoclaste, ça fait trente ans que le Canadien l'exhibe, au gré d'une quarantaine d'albums et de concerts souvent très rock'n'roll. Tellement rock'n'roll que l'animal donne même l'impression d'être énervé , d'en vouloir à quelqu'un, quand il attaque les cordes de sa guitare. Cinnamon Girl, Down By The River, Southern Man, Like A Hurricane, Ocean Girl sont autant de standards qui ont marqué la mémoire collective. Et si, pour les shredders, son jeu de guitare, entre strumming entêtant et solos en single notes peut sembler basique, reste qu' il est unique en son genre, et fait ressortir des émotions pures. Des émotions qu'il a toujours tenté d'exprimer en refusant de se laisser embarquer dans tel ou tel créneau, de coller à telle ou telle image. C'est simple, Neil Young n'a pas d'image si ce n'est celle d'un artiste qui agit à sa guise. Un jour folkeux acoustique hippisant, Neil Young peut tromper son monde le lendemain, au gré d'un rock électrique enflammé, puis le surlendemain tâter des machines, avant de s'acoquiner le jour suivant avec des jeunes qui l'érigeront en Godfather of grunge. C'est ça, Neil Young : un véritable caméléon du rock.

Freedom

Ragged Glory

Harvest Moon

Sleeps with angels

Mirror Ball

Prairie Wind

1989                            CD

1990                             CD

1992                              CD

1994                              CD

1998                          CD

2005                             CD

Ce qui, bien sûr, a donné lieu à des embrouilles mémorables au cours de sa carrière. Lors du festival de Woodstock, dont la Warner entreprend de faire un film, il sera ainsi le seul à faire des difficultés, refusant catégoriquement d'apparaître sur la pellicule. "Je ne fais pas du cinéma. Je suis ici pour jouer de la musique." Presque dix ans plus tard, alors que doit paraître Comes A Time, dont l'agencement lui déplaît, il décidera tout bonnement de racheter à son label, Reprise, les deux cent mille exemplaires de l'album pour les réduire en cendres. Neil Young n'est pas seulement un musicien, il est surtout un artiste qui s'emploie à défendre son œuvre bec et ongles, quitte à se casser les dents. En effet, tout brillant et opiniâtre qu'il soit, Neil Young n'est qu'une victime impuissante face à l'industrie du disque. Et c'est celle-ci qui , le plus souvent, aura raison de lui.

En témoignent les albums sortis sans son agrément et ses déboires avec David Geffen, qui lui reproche justement son goût du changement. Têtu comme une mule (ou un mustang ?), Neil Young aura enfin été l'un des artistes les plus contestataires de son temps. N'est-ce pas lui qui évoque la désillusion du rêve américain, dénonce l'assassinat de quatre étudiants pacifistes dans l'Ohio, ainsi que les atrocités du Vietnam, et s' interroge sur les effets de la drogue ? Plus tard, après avoir donné naissance à deux enfants atteints d' infirmité cérébrale, il monte au créneau et se produit dans tous les concerts à but caritatif, que ce soit pour les Indiens, les étudiants, les fermiers, ou encore pour les enfants malades.

A cinquante-quatre ans, Neil Young apparaît donc comme l'un des derniers survivants de la "belle époque", celle qui vit émerger les nouvelles drogues, l'idée d'amour et de paix, et les rêves de révolution. Une survivance qu'il ne doit qu'à lui seul, à son talent, à son entêtement, et à son incroyable don pour surprendre son monde et gagner les faveurs d'un public qui reste jeune. Dernière surprise en date, ses retrouvailles avec Crosby, Stills & Nash, avec lesquels il a enregistré un album à paraître le 9 juillet prochain chez Warner.

Toronto-L.A. : la diagonale du succès.

Généralement associé à l'essor du folk acoustique, Neil Young, né à Toronto le 12 novembre 1945, est un enfant du rock'n'roll. Il a dix ans lorsque cette musique le prend aux tripes, via les ondes hertziennes : "Je crois que ça a commencé vers 1955, c'est là que j'ai pris conscience de ce qui .se poussait. Il y avait Maybe, des Chantels, Short Fat Fannie, de Larry Williams, Elvis Presley, Chuck Berry. Ce sont les premiers que j'aie entendus. La radin était juste à côté de mon lit et j'avais l'habitude de m'endormir en l'écoutant. "Très vite, sans doute pour pallier à sa faible constitution (il est atteint de polio en 1951 ), Neil Young empoigne un ukulélé, puis une guitare, et écume les formations. Pour l'instant, rien à voir avec le folk acoustique. Son premier véritable groupe, baptisé The Squires (qui succède aux Jades, Esquires, et Stardusters, entre autres), s'inspire des instrumentaux des Ventures et des Shadows.

