CHANSON

FRANCAISE

Les idoles des jeunes

ou Les années 60

Pour beaucoup de Français, les années 60 sont synonymes d'âge d'or. Dans une époque de prospérité économique, les enfants du baby boom découvrent les plaisirs de la société de consommation : un transistor, une télévision, une voiture, un réfrigérateur, un tourne-disques (on vient de lancer le microsillon stéréophonique), des magazines et des émissions de radio qui sont consacrés à leurs idoles. Même si l'époque connaît ses phases critiques (Algérie, guerre froide ... ), c'est l'ère de l'insouciance….

Les adolescents rêvent d'Amérique ; plus important encore pour la première fois depuis des générations, ils peuvent profiter de leurs plus belles années. Au cinéma, James Dean, Marilyn Monroe, Elvis Presley et Brigitte Bardot sont leurs idoles incontestées. Mais voilà, exceptée la dernière, celles-ci sont américaines. Aucun adolescent français, n'a jusqu'ici osé essayer de les imiter. Le vide est énorme, il faut absolument le combler. Johnny Hallyday n'est peut-être pas le premier à se rouler par terre lorsqu'il chante (ou hurle si l'on écoute l'avis des parents ... ), mais pour les historiens il reste le pionnier du rock français, celui qui a appuyé sur le détonateur. Son premier 45 tours sort le 14 mars 1960 sur Vogue et, au-delà des chansons, encore très simplistes, c'est un nouveau mode de vie qui dès lors va s'imposer aux jeunes. Jouer dans un groupe de rock est alors le rêve de toute une génération. Certains réussiront à se faire un nom (les Chaussettes Noires, les Chats Sauvages, les Pirates, les Champions ... ), mais la plupart retourneront rapidement à leurs études, pour eux la gloire n'était qu'une chimère. Pourtant, c'est toute une vague de nouvelles idoles qui déferle, reléguant même certaines des vedettes de la décennie précédente aux oubliettes. Quelques-uns de ces jeunes talents connaîtront une très longue carrière qui les conduira jusqu'aux années 90. À l'instar du franc qui s'appelle désormais nouveau franc, cette révolution va marquer les moeurs.

 

 

 

Adamo

1964 Tombe la neige

1965 La nuit

1966-1967

 

 

 

 

 

 

 

 

Franck Alamo

1963 Da Doo Ron Ron

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Richard Anthony

 J’entends siffler le train

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Antoine

1966 Antoine

1967 Je reprends la route

 

 

 

 

 

 

Hugues Aufray

1961 Santiano

1965 Aufray chante Dylan

1999 Chacun sa mer

2007 Hugh !

 

 

La musique n'est plus considérée comme familiale : il y a d'un côté les parents qui écoutent Piaf, Montand, Aznavour ou Bécaud (à moins que ce ne soit Luis Mariano, Tino Rossi ou Gloria Lasso), de l'autre leur progéniture qui est béate d'admiration devant ceux qu'on appelle, en vrac, les yé-yé. On peut pourtant déceler des tendances : tous les nouveaux artistes qui apparaissent à cette époque ne sont pas, loin s'en faut, des chantres du jerk ou des apôtres du twist. Si les garçons s'enthousiasment pour Johnny, Eddy, Dick et les autres, les filles s'identifient à Sylvie, Sheila ou France, à moins qu'elles ne soient attirées par le romantisme éthéré de Françoise Hardy, l'intello de la bande (parce qu'elle écrit ses propres chansons, contrairement aux autres qui ne chantent que des adaptations). De l'avis général, chez les yé-yé, c'est le rythme qui prime et les paroles volent bas, contrairement à la grande chanson française des Brel, Brassens et Ferré de la génération précédente. Ceux-ci poursuivent leurs carrières respectives sans être inquiétés par les petits jeunes, qui leur témoignent d'ailleurs une admiration répétée au fil des pages de "Salut les copains".

Gainsbourg, qui a démarré trop tard, Le Poinçonneur des Lilas date de 1958, ne peut compter sur ses propres ventes de disques pour survivre. Il crée des chefs-d'oeuvre, La Javanaise, mais son public, à l'instar du titre d'un de ses plus beaux albums, est Confidentiel. Il s'en tire en écrivant et composant pour les autres : " J'ai retourné ma veste quand je me suis aperçu qu'elle était doublée de vison ", dit-il cyniquement alors que ses interprètes - en particulier la petite France Gall avec Poupée de cire poupée de son, grand prix de l'Eurovision 1965 - lui permettent d'engranger les droits d'auteur...

