Natacha
Atlas
Natacha Atlas (son véritable nom) est né le 20 mars 1964 à
Bruxelles, mais ses origines familiales et ancestrales lui viennent d’Egypte,
de Palestine et du Maroc. Son père, un juif originaire de Jerusalem, était venu
étudier le commerce dans les années 60 à Northampton (dans un comté au nord de
Londres) afin de diriger une entreprise familiale de chaussures. Là, il avait
la connaissance d'une Anglaise étudiante en art très marquée, comme lui, par le
courant hippie. Le couple décide de s'insatller à Bruxelles, mais divorce
rapidement. La jeune Natacha, qui parle le français, grandit avec sa mère dans
un quartier arabe de la ville. Elle suit un cours de danse du ventre à
Bruxelles et des cours de théorie de musique arabe avec le compositeur et
joueur de oûd (le luth égyptien) Essam Rashad, un ami de la famille.
Elle quitte ensuite la Belgique avec sa mère qui retourne se
fixer à Northampton. Là, elle essaie de chanter du jazz et du rock, participant
même à un groupe punk. Elle ambitionne alors de devenir comédienne de théâtre.
Elle s'insatlle à Londres où elle fait, en 1991, la connaissance du musicien Jah
Wobble (ancien membre du Public Image Limited) qui l'invite à
chanter pour la première fois en arabe au sein de son collectif Invaders of
The Heart. Elle retravaillera en 2002 avec Wobble sur l’album Shout at the devil.
Elle fait ensuite la connaissance de Transglobal Underground
, le collectif multiculturel londonien qui, en mixant de l’electronica , du
dub, du hip-hop et du funk avec des influences et formes musicales indiennes,
orientales et africaines, fut et reste l’un des modèles significatifs pour la
scène World - Dance mondiale. Leur rencontre déboucha sur une active et joyeuse
association. Sa première apparition en tant qu’invité du groupe date de 1991.
En 1993 elle devient un membre à part entière du quartet de cœur de
Transglobal, comme chanteuse leader et danseuse du ventre.
En 1995, Tim Whelan , Hamid Mantu et Nick Page (aka Count
Dubulah maintenant avec Temple of sound) l’aident à réaliser son premier album
solo, Diaspora, sur Beggars Banquet / Mantra (comme d’ailleurs tous ses
albums solo), album qui combinait l’approche dubby et dansante des structures
chères à Transglobal avec l’aspect traditionnel du travail des musiciens
arabes. Le résultat est une collection de chansons d’amour et nostalgiques
acclamée par la critique. En parallèle au succès de ses albums solo, elle
demeurera un membre permanent de Transglobal, qui d’ailleurs devint son groupe
pour la scène jusqu'à ce qu’ils quittent le label Nation en 1999, tout en
demeurant les alliés privilégiés de toute sa carrière ultérieure.
Suivent en 1997 l’album Halim, puis Gedida en 1999, l’un et l’autre fusionnant intelligemment et
naturellement les styles orientaux et européens, réjouissant l’auditoire
croissant dans chacun des territoires. En 2000, le premier album de remix The
Remix Collection débarque dans les bacs. Les morceaux originaux proviennent
de ses trois premiers albums et les remixeurs sont entre autres Talvin Singh,
Banco De Gaïa, Youth, 16B, Klute, The Bullitnuts, TJ Rehmi, Spooky et
Transglobal.
Suit en 2001 le quatrième album de Natacha Yestheni. Il
illustre parfaitement au travers de ses morceaux majoritairement en anglais et
plus particulièrement via sa reprise de I put a spell on you de Screamin Jay Hawkings, comment Natacha peut
insuffler une certaine lumière et une nouvelle vie à de grands classiques.
Quant à lui, l’album Foretold
In The Language, un
projet de Natacha Atlas et Marc Eagleton sorti en 2002, fut un véritable
revirement. En effet, il s’agit d’un album calme et scintillant aux rythmiques
très épurées, où les musiciens impliqués étaient légèrement moins nombreux que
d’habitude , incluant tout de même le maître syrien du qanun Abdullah
Chhaded, avec lequel Natacha s’est d’ailleurs mariée en 1999.
Outre ses projets personnels, Natacha est souvent sollicitée comme chanteuse
dans différents projets scéniques ou studios, par un large éventail d’artiste
incluant Nitin Sawhney, Jocelyn Pook, The Indigo Girls, Fundamental, Ghostland,
Abdel Ali Slimani, Toires, Musafir, Sawt El Atlas, Franco Battiato, Juno
Reactor, Dhol Foundation, Jah Wobble, Jaz Coleman, Apache indian (sur le tube Arranged Marriage), Mick Karn, pour ne pas tous les
citer. On citera également sa prestation lors du spectacle de Jean-Michel Jarre
aux pyramides pour la nuit du Millénaire, sa participation à la bande originale
du nouveau film de Jonathan Demme The Truth About Charlie, et ses
collaborations aux b.o des films de David Arnold Stargate et Die
Another Day.