Néanmoins, vers 1965, séduit par l'essor du folk et Bob Dylan, il laisse tomber la guitare électrique et s'en va faire la tournée des clubs, équipé d'une acoustique. C'est à cette époque qu'il entreprend de chanter... Et là, ça coince. Comparée à celle de Dylan, sa voix presque gémissante, est souvent jugée insupportable. 1965, c'est aussi l'année de sa rencontre avec Joni Mitchell, autre pointure de la folk music, dans un club folk de Toronto.

Mais rien n'est facile ; à cette époque, les groupes sont légions, et Neil Young rame pour décrocher des concerts. Finalement, il s'associe avec le bassiste Bruce Palmer et le chanteur et guitariste Ricky James Matthews, pour former les Minah Birds, d'obédience Rhythm & Blues. A ce stade, les choses se présentent plutôt bien, puisque le groupe, après avoir investi dans du matériel, parvient à dégoter un contrat chez Motown et enregistre son premier album. Seulement voilà, Rick James - qui n'a sans doute pas les mêmes valeurs qu'Elvis Presley - est arrêté pour désertion, ce qui met un terme soudain aux activités du groupe. Et rebelote, Palmer et Young troquent leur matos contre un corbillard, et partent pour la Californie. L'American dream... Heureuse démarche qui l'amène à retrouver Stephen Stills et Richie Furay, rencontrés au Canada. Augmenté par la suite du batteur Dewey Martin, le groupe se baptise d'abord The Herd, avant de faire une extraordinaire trouvaille. Richie Furay : "Nous étions installés sur Fountain Avenue, à Los Angeles, et des ouvriers étaient en train de refuire la chaussée. Ils utilisaient de gigantesques rouleaux-compresseurs pour l'aplatir, qui portaient une plaque du constructeur juste deux mots : Buffalo Springfield

Touchés par cette vision, ils empruntent donc leur nom au constructeur et s'embarquent dans une aventure qui durera deux ans. Carrière pour le moins éphémère, avec seulement trois albums au compteur (Buffalo Springfield, Buffalo Springfield Again et Last Time Around), ce qui suffira pourtant largement à asseoir la réputation du groupe pour les décennies à venir. Au cours de ces deux années, on voit déjà poindre à l'horizon le Neil Young du Crazy Horse avec des titres aussi corrosifs que Burden, Mr. Soul et Expecting To Fly. Ceci dit, le succès du Buffalo Springfield aura également été assorti de moult tensions (la drogue et l'alcool aidant), Neil Young multipliant les escapades jusqu'au point de non-retour.

D'ailleurs, chacun des membres du groupe ne tarde pas à trouver une suite au Buffalo Springfield : Stills s'associe en 1968 avec Crosby et Nash après avoir mis ses talents au service de Al Kooper ; Furay avec Jim Messina et Randy Meisner, pour former Poco (plus tard, il entrera dans les ordres) : et Neil Young avec le Crazy Horse.

Néanmoins, c'est avec Jack Nitzsche. flanqué de Ry Cooder, que le Canadien entame sa carrière solo et signe son premier album éponyme. Un album d' un éclectisme déroutant, qui contient aussi bien des ballades épiques (Last Trip To Tulsa) que des rock énervés (The Loner). Difficile, dans ces conditions, d'établir un profil... Neil Young lui-même sait-il de quoi l'avenir sera fait ?

Toujours est-il que vers la fin de l'année 1968, il commence à traîner ses guêtres dans un club de Los Angeles, où se produisent les Rockets. Le groupe est alors composé du guitariste Danny Whitten. du batteur Ralph Molina et du bassiste Billy Talbot. Alors qu'est-ce qui peut bien séduire Neil Young chez les Rockets. alors que celui-ci n'a d'autre ambition, après la tourmente Buffalo Springfield, que de la jouer solo? D'autant plus que ces Rockets-là sont tout sauf des requins de studio du genre Jimmy Page. Au contraire. voilà ces musiciens qui, à défaut de véritables compétences techniques. jouent avec... leurs tripes. C'est précisément ce qui enthousiasme Neil Young. dont l'une des principales dualités est sa spontanéité.

