L’âge d’or du Swing

 

La conquête de l'Est : Chicago et New York

En 1917, la fermeture du quartier de Storyville à La Nouvelle-Orléans ne fit que précipiter un mouvement déjà engagé : les musiciens, comme beaucoup d'autres catégories sociales, quittaient le Sud rural pour le Nord industrialisé, depuis quelques années. Kansas City, New York et même la Californie connurent en masse ces nouveaux arrivants. Mais c'est à Chicago, troisième ville des Etats-Unis, premier port intérieur et lieu de passage essentiel, notamment sur le plan ferroviaire, que les plus grands d'entre eux choisirent de s'installer. C'est là aussi que les premiers témoignages enregistrés de cette musique fixèrent le style Nouvelle-Orléans. Au début des années 20, c'est là que le jazz, sous la conduite des meilleurs musiciens noirs pour la plupart venus de La Nouvelle-Orléans, se débarrassa définitivement des syncopes encore un peu raides héritées du ragtime et du répertoire des fanfares, pour acquérir la souplesse de phrasé qui caractérisa les grands solistes de son âge classique. C'est là enfin que les premiers grands improvisateurs dégagèrent leur voix de l'improvisation collective jusque-là prédominante.

La musique de variétés blanche commençait à se teinter de jazz, donnant naissance à des hybrides plus ou moins intéressants tels que le "jazz symphonique" de Paul Whiteman, commanditaire de la fameuse Raphsody in Blue de George Gershwin. Attirés notamment par le mode de vie des musiciens noirs et l'interdit que constituait alors pour un jeune Blanc la fréquentation des gens de couleurs, les Chicagoans affichèrent cependant le raffinement de leurs sensibilité par des sonorités tendres et retenues, des audaces harmoniques inspirées de la musique classique, une certaine tendance à l'arrangement, un souci de construction dans les solos improvisés. C'est ce dernier point qui caractérise tout particulièrement le saxophoniste Frankie Trumbauer et l'influence réciproque qu'il entretetint avec son ami trompettiste-cornettiste Bix Beiderbecke, accentuant la fraîcheur de la sonorité par la limpidité de ses phrases. Sur un plan plus médiatique, Bix Beiderbecke introduisit dans le monde du jazz une dimension romantique de l'artiste maudit, qui allait rester la marque du jazz blanc apparu sur la côte Ouest des Etats-Unis dans les années cinquante.

 

 

Bix Beiderbecke

1927 Jazz Me Blues

 

 

Paul Whiteman

1920 1935

Hooray for Spinach!

Pendant ce temps, à New-York, le jazz faisait peu à peu son chemin. Dès 1917, à Broadway, au restaurant Reisenweber, se produisait l'Original Dixieland Jazz Band. Non loin de là, sur la 28è Rue, surnommée Tin Pan Alley, croissait une véritable industrie de la chanson de variétés. Les auteurs-compositeurs qui s'y révélèrent (les frères Gershwin, Cole Porter, Jerome Kern, et bien d'autres), en grande majorité des blancs, étaient loin de méconnaître l'intérêt du jazz noir en pleine expansion. En retour, le répertoire de chansons qu'ils constituèrent fournit au jazz une part non négligeable de sa thématique, et nombreuses sont les mélodies de Tin Pan Alley à être jouées encore aujourd'hui par les jazzmen.

Big bang & Swing Era

Pendant les années 1920, de grands groupes de musiciens de jazz commencèrent à jouer ensemble, selon le modèle des orchestres de danse de la haute société, formant des groupes appelés big bands. Ils devinrent très populaires dans les années 1930 et le début des années 1940. Cette période fut dès lors appelée la période swing. L'une des principales évolutions liées à l'émergence de la période swing, fut un changement de rythme qui laissa les rythmes à deux battements du style New Orleans pour adopter quatre battements fluides en mesure. Les musiciens développèrent également l'utilisation de courtes séquences mélodiques, appelées riffs, dans des formes d'appel et de réponse. Pour en faciliter l'exécution, les orchestres furent divisés en sections instrumentales, chacune possédant ses propres riffs, et les musiciens eurent la possibilité de jouer des solos relativement longs.

