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Les débuts de la musique populaire
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Memphis et le Delta : un bouillon de culture
Le
rôle de Memphis comme véritable capitale du Delta s'amplifie encore pendant la
guerre. Sur le plan du blues, les jug bands et les string bands qui avaient
fait la célébrité de la cité du coton se raréfient et même les chanteurs
ambulants de Beale Street électrifient leurs instruments pour surmonter le
vacarme de la rue. Dès 1948, les frères Chess à Chicago et les frères Bihari à
Los Angeles, essayant de fournir aux nouveaux habitants noirs de ces villes une
musique qui corresponde à leurs goûts, se tournent vers Memphis et la région du
Delta pour y faire enregistrer les meilleurs bluesmen. Sur place, deux hommes
leur servent de relais : le Noir Ike Turner et le Blanc Sam Phillips.
Ike
Turner, lui-même chanteur, guitariste, pianiste, est né à Clarksdale
(Mssissippi) et il y anime à partir de 1947 les programmes d'une station de
radio destinés aux Noirs tout en dirigeant un ensemble local inspiré des
orchestres de swing à la Louis Jordan. Sam Phillips, petit homme d'affaires de
Memphis, depuis longtemps passionné de musique country et de blues, investit
ses capitaux dans l'édification des premiers studios d'enregistrement que la
ville ait connus. Bihari et Chess s'adressent donc tout naturellement à ces
deux hommes pour découvrir et enregistrer de nouveaux talents. Leur tâche est
relativement facile, tant la scène du blues est riche à ce moment-là dans cette
région mais il faut malgré tout un remarquable flair à Turner et à Phillips
pour, en quelques années, enregistrer et promouvoir les carrières des meilleurs
bluesmen de l'après-guerre : B. B. King, Howlin' Wolf, Little
Milton, Junior Parker, Bobby Bland, Big Walter Horton,
etc., qui ont tous fait leurs débuts à Memphis.
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B.B. King |
1968 Lucille |
1986 Spotlight On Lucille |
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Let’s cut it |
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Sonny B Williamson |
Stop crying |
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Chicago
Blues : un delta de béton
Nous
avons vu comment, à la fin des années 30 à Chicago, une certaine évolution vers
une musique plus dure et plus proche de celle du Delta était déjà perceptible
dans le blues de John Lee " Sonny Boy" Williamson, Memphis Minnie ou
Big Maceo. Cette tendance va très fortement s'accélérer avec l'arrivée massive
d'immigrants noirs venus du Sud et la généralisation de l'électrification des
instruments.
Les quartiers sud puis ouest (Southside, Westside)
de Chicago se peuplent d'une majorité de nouveaux migrants noirs qui
s'entassent dans des bâtiments délabrés, des cabanes en bois ou même des abris
de fortune (toiles, sacs). Le caractère traditionnellement pauvre de ces
secteurs devient véritablement misérable avec sa haute criminalité, l'absence
d'hôpitaux, d'écoles, de tout service social en général, le médiocre entretien
du revêtement des rues et le ramassage intermittent des ordures ménagères.
Rapidement, ces zones sont considérées avec frayeur par les résidents blancs
des autres quartiers de Chicago, qui ne s'y aventurent plus guère. C'est ainsi
que s'installe en quelques années un véritable ghetto noir avec ses codes, ses
bazars hétéroclites, ses activités - troc, négoce -, son organisation sociale à
base de matriarcat et d'attitude machique qui recrée le monde noir du Sud
profond. Mais cette reconstitution se fait de façon anarchique - dispersion des
valeurs religieuses, relâchement des liens de solidarité traditionnels dans les
petites communautés du Sud - et désordonnée, laissant de plus en plus la place
aux gangs organisés, à l'alcoolisme et à la prostitution. Les taux de mortalité
infantile par insalubrité et de mort d'adultes par violences dénombrées en 1947
dans le ghetto de Chicago sont les plus forts des Etats-Unis, juste avant ceux
de Harlem et de Watts et, en tout cas, notablement supérieurs à ceux des
campagnes du Sud ! Le mirage du Nord est malheureusement une jungle de béton…
La révolution tranquille : le West Side sound
A
la fin des années 50, le blues électrique inspiré de la tradition du Delta
cesse proizressivement de plaire aux jeunes générations-de-Noirs, plus ou moins
grandis à Chicago, et pour qui la musique de Muddy Waters, Howlin' Wolf ou
Little Walter semble démodée. C'est du quartier ouest, du West Side, encore
plus sauvage et délabré que le South Side que vient cette fois le
renouvellement. Une poignée de très jeunes guitaristes groupés au départ autour
du petit label Cobra, possédé par Eli Toseano - et qui sait s'entourer de
producteurs avisés comme Willie Dixon et Shakey Jake -, font la "thèse
entre l'influence de plus en plus imposante de B. B. King, les tempos saccadés
de la soul music naissante et le Chicago blues électrique, devenu
désormais traditionnel.
