Reinette l’Oranaise
Sultana
Daoud est née en 1918 à Tiaret, dans le sud-ouest algérien. Son père est un
rabbin d'origine marocaine. A l'âge de deux ans, la petite fille devient
aveugle à la suite d'une variole mal soignée. Après avoir séjourné quelque
temps dans une institution pour non voyants, elle revient chez ses parents.
Pour s'occuper, elle apprend à canner des chaises, mais sa mère désire qu'elle
s'initie à autre chose pour égayer sa vie, et pourquoi pas à la musique ? La mère
de Sultana s'adresse à Saoud Médioni, dit l'Oranais, chanteur et
violoniste de musique arabo-andalouse. Elle lui demande s'il peut apprendre à
sa fille à jouer d'un instrument. Il lui apprendra bien plus. C'est lui qui la
surnomme Reinette ; plus tard, elle deviendra " oranaise " comme lui.
Il l'aide à développer sa voix, lui enseigne le luth et la mandoline et la fait
débuter comme chanteuse dans le café qu'il tient dans le quartier juif d'Oran.
Ils enregistrent un premier 78 tours et se produisent pendant une dizaine
d'années à travers l'Algérie, animant des fêtes juives familiales et
traditionnelles. En 1938, Saoud Médioni quitte l'Algérie pour ouvrir un café
musical à Paris. Reinette le suit quelque temps, mais elle préfère retourner
rapidement dans son pays. Son maître reste en France et ne survivra pas à la
guerre : arrêté lors d'une rafle à Marseille où il s'était réfugié, Saoud
Médioni est déporté en Allemagne d'où il ne reviendra pas.
De
retour en Algérie, Reinette poursuit sa carrière et devient une des grandes
chanteuses de son pays aux côtés, notamment, de sa coreligionnaire
constantinoise, Alice Fitoussi. Au cours d'une fête qu'elle était venue
animer, Reinette rencontre son futur époux, le violoniste Georges Layani.
Celui qu'elle appelle affectueusement " mes yeux ", va être aussi son
accompagnateur au violon et surtout à la derbouka, un tambour fait d'une peau
tendue sur un tuyau de terre cuite. Interprète et luthiste, Reinette l'Oranaise
se veut aussi une gardienne fidèle des traditions musicales judéo et
arabo-andalouses. Elle s'applique tout au long de sa vie à recueillir et à
transcrire en braille ces chants traditionnels. Pour interpréter des textes du
répertoire classique, elle apprend l'arabe littéraire Elle intègre l'orchestre
de Mohammed Al-Anka avec lequel elle participe régulièrement à des
concerts diffusés par Radio Alger.
Comme
plus de cent mille de ses coreligionnaires, la guerre d'Algérie la pousse à
rejoindre la France. Dès 1961, Reinette et son époux s'installent à
Romainville, en région parisienne. Elle se produit dans des fêtes et
manifestations de la communauté juive française, mais il faudra attendre près
d'une vingtaine d'années pour qu'un public plus large l'apprécie. Dans les
années 1980, l'admiration de ses fidèles la fait revenir sur scène. Maurice
Haddad, fin connaisseur parisien de musique andalouse, et Hoummous, journaliste
à Libération, contribuent activement à ce retour. Entourée de musiciens juifs
et arabes, avec notamment Mustapha Skandrani au piano, Reinette se produit
dans les grandes salles parisiennes de la Bastille, du Bataclan et de
l'Olympia. Elle est invitée à la télévision et sa notoriété s'étend à l'Espagne
et à l'Angleterre.
En
1989, elle est nommée Commandeur des Arts et des Lettres. Elle reçoit, en 1995,
le prix de l'Académie Charles-Cros pour son album Mémoires dans lequel elle interprète
cinq titres du répertoire judéo-arabe classique en s'accompagnant au luth.
Trois ans après la remise de ce prix prestigieux, Reinette l'Oranaise meurt à
Paris, le 17 novembre 1998 à l'âge de quatre-vingt ans. Elle repose au
cimetière israélite de Pantin.
En
1991, Jacqueline Gozlan lui avait consacré un documentaire : Reinette
l'Oranaise. Le port des amours. Reinette y déclarait : " Je suis à peu
près la dernière à être restée et je ferai tout ce qui dépend de moi toute ma
vie pour protéger et agrémenter cette musique jusqu'à mon dernier souffle.
" Elle a tenu parole et a servi la musique andalouse juive et arabe
jusqu'à ses derniers jours.