On ignore
l'exacte étymologie du terme be-bop. Est-ce une onomatopée désignant une
formule rythmique ou issue du chant scat ? Est-ce le bruit que fait la matraque
du flic lorqu'elle cogne la tête du Noir comme le prétend le poète Langston
Hughes ? Si l'origine du mot n'est pas certaine, s'il est difficile de situer
avec précision la date de sa naissance, on sait que le be-bop naquit au début
des années 40 dans les clubs de Harlem, plus précisement au Monroe's Uptown
House et au Minton's Playhouse, une petite boîte de la 118è Rue Est. Le gérant,
Teddy Hill, un ancien chef d'orchestre, y avait engagé un quartet comprenant le
pianiste Thelonious Monk et le batteur Kenny Clarke.
Tard dans la nuit, de jeunes musiciens s'y
retrouvaient après leur travail régulier pour expérimenter de nouvelles formes
musicales et faire avancer les choses. Le trompettiste Dizzy Gillepsie, Charlie
Parker au saxphone alto, Monk, Kenny Clarke et le guitariste de l'orchestre
de Benny Goodman, Charlie Christian, qui laissait en permanence au
Minton un amplificateur, cherchaient de nouvelles harmonies, testaient de
nouveaux accords afin de rénover le jazz par un nouveau langage - une autre
façon de le sentir pour Dizzy Gillepsie -, un désir de l'orienter dans une nouvelle
direction.
Dès avant guerre, certains précurseurs
avaient ouvert leur art à d'autres perspectives musicales. Leurs connaissances
harmoniques les destinaient à jouer autre chose. Au sein du grand orchestre de Duke
Ellington, le jeune bassiste Jimmy Blanton avait entrepris
l'émancipation de l'instrument par la complexité harmonique de son
accompagnement. Le trompettiste Roy Eldridge tentait de renouveler le
langage d'Armstrong par un téméraire phrasé mélodique, une sonorité plus
percutante de l'aigu. La hardiesse du jeu de ténor de Lester Young, dont
les phrases franchissaient les barres de mesure, se retrouvait chez Charlie
Christian qui, comme Lester, utilisait des accords de passage, accords
diminués et augmentés dont il imposa l'usage dans l'improvisation, influençant
dans leurs recherches Dizzy, Partket et Monk qu'il retrouvait au Minton.
Bientôt rejoints par quelques-uns de leurs
illustres aînés, Ben Webster, Lester Young, Coleman Hawkins,
Chu Berry, Don Byas, tous attentifs à cette nouvelle musique, les
boppers lui donnèrent vie au cours d'interminables jam-sessions qui, à la
fermeture du Minton, se poursuivaient au Monroe. Les thèmes heurtés de ce
nouveau répertoire, découpés de façon abrupte, souvent soufflés à l'unisson par
la trompette et le saxophone, des thèmes pris sur des tempos très rapides qui
exigeaient une grande virtuosité et accordaient une large place à
l'improvisation, décourageaient les éventuels danseurs et effrayaient nombre de
musiciens du swing, déconcertés par tant d'innovations. Les boppers ne
cherchaient pas à séduire et encore moins à rassurer. En tant que Noirs, la
guerre n'avait pas amélioré leur situation. Tojours victimes d'inégalités
sociales et raciales, ils avaient pris conscience de l'injustice de leur sort.
Les Blancs avaient récupéré leur musique pour en tirer profit. Entre leurs
mains, elle perdait force et vigueur, se réduisant à une simple musique de
divertissement alimentant les spectacles de music-hall. Le show-business blanc
l'avait aseptisée à des fins commerciales. Contestant le système en place,
revendiquant leur condition d'artistes, ils affichèrent leurs différences,
conscients d'appartenirà une élite. Refusant les mélodies accrocheuses, ils
construisirent une musique plus dure et plus virile, un jazz moderne ouvert sur
l'avenir et que plusieurs générations de musiciens allaient adopter.
Jay Jay Johnson,
Fats
Navarro,
Bud Powell