Trame
mélodique déroulée en flot continu, notes électriques étirées et expressives,
chant tendu et vibrant, généralisation de thèmes joués sur le mode mineur
rarement utilisé jusque-là dans le blues : le West Side sound est une musique
uniformément brillante, élaborée mais sans emphase, traduisant en termes
nouveaux cette dominante dramatique et passionnée, introduite après la guerre
dans le blues de Chicago et dont iRe réussit à conserver l'essentiel. Ce blues
du West Side va même plus loin et dégage un climat oppressant et désespéré qui
reflète bien l'atmosphère de ce ghetto et les désillusions personnelles des
jeunes Noirs qui y ont grandi.
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Otis Rush |
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Magic Sam |
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Buddy Guy |
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Un
blues local a bien émergé à Detroit dès les années 20 autour du quartier noir
et des tavernes de Hastings Street, mais l'absence de producteurs et de studios
d'enregistrement a forcé les meilleurs d'entre eux (Big Maceo) à s'expatrier à
Chicago. Après la guerre, à Detroit comme ailleurs, on assiste à un afflux de
migrants noirs qui viennent travailler dans l'industrie automobile de nouveau
florissante avec, là aussi, une réactivation de la scène du blues et
l'émergence de plusieurs compagnies de disques indépendantes. Mais,
contrairement à Chicago, cette production de disques de blues restera aux mains
de minuscules marques, le plus souvent gérées par un seul homme, telle jvB propriété
de Joe von Battle qui enregistrait les artistes de blues dans un studio de
fortune, aménagé derrière sa boutique de disques. Les enregistrements réalisés
à Detroit seront, par conséquent, toujours d'une exécrable qualité sonore et
leur exploitation commerciale pratiquement inexistante hors du quartier noir de
la ville, ce qui empêchera des artistes aussi talentueux que Baby Boy Warren,
Eddie Burns, Bobo Jenkins ou Eddie Kirkland de faire toute
réelle carrière. Seul, John Lee Hooker a réussi à vaincre ces
considérables handicaps par son sens de la scène, son incontestable flair commercial
et surtout l'extraordinaire particularité de sa musique
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1960 The country blues |
1961 Let’s make it |
1966 it serve you right |
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Si
le traditionnel blues rural du Texas continue en s'adaptant intelligemment aux
ressources offertes par l'électrification des instruments, un nouveau courant
se développe parmi les migrants noirs venus en Californie pendant la guerre
(principalement des Etats du Sud-Ouest) qui mélange hardiment les influences du
blues texan et celles des grands orchestres de Kansas City.
Alors
que les blues ruraux du Delta et de la côte est cessent pratiquement après la
guerre d'être exploités commercialement sous leur forme initiale, le blues du
Texas réussit à connaître un nouvel essor, le jeu de guitare fait de basses
appuyées et d'arpèges, bâti par Blind Leinon Jefferson et ses successeurs
s'adaptant particulièrement bien à l'amplification électrique, celle-ci
soulignant même mieux toutes les subtiles inflexions de ce jeu économique. Une
fois encore, le Texas et les Etats voisins retiendront plus longtemps que les
autres régions les traditions anciennes du blues. Cela n'exclut cependant pas
que les meilleurs artistes ruraux qui s'y révèlent après la guerre soient des
créateurs fort originaux ; Lil' son Jackson, Smokey Hogg, Frankie Lee
Sims, en particulier, continuent certes la tradition du Texas blues mais lui
apportent chacun une touche toute personnelle. Lightnin' Hopkins (1912-1982)
se situe évidemment dans ce même courant mais s'élève très audessus de ses
pairs par son extraordinaire personnalité.. Il a profondément marqué le
blues de l'après-guerre, son influence s'exerçant de façon durable et
particulièrement forte jusque sur les bluesmen de Californie (L. C. Robinson,
Johnny Fuller, même PhiRip Walker) et de la côte est (Carolina Slim, Baby
Tate).
Le
" swamp blues ", ce blues des marécages de la région de Baton Rouge
en Louisiane, qui s'est développé entre 1950 et 1965 autour du remarquable
producteur J. D. Miller s'inspire tout aussi largement de Jimmy Reed que de
Lightnin' Hopkins. Certains des meilleurs représentants de cet important petit
courant (Lightnin' Slim, Silas Hogan) reprennent pratiquement note pour note le
jeu de Hopkins. Les autres - Lazy Lester, Lonesome Sundown et surtout Slim
Harpo - s'en écartent davantage tout en restant profondément enracinés dans la
tradition rurale de cette région, que le génie créateur de Lightnin' Hopkins a
contribué à maintenir tout en le revitalisant.
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Los Angeles Blues |
Train Blues |
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Charles Brown |
All My Life |
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1991 The touch |
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Low Down Blues |
T-Bone Shuffle |