La contre-culture américaine

 

 

De la country au country-rock

La country est, comme on s’en doute, une musique des " campagnes ", c’est à dire rurale, traduction littérale de country. Mais d’une campagne précise, celle du Sud des Etats-Unis, et d’une population spécifique : les Blancs. Son berceau est à chercher dans le massif des Appalaches, où s’étaient rassemblés beaucoup d’émigrants anglais et irlandais. Dans cette quête du nouveau monde, ils avaient emportés avec eux leur folklore traditionnel, teinté de musique celtique, à base de violons et de chants. A l’époque, cette musique n’a pas de nom. C’est la musique des fermiers, des bûcherons et des trappeurs, qui le dimanche, pour rompre leur isolement, chantent et dansent pour se donner du courage. Au début du XXè siècle, les Appalaches s'organisent. On a besoin de main d'œuvre pour extraire le charbon des mines. Les Noirs, et d'autres émigrés, venus d'Europe, rejoignent nos montagnards. Cette cohabitation va faire évoluer la musique du cru : les Noirs, avec le blues et le gospel, apportent un rythme nouveau et ajoutent la guitare à la panoplie du terroir, les Italiens innovent avec la mandoline et les Slaves y mêlent des airs de polka. Ajoutez à çà un zeste de guitare hawaïenne, découverte lors des "Tent Shows", cirques ambulants dans lesquels se produisaient des artistes hawaïens. Tous les éléments sont en place pour que la country naisse.

Une tradition instrumentale va en effet se développer dans ces vallées peu accessibles, centrée autour du banjo à cinq cordes, un des seuls instruments authentiquement américains, bien qu’africain d’origine sous sa forme primitive -, le violon – plus communément appelé fiddle -, le dulcimer, et bien sûr la guitare. Dans les années 20, les compagnies de disques se rendent compte que cette nouvelle musique a pris une ampleur étonnante. Les premiers disques de ce style vont voir le jour (en 1924, la chanson The Prisoner's song de Vernon Dalhart s'arrache à plus de 6 millions d'exemplaires), mais quel nom lui donner ? Au producteur Ralph Peer, qui demandait au violoniste Al Hopkins comment il devait appeler cette musique, Al répondit : " We're just a bunch of Hillbillies. Call it anything you want". C'est ce que fit Ralph en la baptisant hilbilly music (dit également old-time). Ce sont effectivement des agriculteurs vrais de vrais qui enregistrent les disques et font des tournées, entre une vache qui vêle et un champ à labourer... Ralf Peer fut également à l’origine de la première séance historique de l’histoire de la country music. ; armé d’un studio portatif installé dans le coffre de sa voiture, il débarqua un jour d’août 1927 dans la ville de Bristol (Tennessee), et enregistra au cours de la même journée historique Jimmie Rogers et la Carter Family, qui deviendront les plus grandes stars de l’entre-deux guerres. Parallèlement à ces premiers artistes qui prfitèrent de la vogue naissante du phogramme, la musqiue country progressa à l’vénement de la radio et à la puissance d’émission de certaines stations, comme WSM qui produisit à partir de 1925 le fameux Grand Ole Opry.

Immédiatement après le deuxième conflit mondial, des branches nouvelles apparurent comme le bluegrass, popularisé en premier lieu par Bill Monroe. Ce style, pratiqué sur des instruments non électrifiés, s’inspirait fortement de la musique montagnarde des Appalaches (il confirmera sa vitalité en accompagnant le courant néotraditionnaliste des années 80). Parmi les grans noms du bluegrass, on peut citer les frères Stanley, Flatt & Scruggs, Jimmy Martin ou les Osbornes. Parallèlement au bluegrass, se développait dans les Etats du Sud profond, une musique de danse : le western swing, dont le chef de file était Bob Wills. Ce genre mêlait sur des rythmes de danses campagnardes l’instrumentation et le jeu des musiciens country ( steel guitar, fiddle), aux cuivres à la Count Basie et Duke Ellington. Il aura toujours ses ardents défenseurs, comme Hank Thompson dans les années 60 ou le groupe Asleep At The Wheel. Lyle Lovett continue à s’en inspirer.

