Lili Boniche
Elie
Boniche est né en 1921 dans une venelle
de la basse casbah d’Alger, de modestes parents juifs originaires d’Akbou (
Petite-Kabylie). Son père, mélomane et bon joueur de mandole, a toujours encouragé
les dispositions musicales de son fils en le faisant admettre, dès l’âge de dix
ans, comme élève par Saoud l’Oranais, maître du hawzi, un des dérivés
populaires de la musique classique arabo-andalouse tel qu’il est pratiqué à
Tlemcen et dans la capitale algérienne. Lili Boniche assimile alors ce
répertoire difficile et se familiarise avec le luth. Ensuite, il quitte Saoud
pour s'initier au classique pur au sein des écoles de musique « Moutribia » et
« al-Moussilia ». D’ores et déjà considéré comme un jeune prodige, il fait
vivre sa famille en se produisant dans les fêtes familiales.
Il a quinze ans et demi quand M. Azrou, directeur de
Radio-Alger, lui confie une émission hebdomadaire consacrée au hawzi et
au répertoire classique. Les amateurs voient en lui un grand espoir de la
musique traditionnelle algérienne, mais Lili Boniche décide de moderniser son
style, convaincu que son public a de plus en plus de mal à suivre les
compositions traditionnelles.
Porté
par son succès naissant, le jeune Lili Boniche compose chanson sur chanson et
les interprète en direct à l'antenne : "Elles me venaient comme ça, sans
réfléchir " raconte-t-il. Peu à peu, il crée un style (typique de la
musique populaire algéroise) où se mélangent flamenco, arabo-andalou, paso doble,
mambo et tradition juive. Il devient une star à Alger.
Dans
les années cinquante, il rencontre une comtesse : "Elle était belle, riche
et folle de moi", se souvient-il en souriant ; il l'épouse illico. La
version officielle veut que la belle ait été terriblement jalouse de toutes les
femmes (à l'époque, on ne disait pas encore les "groupies") qui
tournaient autour de son chanteur de charme et ait obligé le crooner d'Alger à
raccrocher. Mais on murmure que l'étoile de Lili Boniche commençait à faiblir et
qu'il a préféré se reconvertir dans les affaires pour assurer son avenir.
Jusqu'en 1962, il gère quatre des plus beaux cinémas d'Alger.
Après
l'indépendance, Il ouvre à Paris un restaurant -avec succès- puis
se reconvertit en représentant de matériel de bureaux. Comme tous ceux qui ont
tout perdu au moins une fois dans leur vie, il évoque tout ceci sans fausse
honte, avec même une once de regret et de fierté. "C'est la vie,
sourit-il". Mais le démon de la scène ne l'a pas quitté et il se produit
constamment dans les mariages et les barmitsva (équivalent des premières
communions chrétiennes).
Aux débuts des
années 90, toute une génération de réalisateurs redécouvrent ses chansons et
les utilisent dans les bandes sonores de leurs films. Le Grand Pardon, La
vérité si je mens, Mémoires d'immigrés : à travers le cinéma, Lili
Boniche retrouve les lettres de noblesse que sa comtesse l'avait contraint à
abandonner. Roger Hanin l'invite à chanter au
mariage de sa fille en lui disant : "Tonton veut t'écouter, m'a-t-il dit,
alors je t'attends chez moi au Trocadéro, il y a deux salons, un pour les
invités, un pour nous trois. ". Le
président Mitterrand lui demandera Viens, viens dans mes bras, On m'appelle l'Oriental, un tango
et un flamenco. "Pour ces quatre chansons, je l'ai tenu pendant une heure
! Et puis, il s'est levé, que Dieu le repose, le pauvre, et il m'a embrassé,
heureux comme tout ! “, racontait Lili Boniche dans Télérama.
En
1998, il sort un album intitulé Alger, Alger
produit par… le patron d'une maison de couture. Le succès est mitigé mais
l'américain Bill Laswell reprend la production et la machine repart. Un concert
plus ou moins privé à l'Elysée-Montmartre (célèbre salle parisienne, plus
dévolue au rock'n roll qu'à la romance), une prestation mémorable lors des
Belles Nuits du Ramadan… et l'histoire reprend, comme si le conteur reprenait
sa lecture exactement là où il l'avait laissée. A l'aube de ses 70 ans, Lili
Boniche peut se targuer d'avoir rempli l'Olympia, de rassembler un public qui
va bien au-delà de la communauté juive et de faire danser différentes
générations de juifs, de catholiques et de musulmans qui tanguent en cadence,
unis par la musique d'un crooner oriental aux allures de rocker suranné.
Il contestait l'appellation judéo-arabe
: "Est-ce qu'on dit d'un musicien musulman qu'il joue de la musique
islamo-arabe ? Je joue de la musique arabe, un point c'est tout". Pour
autant, il n'aura jamais pu chanter en Algérie après l'indépendance en 1962.
Une page s'était tournée en 1962. Le livre s'est refermé le 6 mars 2008.