Du rhythm’n’blues au
rock’n’roll
Il ne fait plus aucun doute pour personne
aujourd'hui que la musique rock domine tous les autres phénomènes culturels
dans le monde entier. La littérature puis le cinéma ayant perdu leur suprématie
ancienne, le mode d'expression le plus répandu et le plus facile d'accès est la
musique rock, dont chacun s'empare pour dire ce qu'il a à dire; le rock, que
l'on pourrait croire américain ou anglais, a appris de nouvelles langues : il
chante en zoulou avec Johnny Clegg et Savuka, en dioula avec l'ivoirien Alpha Blondy,
en arabe avec Cheb Khaled, pionnier du raï, le rock d'Oran. Ailleurs il perce
sous la censure ; en même temps que les printemps politiques s'épanouissent les
fleurs de la musique rock : la perestroi a laissé pousser des groupes punk,
heavy metal et new wave. L'Union soviétique autorise des concerts rock dans
lesquels figurent des groupes français, anglais, américains. Tous les concerts,
officiels ou non, sont autant de manifestations d'une dissidence longtemps
contenue qui s'exprime aujourd'hui par la voix d'un roc chanté en russe.
Partout où un peu de liberté, un peu de révolte pointe, le rock est là, comme
un étendard de rythmes et de sons.
Par-delà les frontières, on peut entendre,
en un chant unique de ralliement et de confiance, les trois ou quatre accords
qui accompagnent les paroles polyglottes des adolescents rebelles. Les émeutes
de Soweto en Afrique du Sud, celles de Notting Hill à Londres, les bagarres de
Kingston à la Jamaïque sont déjà loin, mais personne n'a oublié qu'à chaque
fois cela avait commencé par un carnaval et un concert. Comme si le rock, loin
d'adoucir les moeurs, poussait les jeunes à affronter le vieux monde. Comme si,
en somme, le rock n'était pais une musique, puisqu'il ne modère pas les
comportements, mais les radicalise.
Le rock, qui était une affaire d'hommes, a
été rapidement contesté, dans sa suprématie virile, par les femmes ; elles y
ont exprimé leur vision, leur perception des choses. La violence si naturelle
des hommes, leur tendance spontanée à la bagarre pouvaient ne pas convenir aux
femmes, éternelles spectatrices des combats de leurs compagnons. Elles ont
pourtant rapidement adopté le blouson de cuir noir, les bottes, les tissus
indiens, les épingles dans les joues, les coiffures " mohican ", les
cheveux en brosse décolorés, la ganja, l'héroïne, le LSD. Insidieusement, le
rock a émancipé les femmes, en leur donnant la possibilité de se montrer les
égales des hommes. Le rock a poussé à la libération sexuelle, favorisé la
pilule contraceptive, participé, par concerts interposés, aux combats autour de
l'avortement. Le rock a disloqué les fainilles, a fait d'enfants sages des
blousons noirs, des beatniks, des hippies et des punks. Les parents ne
méritaient pas ça, ni les maris, ni les chefs, où que ce soit, à la maison, au
travail, dans les allées du pouvoir. Le rock divise, choque, perturbe. Le rock
est dangereux. Il s'est imposé comme le support privilégié des revendications
de la jeunesse.
1. Du rhythm’n’blues au rock’n’roll
Le rhythm’n’blues est un terme générique
désignant un style de musique issu du blues et du gospel. Joué par des
musiciens noirs au début des années 40, ce style est d’abord appelé
" race music ". En 1949, conjointement à un article de
Jerry Wexler dans le magasine américain Bilboard qui en pose les bases, le
hit-parade de la " race music " devient le hit parade du
" rhythm’n’blues ". Mariage du mot
" rhythm ", qui désigne un tempo accéléré, et de
" blues ", qui rappelle la sacro sainte règle du 12
mesures, ce genre est l’apanage des orchestres noirs. En réalité, le
rhythm’n’blues signifie moins une nouvelle forme d’expression musicale que la
cristallisation des barrières raciales dans l’Amérique des années 40. Jeunes
Blancs et jeunes Noirs écoutent des musiques de plus en plus proches, mais ils ne
le savent pas. Le R&B sera le vecteur qui permettra à la musique noire
d’irriguer la musique populaire blanche et de favoriser l ‘éclosion du
rock’n’roll. Les maisons de disques accompagneront fortement ce mouvement,
passant, en l’occurrence, du statut de labels indépendants spécialisés – comme
Chess à Chicago ou Specialty à Los Angeles – à celui de puissantes majors,
comme Atlantic.
