Miles Davis

 

L'enfance d'un chef, 52ème rue, Birth of the cool, Cold turkey, Le premier quintette, Milestone,

Le deuxième quintette, La révolution électrique, Le retour, Le dernier souffle

 

Miles Dewey Davis est né en 1926 aux Etats unis. Fils d'un dentiste, il passa son enfance dans un quartier résidentiel de East Saint Louis. Sa mère et sa soeur, musiciennes classiques, jouaient du violon et du piano. À treize ans, on lui offre sa première trompette. Il apprend à en jouer avec un ex-trompettiste de l'orchestre d'Andy Kirk, Elwood Buchanan.

 

Mais c'est avec Clark Terry, son voisin, qu'il fera ses premières jam sessions. Il entreprend des études à la juilliard school of Music de New York. Fréquentant la 52éme Rue, il finit par jouer avec Coleman Hawkins, Benny Carter avant d'enregistrer avec Charlie Parker en 1947. Peu après, en 1948, il forme un nonet avec notamment Lee Konitz, Gerry Mulligan, John Lewis et Max Roach. En septembre, le nonet se produisit deux semaines au Royal Roost de New York sans rencontrer le succès. Il decroche cependant un contrat avec la firme Capitol qui, entre le 21 janvier 1949 et le mars mars 1950, enregistre douze titres au cours de trois séances. Edités en 78-tours, ils furent regroupés plus tard en album sous le nom de Birth of the cool.

 

A partir d'une musique austère, au climat insolite, novatrice de par la combinaison des instruments en présence - trompette, trombone, cor, tuba, saxophone alto, saxophone baryton - et la richesse de l'hamonisation, Miles et ses musiciens propsent une autre manière de joiuer le jazz. L'orientant vers une nouvelle conception orchestrale, ils apportent l'acte de naissance du jazz cool, le début d'une belle aventure. Après une période de tatonnements à cause de sa faiblesse pour l'héroine, Miles forme son premier quintette. Il trouvera l'équipe définitive en 1955, avec John Coltrane au sax ténor, Red Garland au piano, Paul Chambers à la basse et Philly joe Jones à la batterie.

 

C'est également dans les années 50 qu'il commence à travailler avec Gil Evans et son orchestre. Miles Ahead consacre les recherches esthétiques du nonet de 1948. La formation comprend cinq trompettes (dont Ernie Royal), quatre trombones dont un trombone basse, deux cors, un tuba, quatre bois et anches (Lee Konitz est au saxophone alto) et une section rythmique (contrebasse et batterie). Miles est le seul soliste d'une vaste suite organisée en dix parties, chacune d'elle introduisant la suivante. Malgré des imperfections de mise en place dues au manque de répétition, l'album, très réussi, reçoit un accueil favorable de la critique. André Holdeir, auteur des notes de pochette, y voit une renaissance de l'ellingtonisme "s'affirmant avec une force persuasive" dans une "conception conséquente du grand orchestre". L'affirmation sera confirmée avec Porgy and Bess.

 

Fin 1957, il compose et enregistre en quelques heures la musique d'un film de Louis Malle, Ascenseur pour l'échafaud. Pour terminer les années 50, il créera deux chefs-d'oeuvre dans deux genres différents. Kind of Blue tout d'abord, pour lequel il a formé un sextet avec la participation de Bill Evans, John Coltrane et Cannonball Adderley, disque dans lequel tous les thèmes sont modaux et la musique parfaitement contrôlée. Au-delà de la nouveauté que représentait ce jazz modal, l'album reste un exmple de spontanéité créative. Il compte parmi les quelques disques réellement indispensables. Une date importante de l'histoire du jazz. Puis quelques mois plus tard, Sketches of Spain avec Gil Evans et son orchestre, disque sur lequel figure Concerto pour Aranjuez de Rodrigo. C'est la réponse de Miles au free jazz qui naissait à ce moment-là. L'année suivante, Someday My Prince Will Come, est une déclaration d'amour à la danseuse Frances Taylor, qui partage alors l'existence de Miles et dont le visage illustre la pochette; cet album, inégal, est l'occasion pour Miles de renouer avec Coltrane, venu à l'improviste souffler sur deux thèmes : Teo et Somebody My Prince Will Come. Il collabore une nouvelle fois avec Gil Evans en 1962, avec Quiet Nights, avant de former un nouveau quintette qui marquera le jazz moderne. Ce quintette comprend, en plus de Miles, Wayne Shorter au saxophone ténor, Herbie Hancock au piano, Ron Carter à la basse et Tony Williams à la batterie.