Nous sommes maintenant en 2003 et le nouvel album de Natacha
Atlas Something
Dangerous s’apprête à
débarquer dans les bacs. Avec cet album, Natacha passe directement de ses
influences orientales au cœur de la pop Anglaise actuelle, partant des
directions aussi diverses que la dance , le rap, la drum’n’bass, le R&B,
l’hindi pop, la musique de film et la chanson française. Le succès de sa
précédente réalisation , tant en orient qu’en occident , incluant même un
classement dans le top ten en France , a démontré comment la mixité musicale de
styles soit disant antithétiques pouvait être attractif pour les gens. Les
balancements exotiques arabisants, les rythmes et les textures sonores ouvrent
de nouveaux horizons à la pop 4/4 qui tourne un peu en rond. De plus cela crée
des possibilités de connections et de communications pour la vaste et
diversifiée scène musicale orientale.
En France, il y avait déjà eu des signes avant-coureur du phénomène Natacha
Atlas. Effectivement les succès énormes du chanteur raï Khaled ainsi que
d’autres, le classement dans le top dix de la reprise arabisante de « mon Amie
la Rose » par Natacha Atlas (qui gagna d’ailleurs la Victoire de la Musique de
la meilleure chanteuse)… Tout cela laissait entrevoir que plus la séparation
avec le style traditionnel serait grande, plus de ponts seraient jetés entre
les différentes cultures. Comme le déclarât l’ex-président de l’Irlande mary
Robinson, qui nomma Natacha Atlas ambassadrice de la conférence des Nations
Unies contre le racisme : "Elle incarne le message d’une force contenue
dans la diversité, ainsi que la preuve que nos différences -qu’elles soient
ethniques , raciales ou religieuses- sont pour nous une source de richesse à
embrasser plutôt qu’à fuir".
Something Dangerous ne se contente pas seulement de
visiter plus de styles que par le passé, il marque également l’arrivée pour la
première fois sur un album de Natacha Atlas d’autres chanteuses sur certains
morceaux. De plus, beaucoup plus de morceaux qu’à l‘accoutumé sont chantés en
anglais. Mais ce n’est pour autant un abandon de l’Arabe ; elle adopte et
combine les deux langages aussi bien que l’hindi et le français. Le titre
d’ouverture Adam’s
Lullaby arrive telle une surprise. Il s’agit d’une
collaboration avec la compositrice anglaise Jocelyn Pook (qui , parmi d’autres
choses , a réalisé la b.o du film de Stanley Kubrick Eyes Wide Shut). Les vocaux arabiques et luxuriants de
Natacha sont admirablement portés par l’orchestration classique et occidentale
de Pook pour l’orchestre symphonique de Prague. Mais l’inattendu patois
jamaïcain sur l’ouverture de Eye
Of The Duck annonce
clairement que l’on a affaire là à un album aux multiples facettes et
contrastes. Le style indo-occidental de Princess Julianna et du barde Tuup de
Transglobal Underground ponctue la ligne sinueuse et arabisante de Natacha,
opposée à des riffs de violons typiques de l’Est et aux ondes de l’orgue du
clavier egyptien Gamal Awad’s « Gem Oriental ». Julianna, qui rencontra Natacha
Atlas lorsqu’elles étaient ensemble chanteuses au sein de Temple Of Sound,
figure en duo sur le titre « Something Dangerous ». Son break rap et r&b
contraste avec l’improvisation fragile et sensuelle en mawaal de Natacha. Elle
apparaît aussi sur le titre « Just Like a Dream », mené par le viscéral qanun
(cithare arabe) du maître syrien Abdullah Chhadeh et les velouteuses, presque
mariachi, tournures de l’un des plus fins trompettistes shaabi egyptiens, Sami
El Babli, récemment décédé dans un accident de voiture ; le titre lui est
d’ailleurs dédicacé. Ces deux titres, ainsi que « Eye Of The Duck » et « Layali
», sont produits et co-écrits par le producteur de Jamiroquai et Underworld,
Mike Nielsen.
Natacha Atlas et Sinead O’Connor, ont dernièrement enregistré ensemble sur
l’album Ghostland de John Reynold, Justin Adam et
Caroline Dale ; elles s’y échangent des aphorismes sur Simple Heart, Sinead menant la ligne
introspective et accrocheuse du morceau. Il a été co-écrit et produit par
Reynolds, le pattern construit autour du sample impertinent et haché de guitare
est réalisé par Adams, qui comme Reynolds et Atlas est un ex-Invader Of The
Heart, profondément engagé dans la fusion musicale entre le Maghreb et
l’occident au travers de ses travaux avec Lo Jo et Robert Plant ainsi que son
groupe Wayward Sheikhs.