On, distingue souvent trois courants dans
le rhythm’n’blues : celui de New York et de Los Angeles, à base de petites
formations et de chant " hurlé ", dans la tradition des
" blues shouters " ; celui du Sud et du Middle West,
qui marque la synthèse du blues rural et de la guitare électrique ; enfin,
celui des groupes vocaux, proche du doo woop.
L’artiste qui incarne le mieux le
rhythm’n’blues, dans ses origines comme dans ses influences, est sans conteste Louis
Jordan. Saxophoniste venu du jazz, dans la tradition swing, il pratique à
partir des années 40 une musique appuyée sur le blues et développant des
mélodies bien charpentées, mais sur un mode répétitif et syncopé, qui est
l’essence du rhythm’n’blues. Jordan chante des textes souvent salaces, mais
dans un argot noir impénétrable qu public blanc, qui peut ainsi écouter dans
risquer la condamnation des ligues de vertu. D’autres artistes vont aussi
préparer le chemin : Fats Domino, pianiste dans la tradition
boogie, ragtime et dixieland ; Big Joe Turner et sa voix puissante
de baryton hurleur. Plusieurs de leurs chansons seront reprises par des
artistes blancs : Ain’t That A Shame de
Fats Domino par Pat Boone, Shake, Rattle And Roll
par Bill Haley et Elvis Presley.
Dès le début, le rythm’n’blues va
constituer une sorte de pont entre nouvelles musiques populaires noires et
blanches. Il en sera ainsi, par exemple, des trois Brown, qui outre un
patronyme commun, partageront le même destin : artistes de R & B
largement repris par les musiciens blancs. En 1948, Roy Brown se fait
connaître avec le titre, ô combien précurseur, Good
Rockin’ Tonight, titre repris plus tard par Elvis Presley. Ancien
boxeur, Roy Brown est un Noir qui aimait tout autant Frank Sinatra et Bing
Crosby que le blues et le gospel. De ce mélange sortiront les prémisses du
rock’n’roll. A peu près au même moment, Charles Brown fait un tabac, en
1945, avec Driftin’ Blues. Certaines de ses
compositions mélancoliques, inspirées par Nat King Cole, seront reprises
plus tard par Elvis puis par les Eagles. Enfin, Ruth
Brown, qui sera baptisée Miss Rythm,
gagnera son premier concours à l’Appolo Theatre avec une chanson de Bing
Crosby et fera la fortune, une décennie plus tard, de Cliff Richard,
le Elvis anglais, lorsque celui-ci reprendra plusieurs de ses morceaux. Par
ailleurs, alors que Chuck Berry et Little Richard inventent le
rock’n’roll, Bo Diddley impose son blues hypnotique, marqué par les
grands artistes de Chicago, mais si novateur qu’il marque durablement bien des
artistes noirs ainsi que des rockers blancs.
Mais toujours pendant les années 50, deux
artistes noirs, étiquetés alors rhythm'n'blues, vont connaître un tel succès
auprès de tous les publics que la notion de R & B va perdre quelque peu de
sa spécificité. Il s'agit de Ray Charles et de Sam Cooke, qui
s'appuyant sur une émotion venant de loin, de l'Afrique, de l'esclavage, vont
jeter les bases d'un genre nouveau, la soul music.
La première vague du
rock’n’roll a sans aucun doute bouleversé en profondeur les habitudes musicales
de l’Amérique blanche, puis de l’Europe. Mais en réalité le continent musical
exploré par Chuck Berry et Elvis Presley devait se révéler
infiniment plus vaste qu’un simple découvreur comme Bill Haley ne
pouvait le laisser prévoir.
Le rock’n’roll n’a pas été seulement une
révolution musicale, mais bien plus un choc très rude, un spasme, celui de
l’agonie de la société américaine traditionnelle, qui a reçu de plein fouet la
gifle des premiers concerts multiraciaux, des déhanchements d’Elvis Presley, la
honte de l’invasion noire dans la musique blanche en même temps que
l’insupportable craquement du puritanisme des pionniers américains du 18éme
siècle.