Dans les années 50 apparut un genre baptisé honky tonk, par référence aux innombrables chansons traitant de tavernes, d’alcool et de vie nocturne. Ses représentants les plus immortels sont Ernest Tubb, Lefty Frizzell, et surtout Hank Williams, dont le talent de poète populaire et la voix déchitante ont marqué pour longtemps le monde de la country , et annoncé le rock’n’roll : il suffit pour s’en convaincre d’écouter son Move It On Over sur lequel Bill Haley a calqué son Rock Around The Clock. Mais bientôt la country va être battue à plate couture par son petit frère : le rockabilly. Dans les années 60, la résistance country s'organise, tentant de se rajeunir sans pour autant perdre son âme, comme parvient à le faire Johnny Cash. Le Jean Moulin de la country, Chet Atkins, se voit confier la direction des studios d'enregistrement de Nashville. Il réfléchit au renouveau du genre et crée le Nashville Sound. En s'attachant une équipe de très bons musiciens, toujours les mêmes, et en électrifiant les instruments, il trouve une sorte de compromis entre la musique résolument jeune du rockabilly et les vieux airs des montagnes. Ce sera la grande époque de Webb Pierce, Porter Wagoner, Tom T. Hall, Mart Robins, Mel Tillis, Ray Price, Roger Miller, Dolly Parton, autant d’artistes dont le talent et l’authenticité n’empêchèrent pas la ville de s’assoupir dans une prospérité tranquille que secouèrent à peine les plus grandes pointures de l’époque, les tenants de la tradition comme Merle Haggard et George Jones ou les caprices des Outlaws, rebelles talentueux menés par Willie Nelson, Waylon Jennings ou Kenny Rogers, crooners de talent, mais loin des racines de la country.

 

 

 

 

 

 

 

The Carter Family

Keep on the Sunny Side

 

 

 

 

 

 

 

JJ Cale

Naturally

Shades

Travel Log

Numbert 10

 

 

 

 

 

 

 

 

Closer to you

To Tulsa and back

 

 

 

 

 

 

Johnny Cash

1957 Sun Recordings

1959 Songs of Our Soil

1967 Carryin' On

1977 Duets

 

 

 

 

 

 

 

1994 American Recordings

1996 Unchained

2000  Solitary Man

 

 

 

 

 

 

 

 

Hank Williams

1947-51 Moanin' The Blues

 

 

 

 

 

Toujours dans les années 60, le rock porte alors le flambeau d’une jeunesse étudiante en révolte, véhiculant antimilitarisme, cheveux longs, amour libre et usage libérateur des drogues; la musique country est en revanche un courant désuet et passéiste, marqué par des interprètes d’une autre génération et chariant des idées plus conservatrices (Merle Haggard enregistre son Okie From Muskogee, véritable hymne nationaliste). Il fallait donc un artiste de l’envergure de Bob Dylan pour oser le rapprochement entre les deux genres. Il commença par se rendre à Nashville pour y enregistrer Blonde On Blonde en 1966, puis deux ans plus tard, John Wesley Harding et enfin Nashville Skyline en 1969. Les réactions ne se firent pas attendre et Dylan, à Newport comme à l’Isle de Wight, se vit conspuer par ses anciens fans, la critique ayant du mal à saisir le sens de cette nouvelle provocation. La brèche était ouverte, et les Byrds, guidés alors par Gram Parsons, originaire de Floride, ne tardèrent pas à s’y engouffrer en enregistrant en 1968 Sweetheart Of The Rodeo, album charnière qui reste le premier disque authentiquement country-rock. Parsons, à la fois nourri de contre-culture contestataire et admirateur des traditionnalistes Merle Haggard et George Jones, parvint même à faire jouer les Byrds au Grand Ole Opry. Gram Parsons et Chris Hillman fondèrent ensuite The Flying Burrito Brothers dont les albums Gilded Palace Of Sin et Burrito Deluxe influencèrent toute une génération d’adeptes du countr-rock. Les Eagles, Poco, et dans une moindre mesure, tous les tenants du mouvement outlaw  s’inspirèrent alors du genre et Parsons continua d’en porter le flambeau jusqu’à sa mort prématurée en 1973. Il eut néanmoins le temps, avec Chris Hillman, de découvrir une jeune chanteuse folk fixée à Washington, Emmylou Harris, qui grava quelques superbes albums dans les années 70, fortement marqués par l’influence de Parsons dont elle reprit plusieurs titres. Mais Emmylou et le country-rock en général allaient revenir dans le giron de Nashville au cours des années 80. L’esprit rebelle soufflant sur le rock s’estompant, et les esprits devenant plus ouverts à la musique country, le courant perdit peu à peu sa raison d’être et mourut de sa belle mort.

 

 

 

 

 

 

Byrds

Sweetheart of the Rodeo

 !