L'année suivante est incroyablement chargée pour le Loner, puisque dans la foulée de l'album éponyme sort Everybody Knows This Is Nowhere, enregistré avec les Rockets qu'il a rebaptisés Crazy Horse. Equipé d'une Les Paul datant de 1956, Neil Young semble avoir trouvé le son idéal pour asséner ses solos dépouillés mais incisifs sur des titres tels que Down By The River et Cinnanon Girl. Puis, curieusement, alors que le trio Crosby, Stills & Nash commence à faire parler de lui (il vient de sortir un excellent album éponyme), Neil Young accepte de rejoindre Stills, son ancien rival, garantissant ainsi au super groupe des concerts mémorables, entre autres, celui de Woodstock, qui permettra au passage à Neil Young de gagner les faveurs du grand public pour un prochain album, alors même qu'il refuse tout compromis avec les médias.

 D'abord sollicité pour les accompagner ,sur la tournée, Neil Young collabore finalement au deuxième album du groupe, qui s'intitule Déjà vu, qui sera l'album le plus vendu aux États-Unis cette année-là.

C'est précisément à cette époque qu'il compose Ohio, chanson qui fait référence au meurtre de quatre étudiants pacifistes sur le campus de l'université de Kent State. Conforté par le succès de Crosby, Stills, Nash & Young, mais toujours un peu Loner dans ses baskets, Neil Young sort son troisième album solo, After The Gold Rush, extraordinaire cocktail folk-rock, où ,se côtoient chansons d'amour, diatribes anti-sudistes et interrogations existentielles. Un album remarquable, qui pourtant, à l'origine, devait être éminemment plus rock. Or, revenu de tournée avec Crosby, Stills et Nash, Neil Young a découvert un Danny Whitten complètement transformé par la drogue. "A cette époque, rappelle Billy Talbot dans une interview accordée au magazine Rolling Stone, les gens commençaient tout juste à se shooter: Danny ne prenait pas de la coke, mais un jour du speed, le lendemain de l'héro, puis c'est devenu un junkie."

C'est avec un groupe de Navhville, les Stray Gators, que Neil Young enregistre l'album suivant, Harvest, Un album qui s'inscrit dans le prolongement du précédent, alternant rock et ballades, mais avec une touche mainstream. Résultat ; à sa sortie, l'album caracole en tête des charts anglais et américains, tout comme le premier single qui en est extrait, Heart Of Gold, auquel participent Linda Ronstadt et James Taylor. Désormais hissé au rang de superstar, Neil Young envisage d'effectuer une tournée monstre. Pour assurer les répétitions, il convie Danny Whitten dans son ranch, le Broken Arrow. Seulement voilà, le guitariste rythmique du Crazy Horse est loin d'avoir récupéré... Neil Young : "Il était incapable de se rappeler quoi que ce soit. Il était vraiment à la masse. Je lui ai dit de retourner à Los Angeles. Il a juste répondu : "Je n' ai nulle part où aller " Le 18 novembre 1972, Neil Young reçoit un coup de fil de L.A., lui annonçant le décès par overdose de son ami guitariste. C'est le choc, d'autant plus que son mariage avec l'actrice Carrie Snodgrass bat de l'aile. Malgré tout le Loner entame sa tournée ; une tournée qui va prendre des allures de débâcle, entre le mécontentement des roadies et celui du public, pas vraiment fan du Young acoustique.

La série noire va continuer, puisque l'année suivante, alors que sort Time Fades Away, Neil Young est confronté à un autre décès, celui de Bruce Berry. un roadie de Crosby, Stills, Nash & Young, également victime d'une overdose. Dans ce sombre contexte, il réunit alors le Crazy Horse. désormais composé de Ralph Molina, Billy Talbot, de Nils Lofgren (guitare) et de Ben Keith (steel guitare). Ambiance destroy-arrosée qui donne l'un des albums les plus noirs et les plus corrosifs de Neil Young, Tonight's The Night, au point que la Warner attendra deux ans avant de le sortir. Durant la seconde moitié des seventies, il multiplie les projets tous azimuts, sans doute pour surmonter les épreuves qu'il vient de traverser. .On le voit collaborer avec Stephen Stills sur Long May You Run, et aligner les albums: On The Beach ( 1974) , Tonight's The Night ( 1975), Zuma (1975)  qui marque l'arrivée de Frank Panch O' Sampedro comme guitariste rythmique du Crazy Horse , American Stars' n' Bars  ( 1977 ), avec le magnifique Like A Hurricane, Comes A Time  ( 1978) qui lui permet de décrocher son premier tube depuis Hear Of Gold, intitulé Lotta Love.