Révolution étranglée, le rock’n’roll est
mort de ses équivoques, de son ambiguïté : immédiatement perçu comme une
intrusion des Noirs dans le monde des Blancs, dénoncé très officiellement comme
" musique de nègres ", interdit dans certains Etats, il n’a
pas su s’affirmer pleinement comme une synthèse avouée des deux cultures
musicales dominantes dans les Etats-Unis de l’après-guerre, le blues des Noirs
et la musique blanche traditionnelle du centre-Sud. Pillant sans vergogne le
répertoire du blues, adoptant les attitudes, les vêtements et la manière de
jouer et de chanter des artistes noirs, ni Presley, ni Jerry Lee Lewis,
ni Bill Haley n’assumèrent clairement le caractère fondamentalement noir de
leur musique. Chuck Berry et Little Richard, grandes stars noires
du rock’n’roll, " blanchirent " eux-mêmes le contenu de
leurs chansons et le style de leur orchestration afin de toucher un public
blanc qui pouvait leur sembler hors d’atteinte et que pourtant ils surent
conquérir. Il y a donc dans le premier rock’n’roll une ambiguïté qu’il n’a pas
su lever : musique hybride, honteuse de ses origines, le premier rock
tomba rapidement sous les coups répétés de ses ennemis.
Il faut bien considérer l’apparition du
rock’n’roll comme l’image d’un triple conflit à l’intérieur de la société
américaine. Conflit racial, il est le lieu de l’affrontement entre deux
cultures plus que différentes : ennemies. Le rock’n’roll est avant tout
une musique noire, absorbée et étouffée par l’establishment blanc, qui devait
spolier les créateurs noirs ou les marginaliser. Ainsi Arthur Big Boy Crudup,
qui était de l’auteur du premier tube de Presley (That’s all right, Mama), est
mort dans la misère parce qu’il n’avait pas convenablement déposé ses droits.
Chuck Berry a écrit et composé (Maybellene) tout seul, mais Alan Freed,
le célèbre disc-jockey blanc, et l'imprimeur de la partition se sont
fallacieusement déclarés coauteurs et ont indûment touché les deux tiers des
droits pendant des années. Little Richard recevait un penny (5 cents) par
45-tours vendu, et c’est par la radio que Big Joe Turner a appris que
son tube (Shake rattle and roll) était repris par un chanteur blanc, Bill
Haley.
Conflit moral, le premier
rock’n’roll s’affirme comme la plate-forme revendicative d’une jeunesse
désireuse de s’affirmer face au monde adulte ; sur fond de conflit de
génération, les " idoles des jeunes " se multiplient :
au cinéma, Brando et Dean ; dans la musique, Presley, Cochran,
Jerry Lee Lewis, Gene Vincent montent à l’assaut du puritanisme sexuel et du
conformisme vestimentaire. Pendant trois ans, de 1955 à 1958, les valeurs
morales traditionnelles de l’Amérique sont mises à mal par des adolescents
déchaînés qui n’affirment demander que la liberté de s’amuser. Mais en très peu
de temps l’ordre moral reprendra le dessus et une série de fatalités
s’acharnera sur cette musique. Il n’aura vécu que cinq ans.
Conflit commercial enfin, dans la
mesure où le rock n’était à ses débuts qu’un artisanat sudiste, celui des
studios de Memphis et de Nashville, respectivement pour la musique noire et la
musique blanche traditionnelle. Très vite le conflit Nord-Sud, ville-campagne,
riches-pauvres va tourner à l’avantage des grandes compagnies de l’Est et de
Californie : presque immédiatement Hollywood, après avoir bien involontairement
lancé la carrière de Bill Haley et tout le mouvement rock’n’roll (Graine de
Violence de Richard Brooks, 1955, La blonde et moi de Frank Tashlin, 1956)
récupère Presley, à qui est imposé un contrat draconien mais très rentable pour
tout le monde. RCA, Capitol, Mercury évincent peu à peu les petits studios
indépendants du Sud. En 1960, tous les grands noms du rock’n’roll sont
contrôlés par New York et Los Angeles. Grâce au rock’n’roll, on assiste à une
multiplication extraordinaire des ventes et des recettes ; le microsillon
s’impose – le 45-tours de 17cm, puis les 33-tours de 23 et 30 cm – Toute la
profession s’adapte à des cadences de production qui paraissent astronomiques
compte tenu de ce qui se pratiquait avant 1955. La télévision joue à fond la
caret de la musique nouvelle, multiplie les shows, fait et défait des
réputations à coup d’interviews-pièges et de scandales contrôlés ou créés de
toutes pièces. Le rock’n’roll et ses artistes ont été submergés par un succès
que personne ne pouvait prévoir.
