Tinariwen
Le Mali, avec Bamako pour
capitale, est un des pays les plus pauvres d'Afrique. Ce pays d'Afrique de
l'Ouest d'une superficie de 1,2 millions de km² est un des cinq pays dans
lesquels vivent les Touaregs. La plupart des Africains noirs du peuple malien,
les Bambaras et les Songhaïs, vivent au sud le long des fleuves et pratiquent
l'agriculture. Les deux-tiers de cet immense pays fait partie des régions
désertiques et semi-désertiques au nord desquelles vivent, comme nomades et
semi-nomades, les Touaregs à la peau claire et les Maures, appelés aussi
"les Maliens blancs". Ils ne représentent environ que 6% de la
population totale et se concentrent dans les régions de Tombouctou, Kidal et
Gao.
En 1990, un massacre des Touaregs
au Niger conduisit à une révolte armée qui s'étendit rapidement au Mali. Les
terribles sécheresses des années 1974 et 1984 durant lesquelles les nomades
perdirent une grande partie de leurs troupeaux et ainsi leur seule base de
subsistance furent à l'origine de ce conflit. Plusieurs milliers d'entre eux
moururent de faim, de nombreux autres fuirent la misère dans les pays voisins.
L'aide alimentaire promise par l'étranger disparut dans les poches des
politiciens corrompus et réapparut sur les marchés du sud. Presque tous les
postes administratifs et politiques importants sont occupés par les Bambaras et
les Songhaïs, à la suite du refus des Touaregs de donner à leurs enfants une
formation scolaire, Au lieu de cela, pendant la période coloniale ils envoyèrent
à l'école les enfants de leurs anciens esclaves, les Noirs. Ce qui leur assura
par la suite un avantage décisif.
La guerre civile du Mali,
provoquée en première ligne par le non développement sciemment et
intentionnellement voulu par le Nord, la destruction des troupeaux par les
sécheresses, l'inégalité sociale et la répression gouvernementale, dura cinq
ans et laissa derrière elle une, terre dévastée. Des centaines de milliers
fuirent la violence en Algérie, au Burkina Faso et en Mauritanie où ils
végétèrent dans des conditions épouvantables. C'est seulement sous le Président
Konaré que les buts du traité de paix se concrétisèrent et semblent
actuellement assurés au Mali. Les réfugiés sont retournés en grande partie dans
leur pays d'origine, les anciens rebelles ont été intégrés à l'armée régulière
et l'infrastructure été rétablie (protection médicale, constructions de
fontaines, d'écoles, reconstitution des terres cultivables et du cheptel). Les
Touaregs eux-mêmes se tournent de plus en plus vers l'agriculture, ils
s'associent à des coopératives et ouvrent des commerces au moyen depetits
crédits. Et cependant, comme depuis des siècles, une partie d'entre eux voyage
de nouveau à travers le désert.
Tinariwen est le produit de ce monde, né de la
prouesse d'une langue chantée et du verdict des armes ; aussi sûrement
qu'il est le reflet de son effondrement.Avant Tinariwen, la notion de groupe
musical n'existait même pas. Seules des ensembles ponctuels s'organisaient à la
faveur des réjouissances coutumières dans les campements ou les oasis. La
structure de base de ce qui s'appelait à l'origine Taghreft Tinariwen ("le
groupe des déserts") fut le commando. C'est en effet dans un camp militaire
libyen ouvert par le colonel Kadhafi pour accueillir et entraîner les réfugiés
des pays voisins que se sont rencontrés les musiciens.
Keddu,
Ibrahim, Enteyeden et Mohammed dit "japonais", étaient à l'époque
sous le commandement d'Iyad Ag Ghali, chef du Mouvement Populaire de l'Azawad
luttant pour l'émancipation politique de la zone septentrionale du Mali. Ce
même Iyad Ag Ghali ira jusqu'à financer le matériel du groupe, utilisant en
contre partie certaines de leurs chansons comme outils de propagande pendant la
rébellion des années 90. L'exil avait réuni dans les confins du désert ces
jeunes gens originaires de Kidal, capitale administrative de la région de
l'Adrar. La musique soudera leurs talents. Enfant, Ibrahim avait quitté le Mali
quand son père chargé de ravitailler en munition les maquis, fut abattu par les
soldats.
Les autres s'étaient enrôlés dans
l'armée autant par conviction que par désœuvrement. Cette condition
d'exilés-désœuvrés leur vaudra le nom d'ichoumar ; dérivé de
chômeur le mot deviendra à force une sorte de marqueur métaphysique pour un
style de chansons où l'être ne cesse de le disputer au néant. Car après le
traité de paix, le retour au pays se révèlera si décevant que les Tinariwen
consentirent à rendre leurs armes, mais pas leurs guitares. Depuis ces temps
inauguraux, les choses ont bien changé. Keddu est parti s'installer de l'autre
côté de la frontière algérienne. Enteyeden est mort d'un cancer de la gorge.
Ibrahim préside désormais aux destinées de la tribu. À ses côtés on retrouve
les fidèles lieutenants : Hassan, présent dès la fin des années 70 quand
la petite troupe cherchait un point d'ancrage entre Tamanrasset et la
Libye ; et Abdallah qui apporte sa touche personnelle et contrastée, plus
romantique et contemplative. Japonais continue d'y faire des allers-retours.