Le titre Janamaaan, avec son riff entêtant de bhangra ,
son gimmick vif de techno et son petit côté comédie musicale style Hollywood,
porté par les vocaux Hindi de Natacha , Kalia et du joueur de tabla Inder
Goldfinger, est basé sur une co-composition jamais réalisée datant des années
où Natacha était la chanteuse la chanteuse de Transglobal. La magnifique
version du classique de James Brown et Betty Newcombe This’s a Man World, chantée ici par une femme, prend une
inclinaison ironique. Elle formule d’ailleurs l’ultime repositionnement
contextuel en se lançant, vers la fin du morceau, dans une vocalise débridée en
mawaal. Le style épique des arrangements pourrait laisser croire à une
collaboration entre Natacha Atlas et le compositeur des musiques de film de
James Bond, David Arnold, mais en fait ils ont été réalisé par Count Dubulah de
Temple Of Sound et Neel Sparkes. When I Close My Eyes est produit et co-écrit par Brian Higgins , L’homme
largement responsable des tubes Round Round des Sugarbabes et Believe de Cher. Sur le titre Who’s My Baby c’est la
chanteuse du groupe Cinematic Orchestra, Niara Scarlett qui accompagne avec son
chant pop la voix arabique de Natacha.
La basse profonde et massive de Jah Wobble place les bases du morceau This Realm, titre co-écrit par Natacha, Wobble et Andy Gray (à qui
l’on doit également la co-écriture et la produiction des morceaux Daymalhum et Like The Last Drop). La tranquillité habituelle ne se trouve finalement que
sur la fin de l’album. Des réminiscences de Foretold in the Language of Dreams ponctuent l’album, comme l’ambiance
suave et légère du morceau en français Le Printemps ,co-écrit et produit par le producteur
trance Paul Caste. Mais comme un dernier sursaut , La sérénité crépusculaire de
la ligne de chant ragga qui ouvre le titre final Like The Last Drop, est insidieusement envahi par des beats electro qui
transforme graduellement le morceau en une vision urbaine et oppressive avec
par dessus l’envolée vocale de Natacha.
Something Dangerous est un album bien nommé. Natacha y
prend tous les risques, repoussant sans cesse ses limites et la palette de sa
diversité musicale. Le résultat aurait pu cruellement manquer d’unité… Il n’en
est rien. Comme tous les grands disques, c’est dans l’audace que le sublime
s’inscrit.
Pour qui a connu la furie sonore du groupe Transglobal
Underground, où Natacha fit ses premières armes, et suivi la carrière solo
de la diva égypto-belge, ce nouvel album a de quoi déconcerter. Cet album est
plus lent (Adam’s
lullaby, qui
l’ouvre évoque Craig Armstrong) et plus mainstream que les précédents.
Après I put a
spell on you pour les
besoins du film Intervention divine, elle s’attaque à Man’s world de James Brown, invite Sinead
O Conor, et interprète une chanson en français, Quand je ferme les yeux. Sûrement une astuce pour passer en
radio grâce aux fameux quotas inventés par le ministre de la Culture (arf
arf)... Jacques Toubon. Cet album est aussi plus électronique (Daymalhum) et ses invités vocaux le font parfois dévier... vers le
dub (quand il s’agit d’un homme) ou le RnB (quand il s’agit d’une femme, comme Niara
Scarlett sur Who’s my
baby). Déconcerté certes,
mais toujours apprécié.
Avec Ana Hina, publié en 2008, la vocaliste surdouée
fait à nouveau se rejoindre les extrémités du monde arabe et du monde
occidental dans une série de morceaux dont la qualité rythmique, alliée à la
voix exceptionnelle, vole très haut. Force est de reconnaître que ce disque, à
la fois accessible et virtuose, rend son discours plus universel, et va plus
loin que les précédents. On sent la dualité de l'artiste, le va-et-vient entre
les cultures occidentales et orientales, mais également le déchirement
lorsqu'elle passe de l'une à l'autre.
Mademoiselle Atlas feuillette en chansons
son livre de souvenirs, de ces mélodies glanées en Turquie, en Egypte ou à
Londres, et qui l’ont toutes cons-truite. Elle offre ainsi une visite au
royaume des merveilles de Faruz (diva égyptienne), et rend hommage à Nina
Simone (grâce à une version toute en retenue de Black
Is the Colour ).
Ses propres chansons dressent par ailleurs
une galerie de personnages mythiques (comme cette évocation de Frida Kahlo,
épouse du peintre mexicain Diego Rivera) ou humbles, qui ont, tous, construit
notre histoire. Epaulée dans son entreprise par le Britannique Harvey Brough
(producteur curieux, et…ancien membre du Chœur de la cathédrale de Coventry),
la chanteuse est entourée ici d’une amicale brigade internationale, rassemblant
le percussionniste égyptien Aly el Minyawi, le contrebassiste écossais Andy
Hamill, et la Catalane à la voix en apesanteur Clara Sanabras. Dans
cet album, Orient et Occident se retrouvent enfin, et de la plus tendre et
talentueuse manière.