 

A partir de 1968, Chick Corea (piano) et Dave Holland (basse) remplaceront sur certains enregistrements Hancock et Carter. Les albums vont se succèder : Seven Steps To heaven, E.S.P. pour lequel Wayne Shorter a rejoint la formation et le quintette a trouvé la formule appelée à faire recette, Miles Smiles avec deux thèmes particluièrement séduisants (Foot Prints, blues composé par Wayne Shorter, et une version furieuse de la Freedom Jazz Dance popularisée par le saxophoniste Eddie Harris), Sorcerer (ici Cicely Tyson a remplacé Frances Taylor dans le coeur et sur les pochettes des disques de Miles, lequel présente curieusement sur cet album un vieux thème chanté par Bob Dorough et enregistré en 1962 : Nothing Like You). Nefertiti sera un album de transition marqué par la cohésion de l'orchestre, la liberté harmonique des solistes, la savante polyrythmie de Tony Williams, l'audace des arrangements. Nefeertiti, qui donne son nom à l'album, bénéficei d'un traitement étonnat. Trompette et saxophone répètent inlassablement le thème sans prendre aucun solo. La dynamique vient de la mobilité de la section rythmique, réant sans cesse de nouvelles variations.

 

Dés le début des années 70, avec la sortie de Bitches Brew , Miles donne naissance au jazz-rock, un genre dont on avait constaté les premiers balbutiements dans l'album précédent, le magnifique In a silent way. La présence du guitariste John Mc Laughlin est pour beaucoup dans la réussite de la fusion entre le jazz et le rock.

 

L'enregistrement de cet important jalon du jazz électrique nécessita trois jours de studio. Six titres naquirent sur place, librement improvisés par douze musiciens conscients de joindre leurs différences pour bâtir un édifice sonore à la couleur orchestrale inédite. L'album réunit jusqu'à trois claviers (Chick Corea, Joe Zawinul et Larry Young), trois batteurs et un percusionniste. Wayne Shorter joue du saxophone soprano et Benny Maupin de la clarinette basse, John McLaughin tient la guitare électrique et Miles, bien sûr, la trompette. Il est le seul soliste. Outre une sonorité d'ensemble entièrement nouvelle, la notion de thème devient ici abstraite.  Miles construit sa musique sur des successions de riffs, développe un concept modal d'une étonnante richesse rythmique. Réussite musicale donc, mais aussi commerciale puisque l'album se vendra à plus de 500 000 exemplaires durant la première année.

 

