En perpétuel
renouvellement, la chanson française des années 2000 métamorphose un
vocabulaire hérité de ses aînés et l’inscrit dans une perspective
contemporaine, dans les textes comme en musique. Il aura fallu attendre longtemps pour que les innovations de la
Nouvelle Vague du cinéma français des années 60 déteignent enfin sur la
chanson. Tant par la souplesse des techniques employées que par les thèmes -
capturant l’émotion intime comme l’anormalité du quotidien -, on peut aisément
relier ces deux pôles créatifs et libérateurs de la culture française. Ainsi
parle-t-on aujourd’hui de la Nouvelle
Chanson , mais on pourrait plus justement avancer le terme de "
chanson d’auteur ", toujours en comparaison avec le septième art.
Avec Dominique A, Miossec ou encore Katerine,
tous encore très actifs quinze ans après leurs débuts dans les années 90, on
tenait sans doute les François Truffaut, Agnès Varda ou Éric Rohmer d’une
chanson au vocabulaire renouvelé, à la simplicité retrouvée, autant en rupture
avec la grande chanson à texte de Léo Ferré ou de Jacques Brel
qu’avec la variété populaire de Michel Sardou ou de Claude François.
Cette " chanson d’auteur " perdure,
s’embellit et s’enrichit régulièrement avec l’apparition de nouveaux noms, de
nouveaux angles, de voix et d’écritures toujours singulières. Les parrains se
nomment Jean-Louis Murat ou Alain Bashung, et ils bénéficient en
retour des brèches ouvertes par leurs filleuls. Françoise Hardy ou Brigitte
Fontaine, chez les femmes, demeurent elles aussi des références très
vivaces - y compris pour certains garçons. La folie douce d’un Katerine,
grand triomphateur des dernières saisons avec son album Robot après tout (2005), n’est pas sans rappeler
Fontaine et ses délires jamais gratuits, toujours accompagnés d’une grande
exigence musicale.
|
|
|
|
|
|
|
Agnès
Bihl |
Demandez le programme |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|||
2003 L’amour parfait |
2005 Menteur |
2008 L’espoir |
|
|
|
Quant à la Nouvelle Vague, reparlons-en un instant
pour évoquer Florent Marchet, dont le magnifique deuxième album Rio Baril (2007), construit comme un disque
romanesque sur fond de France profonde et de dérèglement social, évoque
clairement une atmosphère à la Claude Chabrol. Avec son premier opus, Gargilesse (2005), Marchet accompagne son récit
sordide d’un traitement musical qui réunit les cordes classiques et les
ornements pop.
Albin de La Simone, et ses deux albums
publiés à ce jour, incarnerait, quant à lui, un mélange assez personnel de Boris
Vian et de Jacques Tati, par son goût prononcé pour l’humour noir et
la légèreté de son approche musicale - paravent trompeur d’une véritable
science de l’orchestration.
Héritier direct du Dominique A minimaliste des
débuts, avec toutefois une personnalité très prononcée, Bertrand Betsch
aime les mélanges abrasifs entre rock et chanson. Plus extravertis, proposant
des univers où se croisent le cabaret et la chanson rock des années 70, Arthur
H (fils de Jacques Higelin) et Thomas Fersen bousculent avec
une grande adresse la langue française en lui insufflant un peu de l’héritage
des poètes surréalistes, alors que Cali, vraie bête de scène, s’inscrit
plus volontiers dans le réalisme, et la chronique sociale et conjugale à la
façon d’un Miossec.
Le propos des femmes de la chanson d’aujourd’hui
se distingue clairement de celui des hommes. Dans le sillage tracé par Camille,
Émilie Simon ou Pauline Croze, elles s’illustrent autant par leur
goût du risque musical que par leur langue souvent poétique et novatrice.
Si Coralie Clément ou Valérie Leulliot
(l’ex-chanteuse du groupe Autour de Lucie aujourd’hui en solo)
s’inscrivent dans l’héritage ombragé et sophistiqué d’une Françoise Hardy,
nombreuses sont celles qui préfèrent les lumières crues et les extravagances
lexicales. On citera en premier lieu Anaïs, dont le disque The Cheap Show a remporté un succès colossal
alors qu’il fut enregistré en concert, faute de moyens financiers. Mêlant
parodies et chroniques perfides, avec peu d’instruments mais beaucoup d’astuce,
son humour grinçant fait des étincelles.
Olivia Ruiz est l’autre poids lourd
de cette nouvelle génération, proche d’une Catherine Ringer (Rita
Mitsouko) ou d’une Piaf d’aujourd’hui qui aurait grandi au son du rock
plutôt qu’à celui de la java. Jeanne Cherhal s’est métamorphosée avec
son troisième album (L’Eau) en sirène
pop, zigzaguant dans les beaux arrangements de son compagnon Albin de La
Simone.
Autre affaire de couple, celle qui unit Franck
Monnet, l’un des meilleurs compositeurs français actuels, et sa compagne, la
Franco-Américaine Emily Loizeau,
descendante des chanteuses folks originelles dont elle est parvenue à traduire
en français le lyrisme comme la délicatesse.
En 2007, la violoniste de Dionysos, Babet,
sort également un disque de folk acidulé qui sonne comme une version féminine
et allégée de son groupe. Enfin, après Camille, un nouveau prénom éblouit la chanson
française, celui de Daphné. Après un premier album trop sage, elle
publie le brûlant et raffiné Carmin où
sa voix ébréchée voltige admirablement sur des orchestrations baroques dignes
de Barbara. Une splendeur à découvrir.