Le conflit entre l’art et le commerce, qui
a nettement tourné à l’avantage du second, les a moralement et physiquement
minés : du jour au lendemain, de jeunes inconnus se retrouvaient couverts
de dollars et toutes les facilités leur étaient accordées ; belles
voitures, bonnes bouteilles, jolies filles, drogue à gogo, aucun ne résista.
Beaucoup prirent leur retraite, d’autres moururent, certains s’assagirent, et
devinrent les otages de ceux-là mêmes qui, n’ayant pu les abattre, finirent par
les contrôler. En 1960, les premiers rockers survivants de la
" classe 55 " n’étaient plus des artistes, mais seulement les
étoiles pâlissantes d’un genre moribond.
Et pourtant, malgré sa défaite, le
rock’n’roll avait au moins atteint un objectif que la guerre de Sécession n’avait
pu rendre effectif : la cohabitation des Blancs et des Noirs dans un lieu
public, unis dans un même élan de solidarité interraciale. Pour la première
fois les lois ségrégationnistes de Sud et les pratiques discriminatoires du
Nord étaient concrètement détournées. Dès la fin des années cinquante, un
pasteur noir d’Alabama, Martin Luther King, commençait un combat qui
devait mener le peuple noir américain à l’égalité civique… La seconde victoire
morale du rock’n’roll est dans le symbole du blouson noir ; à la suite de
Brando (L’Equipée sauvage de Benedek, 1953), après Dean (La fureur de vivre de
Nicholas Ray, 1953), Presley, Cochran, Vincent implantent dans la culture
puritaine blanche des habitudes inconnues : décontraction, insolence, sensualité,
liberté d’inspiration.
Le premier rock’n’roll est donc un
phénomène culturel et social dont l’originalité réelle se situe beaucoup plus à
ce niveau qu’au plan musical ; le rock tout entier est né de cette
rencontre entre une musique qui existait déjà, le blues des Noirs, et une
attitude qui, elle, est nouvelle et blanche : la révolte adolescente. Que
l’on ajoute à cela l’influence de la musique des Blancs du Sud, le désir des
Blancs du Nord et de l’Ouest de ne pas laisser échapper une part du gâteau, l’impossibilité
pour l’ordre social et culturel de l’époque de briser officiellement le tabou
racial, la volonté de l’étasblishment de maîtriser en édulcorant tout aspect
inacceptable de la nouvelle culturelle rock (en ayant si nécessaire recours à
la calomnie et au scandale), on obtient alors pêle-mêle les éléments d’une
tragédie brève mais extraordinairement importante pour notre siècle : la
naissance d’un genre nouveau, le rock’n’roll.
Bill Haley
Jerry Lee Lewis
Gene Vincent
Le rockabilly, contraction de rock et de
hillbilly (littéralement, gars des montagnes, c’est à dire plouc) est un dérivé
du rock’n’roll, lui même issu de la rencontre entre le blues et la country.
Reconnu pour être né à Memphis, Tennessee, au milieu des années 50, dans le
studio Sun de Sam Phillips, son premier porte-parole fur Elvis Presley à ses
débuts. Ses disciples s’appellent Johnny Burnette, Carl Perkins, Jack Scott,
Warren Smith ou Billy Lee Riley. Son tempo binaire l’affuble irrémédiablement
de l’étiquette rock’n’roll, mais, de par ses origines campagnardes, il s’en
différencie par l’emploi d’un instrument peu commun dans la musique
populaire : la contrebasse. Et si le rockabilly semble plus agressif et
plus sauvage que le rock, c’est que les disques sont le plus souvent enregistrés
en son direct, les cris du chanteur couvrant presque une guitare vibrante
d’écho, tandis que le contrebassiste frappe violemment ses cordes pour signaler
sa présence.