 

 

 

 

 

 

 

 

Bob Dylan

1966 Blonde on Blonde

1967 John Wesley Harding

1969 Nashville Skyline

 

 

 

 

Eagles

 

 

 

 

 

 

Emmylou Harris

1975 Pieces of the sky

1976 Elite Hotel

1979 Blue Kentucky Girl

1981 Cimarron

1987 Trio

2008 All I Attended To Be

 

 

 

Mark Knopfler

1990 Missing… Presumed

2000 Sailing to Philadelphia

2006 All the roadrunning

 

 

 

 

 

 

 

 

Kris Kristofferson

Me and Bobby McGee

 

 

 

 

 

 

Little Feat

1972 Sailin' Shoes

1973 Dixie Chicken

Feats Don't Fail Me Now

1975 The Last Record Album

1977 Time Loves A Hero

 

 

 

 

 

 

 

1978 Waiting For Columbus

1979 Little Feat

 

 

 

 

 

 

 

 

Marshall Tucker

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Gram Parsons

 

1973 GP

1974 Grevious Angel

 

 

 

 

Paradoxalement, ce sont des enfants du punk qui le réactiveront. Publié dans l'indifférence en 1990, l'album No Depression, du groupe Uncle Tupelo, a pris une importance rétrospective considérable jusqu'à être le symbole de cette renaissance. Nés en 1967, donc en même temps que le country-rock, Jay Farrar et Jeff Tweedy (leader, depuis, de Wilco) paraient leur désespoir existentiel grunge de violons, banjos et mandolines et payaient leur tribut à Gram Parsons en reprenant Sin City. Les Jayhawks appartiennent aussi à cette myriade de formations aux ventes modestes, regroupées sous la bannière du country-rock, parfois rebaptisé alternative country ou americana. Leur ancien leader, Mark Olson, a publié en 2001 un album tonique en mêlant sa voix à celle de sa femme (Victoria Williams), à la manière de Gram Parsons et Emmylou Harris.

La nébuleuse country-rock se caractérise en 2001 par une méfiance maladive vis-à-vis de l'industrie du disque, un habillement fruste (chemise de bûcheron), un mode de vie quasi autarcique (répétitions dans des fermes isolées), un goût pour les instruments anciens. Attachés à la littérature sudiste, ses adeptes peuvent sombrer dans une austérité ennuyeuse, vantant puritanisme et retour à la terre. Heureusement, seuls les meilleurs nous parviennent en Europe, généralement distribués par le label allemand Glitterhouse : Blue Mountain, Blue Rodeo, Whiskeytown – premier groupe d'un chanteur d'avenir, Ryan Adams –, Nadine, les Cash Brothers...

 

 

 

 

bonnie ‘prince’ billy

2006 The Letting Go

2007 Forgiveness

 

 

 

 

 

 

 

 

Lucinda Williams

Car Wheels on a Gravel Road

2003 World Without Tears

 

 

 

 

 

Deux fortes personnalités ont vu leur réputation franchir les clôtures des champs du country-rock : Steve Earle, ancien Hell's Angel, junkie et taulard, capable de passer du gros rock au bluegrass, et la Louisianaise Lucinda Williams, qui vient de publier un album magnifiquement dépressif, Essence. Tous deux revendiquent Gram Parsons et Emmylou Harris comme influences majeures, mais sans adoration sclérosante. Grâce à eux, l'association du rock et de la country, bâtarde, rejetée et longtemps mal-aimée, a la vie dure. 

L’influence du country-rock reste néanmoins immense sur la production de la country. De nombreux artistes revendiquent haut et fort l’inspiration qu’ils y ont puisée (Vince Gill, Radney Foster, Dwight Yoakam parmi d’autres). Le mouvement country-rock a été parfois qualifié de « redneck rock », une définition qui convient en fait mieux au rock sudiste, qui fédérait sur des rythmes binaires et des accents de guitare slide un mode de pensée ouvertement conservateur, en tout cas de la part des auditeurs, qui s’affichaient en concert brandissant des drapeaux sudistes). Le country-rock avait été, à l’inverse, une école musicale puisant sa musique à la source country, mais véhiculant des idées en phase avec la jeunesse de l’époque. Dylan, Parsons et Hillman pouvient difficilemen être soupçonnés d’avoir préfiguré l’Amérique reaganienne.

 

 

 

Au début des années soixantes aux Etats-Unis, Timothy Leary, professeur à l'université de Harvard, expérimente sur lui-même les effets de l'acide, et en voit de toutes les couleurs… L'heure est à l'expérience intérieure, celle qui ouvre des portes et ferme celles de la violence et de la bêtise de la guerre du Vietnam qui n'en finit pas (janvier 1967, 460 000 jeunes Américains âgés de dix-neuf à vingt trois ans y combattent, les pertes sont plus lourdes que prévu : déjà 2 000 morts et disparus). C'est à San Francisco, où les hippies pratiquent un peace and love ultra pacifiste, ("faites l'amour, pas la guerre"), que le mouvement psyché va démarrer. "Psyche", c'est l'âme, ce sont les Grecs qui le disent.

Ajoutez "délique", c'est l'âme des années 60.  Les expérimenteurs du psychédélisme et le mouvement hippie