Plus punk que les punks, Neil Young bouscule le business et se mue en icône grunge

A la fin de la décennie, Neil Young, lui-même, continue de surprendre monde, avec Rust Never Sleeps,  album qui le situe en marge des vieux tons vilipendés par les punks. Ainsi, au No futur des Anglais, il répond par une phrase qui va résonner longtemps dans la mémoire collective : "Mieux vaut brûler que de se faner." Vénéré par les vieux et respecté par les jeunes, Neil Young atteint l'apothéose. A-t-il encore, quelque chose à prouver?... Après la parenthèse Hawks & Doves qui le voit collaborer avec le batteur du Band, Levon Helm, il retrouve le Horse pour signer  Re-ac-tor, album, 100% rock'n'roll (mais bien en deçà de Rust Never Sleeps), paru chez Reprise. Avec Trans qui marque ses début Geffen, Neil Young pousse l'iconoclasme jusqu'à s'essayer à la pop électronique. Là encore, le "loner" s'assure la sympathie du public le plus jeune ; un public qui désormais vibre au rythme de la new wave.

Les puristes considèrent cet album comme faux-pas, Neil Young se dit enchanté par cette approche : "Cette nouvelle technologie m'a ouvert tout un champs de possibilités". A ce point emballé, le novice de l'électronique qu'il va même, en vue de la tournée qui suit, reprendre certains de ses morceaux les plus légendaires pour les réactualiser.

Reste que cette détermination qu'il affiche à n'en faire qu'à sa tête lui vaut tout de même quelques soucis. D'une part parce que les ventes, si satisfaisantes soient-elles, sont bien inférieures à celles qu'il a connues avec les albums précé dents ; d'autre part parce que sa nouvelle maison de disques digère mal son côté "caméléon" et lui intente un procès pour manque de cohérence artistique. Ainsi, à  Old Ways , succèdent deux albums qui satisferont aux attentes de Geffen, Landing On water  et Life; ceux-ci marqueront la fin de la période Geffen. " Ce fut le pire épisode de ma carrière professionnelle ", déclare-t-il en 1990, " je sentais que j'étais manipulé et j'ai commencé à faire la même chose. Tout allait à l'opposé de la création. La musique était devenue une corvée. "

Pourtant, une fois chez Warner, Neil Young continue à entretenir la polémique. Notamment à l'occasion de l'album intitulé This Note's For You. En effet, non content de recruter un big blues band qu'il baptise The Blue Notes, il compose surtout une chanson acerbe à l'adresse du business, dans laquelle il fustige les sponsors ainsi que MTV. Le plus drôle dans l'histoire, c'est que malgré le refus logique de la chaîne de diffuser le clip correspondant à la chanson, Neil Young se verra tout de même décerner un Award pour le meilleur clip de l'année. Encore plus fort, en 1989, il fait l'objet d'un album-hommage, auquel participent tous les représentants de la nouvelle vague alternative, dont Sonic Youth et les Pïxies ! " Je ne suis pas encore prêt à être embaumé ", répondra-t-il dans le plus pur style Neil Young. A vrai dire. celui que l'on surnomme " le Grand-père du grunge " a encore fort à faire. Avec Freedom, album éminemment rock, puis  Ragged Glory  ( enregistré avec le Crazy Horse).

Cette fin de décennie est également marquée par une surprenante révélation. A un journaliste qui lui demande d'expliquer les raisons de sa relative discrétion au cours des années quatre-vingt il confie que ses deux enfants, pourtant issus de mariages différents, souffrent d'infirmité cérébrale. A ce stade, on comprend mieux son obstination à défendre les causes les plus diverses et son inextinguible rage.

Mais le voilà relooké grunge et plus rafraîchi que jamais, qui collabore maintenant avec Pearl Jam sur l'album Mirror Ball. Autant dire, un événement ! Mike McCready, guitariste de Pearl Jam : " Il y a plein de gens qui ignorent à quel point il assure. Dès que j'ai écouté ses albums, j'ai su que c'était un génie, mais le voir sur scène, çà m'a fait un choc ! Et plus le set avançait, plus il se dépassait. Pour des raisons de planning, Mirror Ball est enregistré dans une totale urgence. Pour preuve, la plupart des titres de l'album sont composés seulement la veille de leur enregistrement ; quant à Neil Young, il aura mis le tout en boîte en quatre jours, ni plus ni moins. Mais plus que la musique, c' est l'esprit qui confère à cette rencontre un caractère particulier, car nous voilà en présence de deux artistes qui n' ont pas manqué de se faire remarquer en fonçant tête baissée sur l' industrie musicale. Neil Young l'a fait tout au long de sa carrière, en y laissant quelques plumes ; quant à Eddie Vedder, son combat contre l'entreprise de billetterie Ticketmaster (pour faire baisser les tarifs), a aussi valu à Pearl Jam quelques déboires.