Stray Cats
4. Victoire de l'establishment
Il est vrai que le rock’n’roll fut une
rébellion de l’adolescence américaine, dans une société d’abondance traumatisée
par l’exode rural et l’acclimatation difficile au mode de vie urbain. Mais le
rock’n’roll n’est pas mort simplement parce que ces adolescents sont en
quelques années devenus des adultes. Une série de fatalités se sont abattues
sur lui : James Dean, très tôt, puis Buddy Holly, Richie
Valens, Big Bopper, Eddie Cochran disparaissent tragiquement.
Chuck Berry est emprisonné à la suite d’un coup monté. Elvis Presley
se sort de justesse d’une accusation d’attentat à la pudeur, d’une inculpation
pour coups et blessures puis, tire le mauvais numéro et part au service
militaire. Little Richard craque sous la pression d’un mode de vie
trépidant et entre dans les Ordres ; Jerry Lee Lewis voit sa
carrière brisée à cause de son mariage avec une jeune fille mineur ; Carl
Perkins est gravement blessé dans un accident automobile est reste six
longs mois à l’hôpital ; Johnny Cash sombre dans
l’alcoolisme ; Gene Vincent, désespéré, s’autodétruit lentement.
A cette malédiction, il faut ajouter
l’usure d’un genre balbutiant, dont les créateurs, certainement trop jeunes,
étaient aisément manipulables par des hommes d’affaire avides et peu
scrupuleux. Sous la poussée du show-business, pour des raisons de prudence
parfois, la country music prit le pas sur le blues dans le rock’n’roll dès
l’année 1958. Lentement l’idiome noir laissa la place à des
" covers " mièvres et insipides, celles de Pat Boone,
tandis que l’image du rocker s’agissait nettement : Roy Orbison, Ricky
Nelson, les Everly Brothers, Elvis à son retour du service militaire
ne donnèrent rien d’autre que l’image rassurante de petits Blancs assagis et
décidés à retrouver le giron de la culture blanche. Dès 1958, Presley avait
abandonné avec (All shook up) et (Heartbreak motel) la musique primitive et
sauvage de ses premiers disques. (Love me tender) sonna le glas du rock’n’roll,
qui devint peu à peu musique de variétés. Paul Anka avec (Diana),
l’apparition du twist – Chubby Checker, Trini Lopez – et de
vedettes préfabriquées soigneusement médiatisées (Frankie Avalon)
détournèrent le rock’n’roll de ses formes initiales ; il devint plus
vendable, plus acceptable et " blanchit " à vue
d’œil : Jack Scott, Warren Smith, Charlie Rich, Merrill Moore, Billy Lee
Riley, Johnny Cash, les Everly Brothers, autant d’exemples, plus ou moins
célèbres, de la reconversion du rock’n’roll en country music. Le rock’n’roll
féminin sauve l’honneur, avec des chanteuses de talent, comme Wenda Jackson,
Brenda Lee ou Connie Francis, qui prennent courageusement la
relève des pionnières, Ella Mae Morse et Janis Martin. Mais, dans l’ensemble,
le mouvement rock est totalement méconnaissable des 1959. L’avenir est aux
slows léchés – les Platters avec (Only You) -, aux ballades doucereuses
- (It’s now or never) de Presley -, aux groupes et duos vocaux aux sons doux et
travaillés, à la pauvreté stylistique du twist – (Let’s twist again) de Trini
Lopez -, avatars sans cesse plus affadis de l’esprit et de la forme du premier
rock’n’roll.
L’âge, la malchance, les impératifs
commerciaux, le racisme et le puritanisme ont donc eu raison de la première
vague rock. Avec le recul, on se rend mieux compte aujourd’hui de
l’extraordinaire travail idéologique de ces chanteurs du Sud, qu’ils soient
blancs ou noirs. Leur révolution manquée, venue peut-être trop tôt dans un
monde figé d’habitudes, apparaît comme la répétition des bouleversements de la
décennie suivante.
Wanda Jackson
Everly Brothers
Ricky Nelson