 

 

 

Jacques Dutronc

1966 Et moi et moi

1968 Il est cinq heures

1995 Brèves rencontres

2003 Madame l’existence

 

 

 

 

 

 

Leny Escudero

1962 Pour une amourette

1972 Vivre pour des idées

 

 

 

 

 

Nino Ferrer

1970 Satané Mirza

1976 Suite en oeuf

 

 

 

 

 

 

 

 

Michel Fugain

C’est pas de l’amour

Encore

 

 

 

 

Johnny Hallyday

1960-63 Anthologie

Les rocks les plus terribles

1965 Halleluyah

1966 La génération perdue

Johnny 67

1968 Jeune Homme

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et pourtant, conflit il y a. Avec leur argent de poche, les ados s'achètent et font tourner sur leurs Teppaz, dans leurs chambres tapissées de posters, des tonnes de super 45 tours (quatre titres), un format qui existait bien avant, mais qui marque fortement cette période (les spécialistes les appellent EP, de l'anglais Extended Play). Avec leurs pochettes cartonnées et leurs superbes photos, la présentation devient aussi importante - parfois plus - que le contenu. Car deux vices de forme tendent à apparaître. D'abord, bon nombre de ces vedettes apprennent à chanter en direct après avoir obtenu des succès discographiques, chose impensable pour les chanteurs de la génération précédente, qui devait d'abord faire leurs preuves sur scène. Grâce à la publicité et du fait du nombre restreint de médias (une seule chaîne de télé, deux stations périphériques et l'incorruptible France Inter), les maisons de disques se sont aperçues qu'il leur est possible de vendre à peu près n'importe quoi, tant le public est demandeur. Le disque n'est plus l'accomplissement ou la récompense d'une carrière, c'est pour la première fois un pur produit.

Deuxième mensonge, primordial aux yeux des générations suivantes quelques exceptions près, les idoles françaises du yé-yé n'ont rien de fondamentalement original. Elles ne font qu'adapter, souvent mala-droitement et avec des musiciens de studio qui méprisent ce genre de musique, des succès anglo-saxons. Syndrome qui n'aura plus cours - ou qui passera au second plan - dès 1966 avec l'avènement d'Antoine, Nino Ferrer, Jacques Dutronc, Michel Polnareff ou Julien Clerc qui créent, seuls ou avec l'aide de paroliers, leurs propres répertoires.

Si Johnny Hallyday tient une large part dans ce bouleversement, un lieu joue à Paris un rôle important. Il s'agit du Golf Drouot tenu par Henri Leproux. C'est un ancien golf miniature, que le nouveau propriétaire va réserver aux jeunes et transformer en club. Le secret de la réussite ? Un simple juke-box qui dès 1955 diffuse les derniers succès américains. Sa clientèle, de plus en plus fidèle, est un formidable vivier : Johnny, Long Chris, Eddy Mitchell, Dany Logan...

 

 

 

 

 

 

 Enrico Macias

 

 

 

 

 

 

Eddy Mitchell

 

 

 

 

 

 

 

 

Pierre Perret

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Michel Polnareff

1966 Sous quelle étoile

1967 Le bal des laze

1978 Coucou me revoilou

 

 

 

 

 

 

 

Dick Rivers

1961 Very Dick

1991 Holly Days in Austin

 

 

 

 

 

Le 24 février 1961 se tient le premier Festival rock au Palais des Sports. À l'affiche : les Chaussettes Noires, Johnny Hallyday et Frankie Jordan. Une expérience renouvelée le 25 août au Vieux-Colombier de Juan-les Pins. Le 18 novembre, toujours au Palais des Sports, l'ange noir Vince Taylor crée le scandale. Plus de cinq mille jeunes (surtout des blousons noirs) ont envahi l'espace, et ce qui devait n'être qu'une fête se transforme en bataille rangée. Vince n'a même pas le temps de se produire que déjà les fauteuils sont arrachés et la salle est dévastée. L'alerte est donnée, et les adultes se mobilisent contre ce rythme endiablé, cette musique de sauvages, le rock'n'roll. L'équation jeune = blouson noir est née.

Pour rectifier le tir, Bruno Coquatrix, toujours aussi matois, demande à Johnny, pour son premier Olympia, de se produire en costume cravate !

Heureusement, une nouvelle danse vient des États-Unis, elle est beaucoup plus sage. Son nom ? Le twist, popularisé par Hank Ballard et Chubby Checker. En France, les nouvelles vedettes s'adaptent rapidement. C'est le temps des copains, qui est officialisé le 22 juin 1963, quand le magazine Salut les copains organise un festival, la Nuit de la Nation, pour fêter sa première bougie. Cent cinquante mille personnes font le déplacement. On peut y voir (on ne va pas écouter les idoles, on va les voir) les Gam's, Richard Anthony, Danyel Gérard, les Chats Sauvages, Sylvie Vartan et Johnny Hallyday. Devant un tel déferlement, le pouvoir en place s'avoue dépassé , le général de Gaulle en personne déclare : " Ces jeunes gens ont de l'énergie à revendre, qu'on leur fasse construire des routes ! " En réalité, le temps qui passe aura raison de cet engouement. En 1964-65, seuls les noms bien établis parviennent à continuer dans le métier, les autres ont depuis longtemps abandonné. Trois décennies plus tard, la seule évocation des Chaussettes ou des Chats suffit toujours à mettre en transe ceux qui les ont vus en action. Et il faut tout de même reconnaître que cette génération a bien défriché le terrain pour les suivantes...