Le développement du big band fut essentiellement le fait de Duke Ellington et de Fletcher Henderson. Henderson et son arrangeur Don Redman contribuèrent à l'introduction dans le jazz d'une musique écrite. Ils s'efforcèrent également de retrouver la qualité d'improvisation qui caractérisait la musique d'ensembles plus réduits. Ils furent assistés, dans cette dernière mission, par des solistes de talent tels que le saxophoniste ténor Coleman Hawkins.

 

Duke Ellington

1940 Ko-Ko

1953 Ellington Uptown

1959 Side by Side

1962 and John Coltrane

Meets Coleman Hawkins

 

 

 

 

 

1962 Money Jungle

1963 Back to back

1967 The far east suite

1968 And his mother called

 

 

 

 

 

 

Fletcher Henderson

1925 Original Performances

1929 Swing

 

 

 

 

 

Pendant les années 1920, Ellington diriga un groupe de jazz au Cotton Club de New York. Parallèlement à son poste de chef d'orchestre, qu'il conserva jusqu'à sa mort, en 1974, il composa des pièces de concert expérimentales très colorées, de durée extrêmement variable, allant de trois minutes pour (Koko, 1940) à une heure pour (Black, Brown and Beige, 1943), ainsi que des chansons telles que (Solitude) et (Sophisticated Lady). Plus complexe que la musique d'Henderson, la musique d'Ellington fit de l'orchestre un ensemble cohérent. Des solos furent écrits en fonction des caractéristiques spécifiques de chaque instrument et de chaque instrumentiste. D'autres orchestres, dans la tradition d'Ellington et d'Henderson, furent dirigés par Jimmie Lunceford, Chick Webb et Cab Calloway.

 

 

 

Jimmie Luncerford

1937 - 1939

 

Chick Webb

1929 -1939

 

 

Un autre style big band de jazz, incarné par le groupe de Count Basie, vit le jour à Kansas City au milieu des années 1930. Située au centre des Etats-Unis, la capitale de l'Etat du Kansas est un important lieu de passage à l'intense trafic ferroviaire. A la fin du XIXème siècle, la ville a connu une importante vague d'émigrants de couleur venus du Sud. Il y a à Kansas la même décontraction qu'à La Nouvelle Orléans. Principalement au temps de Tom Pendergast (1920-1923), un maire joyeusement corrompu. La cité, malgré la prohibition, vit dans une insouciante liberté et les clubs - où l'alcool coule à flots - sont légion : Yellow Front Saloon, Eblo, Cherry Blossom, Reno Club, Sunset. Les orchestres qui s'y produisent sont marqués au sceau des blues que chantent Jimmy Rushing, Big Joe Turner, Walter Brown accompagnés par le piano de Pete Johnson. Ce sont essentiellement des grandes formations : Blue Devils de Walter Page, Andy Kirk and hisTwelve Clouds Of Joy (avec Mary Lou Williams au piano) et surtout le Bennie Moten Kansas City Orchestra.

 

Count Basie

1938 Swingin’ the blues

1956 April in Paris

Complete Atomic Basie

1962 Kansas City 7

1977 Prime Time

 

 

 

 

Bennie Moten

Kansas City orchestra 

 

Twelve clouds of joy

1939 – 1940

 

 

Le groupe de Basie reflétera l'accent mis sur l'improvisation par le jazz du sud-ouest des États-Unis, les passages écrits (ou simplement mémorisés) restant relativement courts et simples. Les instruments à vent de cet orchestre échangeaient des riffs d'ensemble, créant ainsi des interactions improvisées, fortement rythmées, entre les différentes sections, et comportant des pauses dans lesquelles venaient s'insérer de longs solos instrumentaux. En particulier, le saxophoniste ténor de Basie, Lester Young, fit preuve d'une liberté rythmique rarement rencontrée jusque-là chez les solistes des autres orchestres. Les tons délicats de Young et ses longues mélodies coulantes, entrecoupées de cris ou de gloussements, ouvrirent une approche radicalement nouvelle, comme l'avait fait le jeu d'Armstrong dans les années 1920.