En 1975, Miles Davis, malade, s'enferme dans le silence pour réapparaître en 1981, à la tête d'une nouvelle formation. Bill Evans (sax), Mike Stern (gt) et Marcus Miller (b) feront parler d'eux. Al Foster, qui suit Miles depuis 1972, tient la batterie. Mais Miles ne cesse pas de changer d'hommes, plus intéressé par la soul music, le rhythm'n'blues que par le jazz dont il va jusqu'à refuser le nom. L'électronique, les claviers souvent confiés à Robert Irving envahissent ses derniers albums Columbia et, en 1984, Al Foster l'abandonne, lassé de ne plus jouer du jazz. Quant à Miles, il quitte Columbia pour Warner. Les séances du nouveau disque débutent à Los Angelès en février 1986. Le principal maître d'oeuvre de Tutu est Marcus Miller qui, outre la basse, assure la plupart des instruments - synthétiseurs, anches - et apporte ses propres compositions, des bandes qui résultent d'un savant travail de re-recording et sur lesquelles Miles n'a plus qu'à enregistrer sa propre partie de trompette. Après d'ultimes retouches en studio - le pianiste Georges Duke se voit confier les arrangements de Backyard Ritual, le batteur Omar Hakim et le violoniste Michael Urbaniak tiennent de petits rôles -, l'album, publié en octobre 1986, va connaître rapidement un succès mondial et être disque d'or en France quelques mois après sa sortie. Un jeune public, peu concerné par le jazz se retrouve dans le funk contemporain fabriqué en studio, travaille dans lequelle excelle Prince que Miles admire alors. Face à des machines digitales, à une lutterie souvent électronique, le trompettiste conserve tout son pouvoir de séduction, souffle des phrases puissamment lyriques. Son inimitable sonorité se pose sur des superbes mélodies - Tutu, Tomaas, Portia -, Miles arondissant les angles souvent rugueux de ce "ready made" technologique. En 1989, Amandla, à partir encore d'un travail de studio de longue haleine préparé avec soin par Marcus Miller, va bénificier d'un environnement sonore nettement moins synthétique. Kenny Garret au saxophone alto, Joe Sample au piano acoustqiue, disputent à Miles de vrais solos dans un contexte plus humain, plus proche du jazz aussi dans Mr Pastorius qui clôt l'album en beauté.

 

Le 8 juillet 1991, Miles Davis crée la sensation au festival de Montreux. Soutenu par une cinquantaine de pupitres placès sous la direction de Quincy Jones, il se décide à faire ce qu'il avait toujours refusé : jouer la musique du passé. En l'occurrence, celle écrite par lui par le fidèle Gil Evans (sa mort à Mexico en mars 1988 avait été un rude coup pour Miles). Le public assiste, fasciné, à cette incroyable remontée dans le temps que Miles lui-même, heureusement soutenu par la doublure Wallace Roney, a le plus souvent du mal à maîtriser. Jamais le trompettiste n'a paru aussi frêle ni vulnérable. Sous cette perruque invraisemblable qu'il arbore depuis le milieu des années quatre-vingt afin de dissimuler sa calvitie, et qui a pour effet d'affiner encore le masque de douleur qui lui sert désormais de viage, seuls les yeux, immenses, aux pupilles dilatées, ont conservé intact ce feu qui l'a toujours habité. Miles, lui, n'ignore pas que le compte à rebours a déjà commencé. Un an plus tôt, il a appris qu'il était condamné. Sida. Comme des centaines d'anciens junkies qui doivent affronter la maladie après coup, parfois des années après avoir décroché. L'épisode montreusien sera prolongé, deux jours plus tard par des retrouvailles parisiennes, dans le cadre du festival de la Villette, avec Hernie Hancock, Chick Corea, Zoe Zawinul, John McLaughin, Jackie McLean, Dave Holland, Al Foster et Wayne Shorter. Comme si Miles avait décidé de faire la tournée des popotes avant de repartir au feu, pour une dernière bataille qu'il savait perdue d'avance. Elle sera effectivement définitivement perdue le 29 septembre.

 

Celui qui disait en souriant à son ami James Baldwin, des années auparavant : "Je devrais être mort depuis longtemps, mais la drogue ne m'a pas tué et je n'ai donc plus rien à craindre", s'était donc trompé. Pourtant, il n'avait pas complètement tort quand il s'imaginait immortel. Miles continue en effet à vivre à travers sa musique. Pour une raison bien simple, jadis révélée par le batteur Chico Hamilton : "Miles n'est pas un homme de spectacle. Ce n'est même pas un trompettiste. Miles est une sonorité. Le chant de la planète entière.". Et celle-ci n'a pas fini de tourner