Yasmin Levy
La culture judéo-espagnole, ou ladino,
était présente dans le sud de l'Espagne jusqu'au XVème siècle, époque à
laquelle l'inquisition chrétienne a décimé ce mélange des trois religions
monothéistes. Cinq siècles plus tard, Yitzhak Levy, puis sa fille Yasmin, ont
contribué à sa renaissance à travers la musique. Yasmin Levy se fait un nom
dans l'univers des musiques du monde depuis 2002, en prenant appui sur le
travail ethnolinguistique légué par son père.
Drôle
de langue que le ladino. Chansons et poèmes ressemblent à du castillan
simplifié et font curieusement penser à l'espagnol contemporain des ados qui
mettent des k partout sur leurs SMS... Yasmin explique :
« Elle est devenue la
langue de la diaspora juive chassée d'Espagne en 1492 et exilée notamment en
Afrique du Nord et dans les pays de l'empire ottoman comme la Turquie, la
Grèce, la Bulgarie. Si elle a emprunté des mots hébreux et des termes des pays
d'accueil, elle présente de nombreux traits du castillan du XVème siècle et par
exemple ne connaît pas la jota, le"j" se prononçant comme en
français. Mais, insiste elle, avant la reconquête chrétienne, les Juifs d'Andalousie
parlaient l'espagnol ou l'arabe. Le ladino ne s'est imposé qu'après l'expulsion
comme langue de mémoire pour préserver l'héritage culturel d'une
communauté".
Comme pour le Yiddish, sa
disparition est due à la Shoah qui a décimé les Juifs de Salonique et de Bulgarie
et plus tard au départ pour Israël d'une grande majorité de Juifs marocains,
algériens et tunisiens, tous venus depuis à l'hébreu. Selon Yasmin, deux
courants de pensée s'opposent en Israël. Ceux qui pensent que le ladino
survivra et ceux qui, comme moi, sont persuadés de sa disparition prochaine.
"Personne n'utilise plus cette langue pour acheter du pain et du lait.
Le seul moyen de sauver quoi que ce soit c'est à travers le chant et
l'écrit."
Yasmin est née dans le quartier
de Bakaa, à Jérusalem, en 1975. Venu de Turquie, son père, Yitzhak Levy, décédé
alors qu'elle avait un an, était un cantaor, compositeur et musicologue qui
consacra sa vie à transcrire et enregistrer des chansons ladinos. Enfant,
Yasmin accompagnait au piano sa mère Kochava qui chantait du ladino et la jeune
fille ne songeait qu'à devenir vétérinaire avant d'avoir la révélation de ses
talents vocaux. Naturellement, elle pioche dans le matériel que son père a
contribué à sauver de l'oubli, s'en inspire et sort son premier disque, Romance
& Yasmin, en 2000.
"En même temps,
raconte-elle, j'étais extrêmement attirée par le flamenco, j'avais pris des
cours de danse et en 2002 j'ai décroché une bourse d'études pour aller à
Séville. Imaginez le choc que ce fut de me retrouver dans le quartier de Santa
Cruz longtemps appelé La Judería". La
Judería, c'est justement le titre de son
second album, sorti en 2005, où complaintes ladinos et influences orientales se
mêlent au flamenco. Si l'album fut bien accueilli à travers le monde, il n'en
fut pas de même en Espagne où l'on ne rigole pas avec l'orthodoxie flamenquiste
:
"Ça a été dur pour moi et
en même temps salutaire. Je souhaitais vraiment devenir chanteuse de flamenco,
mais cela exige un énorme investissement. Et puis, il y a tellement de bons
chanteurs de flamenco et si peu de chanteurs ladinos. Ça a été un combat
intérieur douloureux. Je me suis dit : le ladino se meurt, il faut plutôt que
je consacre tous mes efforts à le sauver et à le faire connaître aux autres.
C'est ma mission et j'en suis fière".
Autre fierté pour Yasmin ; ses
concerts en Israël attirent beaucoup de jeunes qui jusqu'ici dédaignaient cette
culture : "Je pense que c'est à cause de ma démarche, de mes arrangements
qui rompent avec l'académisme empesé et occidentalisé dans lequel on enfermait
jusqu'ici la musique ladino. Mes musiciens sont originaires d'Iran, de Turquie,
d'Espagne, de Grèce, chacun amène son truc, c'est ouvert. Ma musique n'est pas
destinée aux seuls Sépharades mais au monde entier !".
Pour son dernier disque, Mano Suave, enregistré en Grande-Bretagne,
elle a bénéficié des conseils des producteurs, Jerry Boyd et Lucy Duran.
"Au départ, raconte-elle, j'étais nerveuse. Ils m'ont dit calme toi, tu
n'as rien à prouver, tu es une grande chanteuse, sois toi-même et tout ira
bien. Et puis il y avait cette chanson bédouine que je connaissais, dans
laquelle je vois toute la beauté de l'Islam. Et Natacha Atlas m’a
fait le grand plaisir de venir la chanter avec moi, en dépit de nos
différences, elle musulmane et moi juive israélienne, nous sommes devenues
amies. À Jérusalem, nous vivons parmi les Arabes, nous entendons leur musique,
elle est partout et fait partie de moi. Et les Arabes sont les plus grands
musiciens."
Son rêve ? Se produire dans les
pays arabes, en particulier au Maroc et en Égypte. Et sa prochaine étape ? "Faire
un album en Turquie. C'est ma grande ambition. Mon père a vécu à Manissa, près
d'Izmir, et j'y suis retournée en 2001 chanter pour la communauté juive qui vit
toujours là-bas et continue de parler le judéo-espagnol. 800 personnes sont
venues à mon concert. Je veux y retourner enregistrer avec un grand orchestre
et des choristes…"
Pour connaître un peu mieux
Yasmin, l’interview de Murielle Timsit
(Flamenco-Culture.com)