Mina et Wounnou en sont devenues l'indispensable objection féminine. Quant aux
plus jeunes, Eyadou, Said et Elaga, ils complètent cette fratrie qui, née dans
l'exil, a survécu dans l'instabilité.
Après
un discret premier album réalisé à l'énergie solaire dans les locaux de radio
Tisdas, la station de Kidal, Amassakoul immobilise
enfin cette musique de l'errance. Ces onze chansons mêlent le rythme envoûtant
et la parole émouvante.
Toutes
possèdent cette texture de l'essentiel. Toutes sont le fruit d'une détresse,
d'une espérance, que dépasse celui qui l'exprime pour mieux en restituer une
valeur propre à l'ensemble de la communauté. Chacune témoigne d'une part de vie
singulière et commune à tous. Dans Arouane,
Abdallah jette les bases du rap tamacheq pour nous dire combien le désert gagne
peu à peu, jusqu'à l'intérieur des individus, jusqu'à recouvrir leur existence.
Dans Oualahila Ar Tesninam, authentique rock'n'roll saharien,
Ibrahim retrouve les accents de l'insurgé pour appeler à la seule révolte –
celle de l'individu ensablé dans l'apathie et l'indifférence – qui aujourd'hui
vaille la peine.
Et
dans Tenere Dafeo
Nikchan,
bouleversante psalmodie accompagnée au tindé, à la flûte t'zamârt et à la
guitare, il nous fait ressentir, à fleur de peau, ce qu'est l'äsouf,
solitude au sens physique et moral qui irrigue toute cette poésie des dunes.
Comme habité par la présence des camarades tombés au combat, des amis disparus,
des amours enfouis, ce moment, comme bien d'autres sur ce disque, nous rend
joyeux d'être triste. Et laisse en suspens ces questions. L'âme des guerriers
connaît-elle la paix quand cesse l'aboiement des armes ? Les rêves du
combattant lui sont-ils rendus avec ses vêtements civils ? Ou bien restent-ils
mobilisés sur les champs imaginaires de batailles sans repli ?
2007.
Les Tinariwen sont de retour, trois ans après avoir bouleversé le monde
de la musique avec leur blues du désert. Après avoir sillonné l’Allemagne,
l’Angleterre, la Hollande, la Croatie, ils arrivent en France avec leur nouvel
album, Aman Iman, un proverbe qui signifie « l’eau,
c’est la vie » en tamashek. Sorti en février, le nouvel opus, toujours à la
croisée du blues, du rock et des airs traditionnels touarègues, se rapproche
encore plus des racines des membres du groupe. Ces derniers, qui vivent
toujours dans un mode de vie nomade au nord est du Mali, dans la région de
Tessalit, se débrouillent à chaque fois qu’il le faut pour se retrouver à Kidal
afin de travailler leurs compositions.
Si les morceaux de leur nouvel
opus brillent
d'un éclat à la fois moderne et totalement authentique et que leur succession
est d'une grande fluidité, leur création s'étale sur différentes périodes. 63, une des premières chansons écrites
dans les années 80 par Ibrahim et feu Inteyeden, raconte la première révolte
touarègue, sévèrement punie par les autorités. Assouf date de la même décennie : le mot signifie "la
nostalgie" et désigne le style musical du groupe, entre le blues et la
saudade.
Ailleurs, Ibrahim chante l'exil,
la beauté du désert et la condition touarègue, sujet également central des
compositions d’Abdallah, qui loue l'identité de son peuple sur Toumast ou la mémoire d’un héros du
mouvement de libération (Mano Dayak). Hassan signe Tamatant telay, un chant qui, aux heures
chaudes de la lutte armée, incitait les combattants à vaincre la peur de la
mort. Japonais adapte un chant d’amour féminin (Ahimana) et redit l’enjeu crucial de l’eau sur Awad Idjen.
Entièrement enregistré au studio
Bogolan de Bamako, qui appartenait au grand aîné Ali Farka, Aman Iman lie l'urgence musicale des sessions
de Radio Tisdas à la maturité technique perceptible sur Amassakoul. Sans dévier de sa veine poétique,
en clamant toujours plus fort son amour de liberté, Tinariwen ne cesse
d'affiner sa cohérence et une éblouissante inspiration qui le laisse bien en
tête du raz-de-marée des musiques touarègues qui atteint ces jours-ci les
comptoirs de nos disquaires.
Tinariwen est non
seulement le premier groupe des ishoumars, mais aussi le plus connu. Les
musiciens du groupe sont des légendes vivantes de la musique contemporaine
touareg. Aujourd'hui, ils sont une dizaine de personnes venues de Kidal,
capitale administrative de l'Adrar des Ifoghas, à Bamako. C'est un signe que
les temps changent. L'instrumentation du groupe, même qualifiée de moderne,
reste simple. Dans ces conditions, le lien avec la musique traditionnelle
touareg est évident. Les instruments utilisés sont de trois types. Des cordes,
essentiellement des guitares, acoustiques ou électriques (mais parfois aussi
d'autres instruments plus traditionnels comme le Téhardant ou n'goni) jouent la
partie mélodique des chansons. Les voix démarrent sur un chant mené par le
compositeur. Suivent peu à peu tous les musiciens, qui reprennent en chœur.
L'ensemble s'appuie sur les percussions en usage au désert. Les plus
importantes sont les claps des mains. La musique touareg vous emporte dans un
voyage doucement rythmé au pas du chameau.