Sacrée rencontre (ou l'inverse), donc, qui marque le début d'une période faste pour Neil Young. L'animal est en effet de tous les concerts et de toutes les jams : les tournées avec Sonic Youth et Booker T & The MGs, l'anniversaire des trente ans de carrière de Bob Dylan, le Farm Aid, destiné à venir en aide aux fermiers américains, l'émission Saturday Night Live, ou encore le concert de Los Angeles en mars 1993, où il reprend Sound Of Silence avec Simon & Garfunkel. Faut dire que la sortie dans la même année de Lucky Thirteen, Harvest Moon et du Unplugged a considérablement boosté la seconde carrière du "Loner". Au point que la version débranchée de The Needle & The Damage Done fait son chemin dans les hit-parades près de trente ans après sa naissance. En 1996, toujours aussi inspiré, il retrouve le Crazy Horse pour signer l'album Broken Arrow" (c'est le titre d'une chanson du Buffalo Springfield), qui mêle une fois de plus les styles, entre rock péchus et ballades acoustiques. Le temps passe, mais semble n'avoir aucune prise sur un Neil Young, qui fait figure d'éternel adolescent et reste en mesure d'asséner des riffs et des solos décapants.

Trente ans, donc, que Neil Young bouscule les conventions, fait frémir l'industrie du disque, et joue sa musique en véritable tête de mule. Du talent, de l'obstination et de justes combats, il n'en fallait pas plus pour s'assurer la sympathie d'un public qui rassemble plusieurs générations. R.E.M , Nirvana, Pearl Jam, Radiohead sont autant de groupes qui ont revendiqué l'influence du "Loner" au cours de la décennie. " Les gens de mon âge ne font pas ce que je fais", chantait-il sur Mirror Ball . Il ne suffit pas en effet, pour séduire les jeunes, de chausser les écrase-merde dernier cri et d'enfiler un jean savamment délabré , encore faut-il rester créatif, même quand on a des centaines de chansons (dont des dizaines de tubes) derrière soi et parvenir à enflammer des salles, où se rend un public toujours plus exigeant. C'est précisément le cas de Neil Young, dont les prestations scéniques sont souvent des moments d' anthologie. Trépignant constamment comme s'il allait piquer une grosse colère, le buste replié sur le corps de sa guitare, il joue parfois plus punk que les punks, mais sait aussi bien distiller des ballades profondément lyriques. Par dessus tout, c'est son caractère imprévisible qui le rend si sympathique. Voilà enfin un artiste qui, malgré les pressions de la music industry, a souvent surpris son monde, en allant fouiner là où, justement, personne ne l'attendait, parfois en se retirant -pour prendre soin de sa famille. Oscillant entre folk et rock, entre punk et grunge, Neil Young est, au même titre que Dylan, l'un des artistes les plus complets et les plus audacieux de l'histoire du rock. Ne s'est-il pas attiré, comme ce dernier à Newport ( 1965) lors de son virage électrique, les foudres du public, quand il entama son set acoustique au cours de la tournée 1972 . Chacun y allant désormais de son album-souvenir ou de son  Best Of , il semble donc tout à fait légitime que la Warner consacre à ce géant de l'histoire du rock une gigantesque rétrospective. Celle-ci comprendra 32 CD, dont la parution par coffrets de huit, devrait s'étaler sur trois ans (jusqu'à 2001).

En guise d'apéro, pour fêter les trente ans de carrière de Neil Young, un premier coffret échouera dans les bacs à l'automne, composé de quatre CD studio (correspondant aux trois premiers albums solo) et de quatre autres live. Et si jamais vous n'étiez pas en mesure de patienter jusque là (quand on est fan de Neil, on l'est jusqu'au bout), vous pouvez toujours jeter une oreille, sur Looking Forward, le prochain Crosby, Stills, Nash & Young, à paraître en octobre 99 chez Warner. Vous pourrez é galement vous procurer  No Boundaries  album réalisé à l'initiative de Pearl Jam (encore eux) et destiné à venir en aide aux réfugiés kosovars. Y participent en effet Rage Against The Machine, Korn, Black Sabbath, Oasis, Silverchair, Jamiroquai, Ben Folds Five et, bien sûr... Neil Young. On aurait été surpris, à vrai dire, de ne pas y voir figurer son nom.